.Dent-de-liens.

Elle qui porte le nom de la Timidité aurait pu être de tes mères ; douceur incarnée, de la peau à son timbre délicat, tout en elle t’apaise et te fait te sentir chez toi. Sans doute lui rappelles-tu ses frères perdus à jamais, substitut à l’affection qu’elle ne pourra plus leur offrir, car elle n’a pour toi qu’amour et cajoleries au fond des poches chaque fois qu’elle te voit — et tu te laisses câliner avec joie, lui prodiguant en échange les fruits sauvages d’une débrouillardise toute relative.

À lui qui ignore l’insondable gouffre de misère et de désespoir d’où il t’a arraché par mégarde, ton cœur à jamais reconnaissant. Vous n’avez malheureusement pas eu le loisir de vous connaître ; quelques jours à peine pour graver en mémoire sa silhouette de panthère noire, ses mines évasives et maladroites, son timbre d’une douceur rauque. Tu lui dois la vie — il n’en sait rien — et ta venue ici — qu’il essaie d’oublier. Mais vous ne vous êtes pas revus depuis six ans, maintenant, et tu as grandi. Pas lui. Te reconnaîtrait-il ? Quand son ombre reste accrochée à ton esprit à l’instar d’une radieuse réminiscence, tu espères un jour pouvoir rencontrer une nouvelle fois ce félin distant.

Le Grand qui t’a perdu, à la frontière de Wonderland, après plusieurs semaines de marches entre Tree Town et l’Upperland. S’il voulait te dispenser l’asile dans son propre foyer, il n’en fera rien ; les circonstances brusquement vous ont séparés alors même que le Royaume Blanc était en vue. Il était gentil, sans arrogance, sentait bon l’encens ou le magnolia. Même s’il ne t’a jamais donné son nom, tu te rappelles ses manières de dormir comme un bienheureux, les longueurs torpides de ses paroles ou ses doigts fins que tu essayais de saisir du haut de tes dix ans — il ne t’a jamais laissé. Lui qui ne souhaitait pas s’attacher, il t’a carrément perdu de vue. Or, s’il t’était permis, tu voudrais le remercier.

Qu’il t’ait pris pour un autre la première fois n’y change rien : ce grand Cerf austère irradie d’une incomparable chaleur. Et ce n’est pas tant parce qu’il t’a sauvé de la mort que tu lui dois ta vie, non, puisque nulle dette ne saurait te retenir entre ses pattes. Tu éprouves à l’égard de son âme taciturne un bouquet de sentiments respectueux, noué d’un ruban d’admiration, un attachement teinté de déférence. N’en déplaise à ses trop nombreux détracteurs, à commencer par lui-même : il a cueilli ta dévotion en même temps que ta survie.

Lilas était triste, son cœur fissuré entre ses mains. Lilas pleurait depuis des jours, en silence, en cachette, alors tu as voulu lui redonner le sourire. C’est ainsi que tu as rencontré Kaa, sans même deviner que c’était lui, le coupable de ce chagrin de béguin, puis tu lui as demandé s’il pouvait faire quelque chose pour ta Maman — tessons de bouteilles et rubans de dentelles pour monnaie d’échange. Il a fait une drôle de tête, qui n’était pas non plus une négation, puis il a accepté... à certaines conditions. Que tu balaies dans sa boutique. Que tu lui déniches une tarte aux pommes. Ce genre de choses. Tu as obéi — tout pour revoir le sourire de Lilas ! Tu ne t’es même pas rendu compte qu’il se servait de toi. Que ta Maman se relèverait toute seule. Et à la fin, tu crois toujours que Kaa est un vrai magicien... ou bien est-ce la personne qui se cache derrière les rideaux de son échoppe ?

Trouble fut ton cœur aux premières minutes de votre rencontre, envouté par son aria céleste sans même redouter sa morsure — on ne t’y reprendra plus ! Ou peut-être que si, tant la farouche sirène t’inspire par-delà la crainte dont elle se nimbe, par-delà la cicatrice pointillée en travers de ta main. Précieuse et appliquée, elle a pour toi le comportement d’une louve devant son loupiot maladroit, t’accueillant avec une pudeur fauve au creux de son nid. Pour sûr, tu l’aimes, ta maman-requin.

Qui se ressemble s’assemble, déclare la maxime : vous en êtes une fabuleuse illustration. Car le goupil et toi, c’est une évidence. Le premier de tes amis, le plus foufou, le plus roux aussi, tout de fourrure et de turbulence, depuis des années. Déjà à l’époque tes mères rouspétaient en lui trouvant une mauvaise influence, sauf que tu n’as jamais voulu prêter attention à leurs remontrances. Pas pour Renard. Renard est génial, Renard est doux, Renard est joyeux. Personne ne lui arrive aux métacarpes. Tu l’adores d’une extrémité à l’autre de son pelage — et il te le rend si bien.

[…]

Monsieur Brocolis est drôle en plus d’être un vrai gentil. Tes tourments, il s’empresse de les croquer derrière son sourire ciselé pour mieux circonscrire le terrain de jeu où vous vous agiterez loin des affres de la vie réelle — parenthèse couleur lime, cataclysme euphorique entre un croco et un chiot —, loin des Grands Humains emplis de chagrin. Dans votre bulle hors du monde, rien n’existe que l’amusement, le plaisir d’une ludique compagnie. […]

[…]

À ses yeux d’oiseau lugubre, tu n’es qu’une aberration. Tu ne devrais pas être en vie, pas être en joie, pas être libre et sans souci comme ton comportement d’idiot heureux le laisse paraître. Tu ne le vois même pas, que Corbeau n’en peut plus de toi ; il te méprise et tu ne saisis pas, voudrait coudre ton sourire et te barbouiller de vieille poix, te faire regretter d’être aussi irresponsable, aussi innocent. Aussi toi. Pur. Un jour, il précipitera ta perte sans que tu puisses te douter que c’est à cause de lui que tu n’arrives plus à voler. Et même si tu peux sentir par moment son hostilité, tu ne cherches pas à t’en prémunir, faute de la comprendre.

Il fut ton ami — il n’est plus. Comment est-ce possible ? La chimère que tu as sauvé de l’inanition il y a quelques années de cela, avec qui tu as passé tant de bons moments dans l’Atlantide, pourquoi t’a-t-elle soudain rejeté sans explication ni excuse ? La douleur est la seule à avoir survécu à son départ. Et voilà que, à l’occasion de ton retour près du lupanar, tu le recroises par hasard ; qu’adviendra-t-il de votre relation une fois que vous aurez pris le temps de démêler vos incompréhensions ? […] DISPARU.

Elle aurait dû t’enlever pour quelque obscure figure de Wonderland ambitionnant d’offrir ton âme à la Royauté et de te réduire en esclavage par la suite. Le contrat était simple et la Sirène n'aurait eu aucun mal à l’exécuter — elle a presque réussi, d’ailleurs. Or, si tu as réussi à t’enfuir in extremis hors de portée de ses griffes, c’est que tu n’étais pas l’unique cible du marché et que son commanditaire, loin de faire confiance à la mercenaire, engagea quelqu’un pour s’en débarrasser puis te ramener sans avoir à la payer. Résultat des courses : Melipheme est toujours en vie avec un contrat caduque, toi aussi avec une Sirène au luc, et quelque part un type est mort pour s’être cru plus malin que la Déjan’thé. Comment ce nœud coulant se démêlera-t-il ?

Il est le démon d’antan, le Dieu de l’apocalypse que priaient tes geôliers, là-bas sur Terre. C’est son nom qui te le dit, râpeux, son aura d’épouvante qui te fait trembler de tous tes nerfs face à lui — lui la Fin des Temps, lui l’entité des abysses prêtes à te dévorer en représailles de ta fuite. Rien ne t’effraie plus que la couleur de son regard, quand te voilà paralysé de terreur à son unique évocation : il te tuera, c’est sûr, car tu es son sacrifice perdu.
Alors même qu’il n’a en vérité plus rien à voir avec le Moloch de tes cauchemars.

Le Maire d’Halloween n’est pas méchant, pourtant il te fait peur comme jamais. Il faut avouer que des victimes avec ton profil, il n’en croise guère, alors il en profite : un bonbon ou un sort ? Quelle que soit ta réponse, c’est pour ta pomme ! Pumpkin joue les gentils pour t’amadouer, cela marche une fois et deux secondes après tu détales, effrayé. Certes, il n’agit jamais pour te blesser, il cherche juste à s’amuser, mais peut-il se douter que tu ne peux le comprendre sous cet aspect ? Depuis, les têtes de citrouille, c’est danger.

Bruh.

Comment aurais-tu pu deviner que, lorsqu’il se battait contre un autre homme, Calcifer n’était pas en danger mais seulement en train de s’entraîner ? Comment aurais-tu pu savoir qu’il ne fallait pas lapider de graviers son collègue catcheur, quand tu les avais aperçus se filer des roustes comme des étoiles filantes, et que tout ceci n’était que spectacle ? Le temps que le quiproquo se dissipe, tu as bien failli y rester. Encore aujourd’hui, tu n’es pas sûr d’avoir compris pourquoi Calcifer joue à quelque chose d’aussi violent... mais c’est son métier, il paraît, alors contente-toi de l’encourager.

L’ange dans la maison sous la neige. Le daim des bois gelés, à la voix douce et au regard sévère, le tableau vivant qui semble bien embêté dès que tu t’approches. As-tu jamais vu plus délicate figure ? Elle varie souvent sans perdre sa joliesse, et malgré la froideur de son attitude il a l’âme telle une chandelle dans l’obscurité, dont l’éclat rémane chaleureux au cœur du blizzard. […]

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