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 All this time wasted and all this time gone

Jackalope
Nouveau-thé
Icône : All this time wasted and all this time gone - Page 3 Gmo7r8E
Citation : Entre un lièvre (jackrabbit) et une antilope (antelope).
Messages : 15
Âge : (~16-20 ans) 13 ans
Race : Nouveau'thé
Métier : animateur de la galerie des glaces
Avatar : OC par Evermace
Origine : Folklore Americain
Pouvoir : Lecture et manipulation des souvenirs
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Jackalope
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Nouveau-thé

Ce faciès… Il n’aime pas ce qu’il y voit. Une peinture de couleurs et d’émotions bien trop positives coloriant le visage de son ami-d’alice… Jackalope n’aime pas ça. C’est trop d’espoir, trop brillant pour être lui être adressé. Des yeux qui ne devraient jamais le regarder avec autant d’étoiles filantes auprès desquelles on formule mille vœux que l’on souhaite exaucés. La gorge de la chimère se sert en se demandant si le choix était le bon. Donner de l’espoir pour le voir piétiné n’est ce pas pire que de vivre dans des illusions d’un esprit espérant un lendemain ?
Oh, oui, les opportunités, lui il les a saisis. Quelques-unes lui ont apporté du réconfort. Mais n’était-ce pas un destin clément qui, après tant de souffrance, acceptait de lui laisser un peu de répit ? Comment se porterait son cœur si palpitant d’espoir, si de rejet, il s’était arrêté face au non de son merveilleux reflet ?
Miettes, balayées par le vent, il ne resterait rien de lui. Sans doute ne serait-il plus, délaissé dans un nouveau caniveau avec nulle pomme pour le sauver cette fois-ci. Jackalope a tout abandonné pour saisir une chance qui lui a souri.

N’est-il pas en train de trop la provoquer avec cette fois ce statut avantageux d’être étranger à tous ces drames ? Si les choses cassent, il n’en sera pas les brisures.
Quelle chance ! Quelle veine !
Quelle vie triste réserve-t-il à son ami.

N’est-ce pas une erreur, ne faut-il pas reculer ? Se figer pour ne pas se laisser entraîner, expliquer qu’encore une fois, il avait tord, que ça semble être son fort, et qu’il faut tout laisser tomber.
*Vient avec moi au parc, vient avec nous manger de la barbe-à-papa.*

Il a promis de lui faire découvrir plus tard les sucreries et les pop-corn mais si tout se passe mal, y aura-t-il un après ?

Il a déjà tant envie de pleurer.

Son cœur est si jeune, peu habitué à tant d'émotions, tant de contradictions. Un saut de la foi qui lui donne la nausée d’angoisse. Il se rassure, se dit qu’il pourra sonder les souvenirs des mères pour connaître le flot de pensées, savoir si une marée de regrets les a emportées. Et si non, comment expliquer ?
L’air manque à passer dans sa gorge nouée. Emmène-t-il cet ami tout juste retrouvé vers un destin enclin à la tristesse du rejet ?

Et comment lui dire ? Qu'évidemment que si, il va partir ? Sa vie n’est plus ici, dans les dômes chantant de pluie marine. Sortir des absurdités ? Dans ton cœur, à jamais ?
Il ne dit rien, sert tout juste la main un peu plus fort pour se souvenir une dernière fois de ce réconfort. Et il suit sans mot dire.

Il connaît le chemin. Combien de fois l’a-t-il suivi, le jeune pissenlit, espéré être remarqué et peut-être adopté ? Sans doute l’enviait-il un peu déjà d’avoir un foyer quand lui avait froid, et commençait déjà à construire son ressentiment à l’égard de l’enfant. Mais se serait-il laissé approcher, lui alors si sauvage ? Sans doute que non, se convint-il, alors il n’y a pas de regrets à avoir, conclut-il. Si bien qu'il se laisse guider comme si c’était la première fois qu’il faisait ces pas.

Arrivé devant la bâtisse, tout un bateau éventré et drapé pour être pansé, Jackalope stoppe le pas, murmure un “attend” qui peine à frayer un pas à travers son gosier et laisse flotter ses pensées. Son esprit est déjà confus, ses souvenirs se mélangent avec d’autres rêvées, d'autres données mais il faut qu’il essaye. Amortir le pot qu’il a lancé et qu’il espère non brisé à l’arrivée.
Y’a-t-il une porte d’entrée pour son intrusion ? Une Mère l’a-t-elle assez vu pour laisser un lapin cornu dans le paysage de sa mémoire ? Sa tête cogne comme un marteau mais fermant les yeux, la main serrée dans des doigts légers comme des gaines volant aux vent, il cherche.

Un souvenir, une pensée, un regret, l’envie de retrouver l’enfant prodigue…

Tout est bon pour éviter les tessons.
Quelque part en 591 Ap.A
Dandelion
Cutie & Bully
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Citation : forth from its sunny nook of shelter’d grass — innocent, golden, calm as the dawn
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Dandelion
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Cutie & Bully
Tap tap tap sur le granit humide, tap tap tap en écho derrière toi, les pas de Jackalope battent le contretemps des tiens et tu l’écoutes, tu écoutes tous les bruits de sa présence, sa respiration comme une ancre, le froissi qu’imprime la course sur ses vêtements, écoutes les cordes enfouies de ces pouls qui palpitent à l’unisson dans l’épiderme collé de vos deux mains, jusqu’à atteindre la coque renversée de ce lupanar fleuri — Le Bouquet, lit-on toujours sur l’enseigne à demi écaillée — et que la voix de la Chimère soudain vient rompre votre lancée. Tu obéis, malgré l’impatience. Malgré la fébrilité qui te gagne à la vue de cette bâtisse inchangée, peut-être un brin plus élimée qu’avant, faute d’avoir repeint la façade. Tu attends, sans le regarder, ton attention tout entière rivée à cette double porte qui en scelle l’entrée, s’ouvrira, s’ouvrira pas, et sur qui ou pour quoi ?

Dedans, des dix prostituées qui s’y fanent doucement au gré des ans, seules trois ont réellement aperçu ton compagnon du temps où vous traîniez ensemble, à la faveur d’une rencontre fortuite dans la rue ou parce que, curieuses, elles avaient laissé leur regard dans ton sillage quand tu revenais ébouriffé d’une après-midi à chasser l’étal et l’achalandage. Lilas, qui fut la plus investie dans ton éducation « scolaire » et t’appris à écrire ; Lavande, dont la capacité à ne jamais se plaindre ainsi que l’étrange goût pour le nettoyage l’assimilait souvent aux corvées de balai ; Primevère, qui toujours fumait ses racines de coquelicot alanguie sur le rebord des hublots. Si Lilas voyait d’un mauvais œil cette mauvaise fréquentation pour un adolescent encore incapable d’intellectualiser la moindre distinction éthique, ses deux collègues jugeaient à l’inverse qu’il était bon pour lui de connaître d’autres relations que celles avec une poignée de femmes plus âgées — de crainte, peut-être, qu’il n’assimilât auprès d’elles une vision biaisée du monde ou n’en copiât des traits ou des manières qu’elles auraient trouvées inconvenues chez un garçon. Et puis, que leur Dandelion se soit fait un ami, aussi répréhensible fût-il, n’était-ce pas le signe qu’il parvenait finalement à s’ouvrir de lui-même aux autres et à s’en faire aimer ? Comment, dès lors, envisager que ce fût un problème ?
D’ailleurs, après cette année de vagabondage, les sentiments de ces Mères à l’égard du meurtre d’Amaryllis ainsi que de ta responsabilité ont évolué, tant par usure naturelle qu’au gré des réflexions de celles qui ont bien voulu reconsidérer l’affaire sous d’autres angles. Même Jasmin, qui de par sa proximité avec la défunte avait été de celles qui avaient souhaité te mettre dehors sans délai, avait depuis amorcé un deuil réparateur et, ayant rééquilibré ses émotions, si elle te voyait maintenant, n’aurait pu te refuser un morceau de sa fameuse tarte aux pommes. De toutes, seules Orchidée et Volubilis te jugeaient toujours coupable, trop coupable pour redevenir l’innocent bouton jaune qu’elles avaient jadis accueilli sous leur giron, quand bien même, dans le cas de Volubilis, sa phase de lune ascendante était en mesure de rebattre les cartes — mais tu ignores à cette heure ce qu’il peut en être. Pivoine et Lilas, elles, n’ont jamais désiré se séparer de toi, un acte bien trop cruel à l’aune de ta jeunesse, sauf qu’elles n’ont pu s’opposer assez fort aux assauts angoissés, la panique à fleur de peau, qui avaient ravagé votre bateau à ce moment-là. Quant à Colchique et Muguet, peu à même de prendre une décision aussi radicale d’elles-mêmes, se souviennent surtout de la neige soyeuse de tes cheveux et combien elles ont détesté te voir arraché à la dépouille de leur sœur d’infortune.

Pourquoi Jackalope t’a dit d’attendre ? Aucune idée. Tu guettes la levée d’ordre puisque ce doit être important. Pourtant, en comparaison de l’émoi qui enfle dans ta cage thoracique lorsque tu vois la porte s’entrouvrir, à quelques mètres seulement de vous, ce n’est qu’une information trop vite submergée. Et tu pourrais être désolé pour sa main que tu serres soudain à en trembler, à en avoir mal toi aussi, quand tu distingues apparaître sur le perron la silhouette longiligne, un peu trop grande disent certains, trop plate pour une putain pensent les autres, élancée tel un roseau drapé de parme, de Lavande et sa pelle à poussière. Indifférente aux flots de la rue, elle va pour en jeter le contenu dans la rigole, son regard bas vers le sol. Mais tu dois la regarder si fort, avec autant d’intensité que tu tiens ton ami contre toi, qu’elle s’interrompt, l’âme sur le qui-vive, relève le menton puis accroche votre présence de l’autre côté de l’allée. Ses paupières sont deux bleuets qu’agite un vent imaginaire. Elle cligne. Cligne de nouveau. Feux d’artifice dans ton cœur. La pelle pique du nez et déverse son petit nuage à ses pieds, quoiqu’elle la garde toujours dans sa paume — essaierait-elle de signer quelques mots ? — non, elle n’y pense même pas. Feux d’artifices dans son cœur. Tu te retiens à grand-peine de sauter en avant, car en une seconde elle pourrait choisir de faire volte-face et refermer la porte en prétextant ne pas t’avoir vu. Il ne te manque que cette seconde pour sentir si, oui ou non, tu as l’autorisation d’y aller, si elle te la donne, parce que tu hésites encore — Jackalope a dit attends — et Lavande ne dit rien, elle ne peut rien dire de toute manière, c’est à toi de l’appeler

« MAMAN !! »

et tant pis si le monde entier t’entend.
Jackalope
Nouveau-thé
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Nouveau-thé

Comment ça fonctionne ?

Il n’en sait rien. Chercher un souvenir, et deux puis trois et les coudre en joli patchwork dans la tête d’un de ses “clients” ; vraiment, il n’en sait rien. Jamais n’a-t-il pu bien expliquer comment ça fonctionne, même pas à lui-même. Il y a ses rares moments où Jackalope se projette que rien n’est tout à fait acquis -après tout, sa voix ne l’est pas- et il se demande, s’il devait enseigner à un autre lui comment se déplie la toile du passé, comment ajuster puis lier… Et bien, sa réponse serait tout au juste maladroitement imagée.

C’est comme de la peinture. Tu cherches une tonalité précise, glisse ta vue et le bout des doigts dessus, à la légère sans t’y fixer, jusqu’à trouver l’idéal de ton tableau. Certaines fois tu déambules dedans distraitement, sans idée quoi chercher et un tube trop abîmé te blesse en accrochant ta peau. Par moment, des gouaches trop agressives te sautent si soudainement à la rétine que c’en est aveuglant. Même en frottant, tu restes coloré et meurtri. Alors, il faut se poser avant d’être dépassé et que tout aggloméré ne fasse trop mal. Prendre le temps de redevenir au mieux blanc de neige, au pire gris neutre.

Incompréhensible.

Aujourd’hui, il aurait dû s'arrêter. La tête amalgamée d’histoires qui ne sont pas les siennes, parasitant ses pensées et cauchemars, le lièvre-antilope sait qu’il aurait dû se terrer chez lui et taire cette migraine mémorielle. Mais il n’a jamais réussi à écouter sa raison le bercer jusqu’à l’endormissement et soulagement. Le crâne comme un fruit trop mûr prêt à exploser, Jackalope s’en est allé affronter des pigments éclatants et indésirables de ses démons passés.
Qu’il est maintenant apaisé, qu’il regrette amèrement.

Il a laissé ses phalanges mentales errer, flotter et les sent à présent écorchés. Le tube froissé qui abîme. Ses iris agressés d’un trop plein de douleurs et de couleurs, encore et encore, certaines plus ternes, d’autres beaucoup trop vives. Tout s’embourbe dans sa tête en une pâte de nuances informes, ce kaki que personne ne désire. Pas de ça, sur aucun canevas. Mais cet instant, dans sa vue qui s’étrique comme on regarde à travers une paille, les décors s'effacent sous cette bouillie infâme et bientôt il est noyé dans cette affreuse teinte dégueulasse.

Des Mères l’ont bien remarqué et il y lit à présent tout et rien, entre acceptation et colère, mais n’arrive pas à discerner une quelconque frontière entre les regrets des unes et le ressentiment des autres. Qui pense quoi ? Et comment, et quand ? Tout est brouillon.
Une mer de réminiscence ferme son rouleau sur lui, l’avalant entièrement. Seuls des doigts endoloris à être serrés trop fort lui servent d’heureuse bouée à garder le nez tout juste hors de l’eau.

Et puis.
Cet appel résonnant.

Qui le fait tanguer un instant, tant cet éclat traverse trop soudainement ses tympans bouchés de cotons. Il lève des yeux un peu trop embrumés -accusons l’humidité des lieux-, la mine un peu trop pâle -blâmons la lumière blafarde- et comprend. Oh. Ils ont été aperçus. Il regarde une seconde, comme un lièvre engloutit par les phares d’une voiture, résigné à la fatalité du choc à venir. Plus de marche arrière possible, hein ? Comme s’il y en avait eu une dès le départ, quand il avait prononcé ces mots idiots.

Tu veux les voir. Allons les voir. Ça, c’est simple.

Rien n’est simple. Et ça le rend malade de peur de ne s’en rendre compte que maintenant.
Mais plus question de rebrousser chemin. Plus le choix. Assumer d’avoir commis une nouvelle faute. Il ne semble bon qu’à ça.
Chancelant encore un peu sur ses pattes, Jackalope fait un premier pas, puis un autre, entraînant le pissenlit à sa suite, entremêlant leurs doigts en un encouragement silencieux.

Viens. Mais reste avec moi, OK ? Je…” Te protègerai ? Devant l’orage qui attend sans doute, Jackalope souhaiterai se faire paratonnerre, mais est-ce possible ?
Je…” me tiendrai quoi qu'il advienne à tes côtés ? Menteur, il rentrera à Mêmeland, les oreilles basses de chagrin une fois tout terminé.
Reste près de moi.” Car je suis là, et c’est tout ce qu’il peut offrir.

Quelques enjambées en avant, le cœur débordant, les paumes pressées l’une contre l’autre. Il aimerait dire bonjour, j’ai trouvé ça, ou bien ne l’abandonnez pas. Mais sous un brouhaha de silence, seuls leurs pas à l’unisson font un bruit, étouffé par le cri de ses pensées.
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Dandelion
Cutie & Bully
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Cutie & Bully
Ta propre voix résonne dans ton crâne comme si elle ne t’appartenait pas. L’écho s’en fait rêche, affolant presque, et tu aurais sursauté de ce cri que la joie n’éclaire pourtant pas, cri de désarroi, d’alerte, pareil à celui d’un oisillon que terrifie l’abandon — ne me laisse pas, qu’il semble signifier, ne me laisse pas de nouveau —, ce qui explique pourquoi tu n’oses encore t’avancer. Tu as beau savoir, et te souvenir, que cette mère-là ne pépie pas, ne chante ni ne piaille jamais, ton esprit trépigne d’entendre ton nom dans sa gorge, son appel consolant capable de transformer ta détresse en allégresse. Lavande se tient debout face à vous, immobile, en suspension telle une ballerine, et à tout instant pourrait se dire « j’ai rêvé, ce n’était pas lui » puis repartir, mais elle demeure ainsi avec pour seul langage les bleuets pailletés de ses paupières, à attendre que tu confirmes ta réalité.
Toi, tu la fixes comme au premier jour du monde, le myocarde si exalté que tu en oublies tes jambes. Ton corps de coton fébrile. Dans cet état, tu trébucherais au moindre pas, surtout sur ces pavés constamment humides de marée, à moins que ce ne soient tes yeux dont la cornée picotante te renvoie l’image sous-marine de cette rue que verglace la lueur des réverbères. Vrai, combien de battements de ton cœur en apnée laisses-tu être engloutis par ton inertie ? Depuis combien de secondes tes nerfs se noient-ils, pris de crampes, incapables de se débattre face à l’électrochoc de ces retrouvailles ? Il te faut Jackalope pour enfin t’arracher à ton trouble, lui qui grignote ta vision de sa silhouette et dérobe ton attention à ta mère afin de mieux t’emporter vers elle. Son ordre veloute à tes tympans, dépourvu de rudesse bien au contraire, alors c’est à peine si tu montres la moindre résistance contre sa poussée en avant ou si tu devines l’accent timoré tapi sous sa langue : là devant vous, à chaque pas davantage, Lavande se fait plus grande, plus réelle, plus précise. Plus proche. Le tissu de son déshabillé dévoile son motif floral, ses ongles leur vernis rosacé. Le noir caresse de ses prunelles brille à travers son émoi, te brûle les yeux en retour. Si tu ne te mets pas à pleurer en plein milieu de l’allée, ce sera un miracle.

Tu tiens, pourtant.
Te retiens, tant que tu gardes cette main amie
rivée dans la tienne.

En reflet, Lavande se décide à déplier une jambe sur le perron. Lâche son outil, quasi au ralenti. Descend les quelques marches avec la prudence de celle qui croit qu’elles s’écrouleront sous son poids. Puis se baisse imperceptiblement, ouvrant ses bras pour cet enfant qui n’en est plus tout à fait un, qui ne la dépasse pas encore, peut-être un jour, ce sera difficile vu comme elle est grande mais on peut toujours espérer. Elle n’a que son corps pour parole, néanmoins celle-ci s’entend avec une clarté assourdissante, à en réveiller tout le quartier. Viens te blottir contre moi tout entier. C’est son sourire qui hurle le plus fort.
Sans t’en rendre compte, tu as dépassé Jackalope d’une foulée. S’il n’y avait pas ce lien de chair entre vous, certes, tu te serais envolé, cependant ton instinct se refuse à le lâcher puisqu’il fait partie intégrante de cette réunion, que sans lui, il manquerait quelque chose. Quoique incapable d’en formuler la pensée concrète, tu veux aussi que Lavande le reconnaisse et l’accueille de la même manière, car de sûr son étreinte est assez ample pour cela. Seul, cependant, tu t’y niches le premier — occultant le reste du monde dès lors que tu te fonds dans l’espace de ses bras — quand elle te cueille avec la délicatesse qui fait toute sa notoriété. Parfum d’algues et de fleurs d’été. Même quand elle te serre, ses os sont de plume.
« Mam-… »
Tu réprimes par le silence le sanglot qui menaçait d’éclore en son nom. Enfouis ton visage dans son col, souhaiterais te faire souris pour t’y terrer à l’abri. Du bout des doigts, le poignet retenu en arrière, tu sens toutefois la présence de Jackalope sur le point de rompre, lui qui ne s’est pas risqué à partager votre embrassade ; son retrait, au cœur du bonheur, se mue en un rai d’effroi qui te traverse. Et si, à la seconde où tu te retournais, il avait disparu ? S’il s’était enfui à la faveur de ton inattention, s’il te détestait encore une fois ?
Où es-tu ?, appellent tes phalanges qui s’agitent dans ton dos tandis que tu te dégages légèrement du giron lavandin. Perspicace, elle cède un peu de vide entre vous, en profite pour redresser la tête vers la créature aux bois dans ton sillage. L’interroge du regard, sans trop savoir s’il comprendra.

« …C’est Jackalope. Il est ami ! »
La prostituée l’avait reconnu avant ton explication, mais acquiesce à ce nom révélé. À cet instant, il pourrait représenter une menace qu’elle ne songerait d’abord qu’à le remercier de t’avoir ramené en vie, et cela se lit dans le puits aux fées de son regard qui glisse de l’un à l’autre avec la même pétillance. Elle signe quelques mots devant vous mais, constatant très vite avec dépit qu’ils ne te parlent pas, ne te parlent plus — tu as tout oublié hormis les mercis —, abandonne pendant que tu cherches à te raccrocher aux griffes de ton camarade sans doute tout aussi perdu que toi. Faute de pouvoir communiquer par les gestes usuels, elle opte alors pour une version minimaliste ; pointe vos paumes collées puis crochète ses deux index tout en observant vos réactions, guette ton approbation que tu offres en hochant la tête avec vigueur, envahi d’une émotion neuve où la fierté rejoint l’affection.
« Jackalope est gentil, tu ajoutes, confiant, à l’instar de cet adolescent qui tente d’amadouer son parent pour lui faire adopter un chaton en dressant la liste de ses qualités. Dans la rue, avant, il dit pardon, et moi aussi. Il me aide, pour me ramener ici… S-simple. P’il reste avec moi, oui ? »
Malgré le babil confus que tu lui sers, elle saisit tout de suite où tu veux en venir — en un mot, vous vous êtes réconciliés — et en réponse, t’attire derechef contre elle en invitant, d’une main ouverte, ton compagnon à se joindre à vous.
Jackalope
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Nouveau-thé

Là devant vous, à chaque pas davantage, Lavande se fait plus grande, plus irréelle et… plus… floue.
C’est ainsi, il voit mal et ce soir, même ses différents sens lui font défaut. Le souffle caché dans sa cage d’os, le cœur pianotant quelques fausses notes désordonnées, lui, lièvre-antilope se concentre, oublie le reste. Autour d’eux n’existe plus.
C’est simple. Un pas devant un semblable. Rien d’autre.
C’est simple.

Tout se complique au moment où son complice le dépasse pour trouver les bras accueillants de cette maman.
Comme c’est amusant, perce une perfide réminiscence, car jadis, Jackalope croyait que “Maman” était un prénom. Il avait été surpris par ce conglomérat de Maman en un seul espace quand, plus jeune, Dandelion balbutiait quelques mots confus à ce sujet. Le jour où il a compris que ce serait une chose dont il avait été dépouillé dès son apparition, il s’est senti imbécile.
Son secret, jamais avoué, lui qui tire une fausse fierté d’être ni naïf ni idiot, ou d’en préserver l’illusion. Pour les autres. Pour lui.
Bien sûr qu’il a tout de suite su ce qu’une maman était. Et il n’en a jamais eu besoin !
D’autant que Wolpertinger lui suffit à présent.

Si bien qu’il louche sur cette embrassade, spectateur, et la décortique. Elle est si divergente de celles dont il a l’habitude avec son merveilleux reflet dans le miroir (dont il n’est qu’une copie ratée) quand dans les bras féeriques il a une impression d’appartenance.
D’un chez lui.
Ici, c’est différent, ce câlin est étranger.

Ah. Non, c’est ça…
C’est lui l’étranger.

Il revêt son effronterie en armure et se détache mentalement quand des mains de coton lui interdisent de le faire physiquement. Il secoue un peu le poignet comme pour se défaire de quelques miettes d’affections collantes, avant de serrer les doigts pour piquer de ses griffes les paumes liées en guise d’avertissement.
Où es-tu ? Il est là. Ne le sens-tu pas ?
Petit soupire rêche, moue qui regarde sur le côté pour se présenter bougon et sauvage, prêt à partir et à être délaissé. Il hésite à blesser pour se dégager. Pourtant, au premier regard interrogateur de la femme, Lope se fixe sur place en oubliant son agressivité et ses citrines prennent le chemin du visage délicatement colorié de maquillage. Les paupières en deux papillons jumeaux virevoltant et dansant au-dessus de deux pâquerettes sombres, le cœur en iris et les pétales en cils, il trouve ça joli. Mais il faut que Dandelion gâche tout.

Ami.
Certes, non.

Gentil.
Pas du tout.

Pardon.
Stupide, le connais-tu si mal ?

Reste.
Ton chagrin sera ta faute.

Jackalope triche.
Ment.

Son quotidien avec le larcin en art, sa voix n’est pas sienne, les excuses ont été volées et il dépouille cette touche d'affection bientôt délaissée sur le perron d’une barque à fleurs. Il n’est qu’une créature égoïste qui écrase les autres pour vivre. Il hésite même à la prendre pour lui seul, cette l’étreinte offerte.

C’est la caresse d’une maman.

Une qu'il n'a jamais eu. Il a envie d’essayer, pleurer qu’il est tellement fatigué, se faire consoler, gronder, qu’on s’occupe de lui plutôt que de le laisser jouer à l’adulte. Son masque se fissure et soudain, son regard se fait fragile. Alors, alors, il rejette l'invitation, secoue la tête en un non silencieux. Cet instant n’est pas sien, il refuse de le dérober, craignant que perdre soit plus douloureux que l’ignorance.

Es-tu si bête Dandelion ? Es-tu si sotte Maman ? Laissez-le tranquille.

On ne peut pas regretter ce qu’on ne connaît pas.
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En elle tu te fonds, entre ses bras te confonds, répondant à l’étreinte aussi naturellement que tu respires, et nimbé de son parfum te serres autant que possible contre son ventre comme s’il t’était permis d’y rentrer tout entier, petit lapereau cherchant le confort de son terrier, à disparaître dans le pelage de sa mère. Lavande n’a pourtant jamais été des plus engagées dans ses cajoleries, préférant te tapoter le sommet du crâne ou te tenir la main plutôt que de t’accueillir sur ses genoux ou dans son lit, mais pas une fois n’as-tu douté de son affection à ton égard, et sa réaction à cet instant parle d’elle-même quant à l’inquiétude qui fut la sienne durant l’année écoulée. Bien qu’elle soit privée de parole, ses gestes gardent le ton qu’elle aurait eu si ses cordes vocales avaient fonctionné, la douceur dont elle aurait enrobé ses mots, le calme timoré de ses murmures, celui-là avec lequel elle propose à Jackalope de se blottir à son tour.
Dans ta paume hante encore le fantôme de ses griffes, cette piqûre dont tu ne sais si elle fut volontaire ou non — n’y prête aucune intention particulière, car l’hybride est ton ami et les amis ne se blessent pas, n’est-ce pas ? —, et durant un instant tu ne prêtes pas attention à ce qui se passe autour de toi, à demi enfoui que tu es dans cette efflorescence violette. Alors c’est elle qui voit, qui se confronte au refus de l’adolescent, à son regard éraflé par ce mélange de répugnance, de gêne, de détestation qu’elle ne croit pourtant pas dirigée vers elle ni vers Dandelion. À moins que ? Elle a cet imperceptible recul de surprise, ce battement de cils stupéfait comme si elle craignait qu’il ne se montre soudain hostile, sans parvenir à déchiffrer véritablement la tourmente à l’œuvre dans le cœur de ce petit. Mais n’insiste pas. Referme avec lenteur son second bras sur la fleur sauvage, les yeux toujours accrochés au lièvre-antilope. Est-il vraiment aussi amical que le prétend l’alice ? Se sont-ils réconciliés de manière réciproque ? Elle qui sait combien il est simple d’user de la crédulité de l’enfant perdu, d’abuser de son intellect à la traîne, de lui promettre monts et marées sans lui offrir qu’un caillou au fond d’un verre d’eau, et ce sans qu’il n’en nourrisse le moindre grief — oh, on dirait une souris qui se baigne ! qu’il s’exclamerait sans doute — avec ses syllabes maladroites, sa grammaire précaire, elle qui sait à quel point il est aisé de le faire pleurer, est-elle si certaine des bonnes intentions de ce garçon ?

« Tu traînes, ‘vanda, qu’est-ce qui te retient ? »
Aux fumeroles d’une cigarette de pavot succède bientôt, sur le seuil du navire renversé, l’apparition d’une seconde silhouette féminine. Plus courte de deux têtes, carré sombre et rouge à lèvres myrtille, les onyx de ses prunelles tranchées à l’horizontale par deux lames charbonneuses, avec sa robe fourreau si relevée qu’on distingue l’attache de ses bas filés, Primevère passe le buste à travers la porte. Cligne trois fois. Laisse tomber sa racine incandescente, comme ça, à ses pieds nus.
« Purin… mais non..?? »
Lavande a pivoté d’un cran pour révéler ta présence à sa collègue, laquelle s’avance avec une suspicion mêlée de stupeur sans même ramasser son morceau de vice. Son regard abîmé bondit de toi à Jackalope, rattachant en un clin les chariots de ses souvenirs — vous deux, quelques années en arrière, à gambader dans le quartier les poches pleines de vos rapines, de la mauvaise graine à la volée —, à l’époque où elle ricanait autant de voir Lilas excédée par ton comportement insouciant que de te regarder tomber sur le pavé, beaucoup plus imbécile que ton compagnon. Parce que Primevère n’est pas tendre, ne l’a jamais été, trop écorchée pour cultiver encore la moindre bienveillance ; néanmoins, elle ne cherche ni à provoquer de la souffrance ni ne se ravit du malheur d’autrui. Volontiers cynique, maussade et effrontée, elle n’a ouvert son cœur à ta présence qu’avec la froideur d’une maman hyène.
Hyène d’abord, mais maman quand même.
Et quand tu entends sa voix rêche, encrassée de suie, tu t’écartes du giron de Lavande, prêt à te précipiter vers elle dès que cette dernière acceptera de te relâcher. Pas qu’elle te serrerait avec autant d’effusion que sa camarade, cependant, voire elle tendrait les bras pour t’empêcher de te coller à elle avec tes habits sales, l’air vaguement dégoûtée quoique sans brutalité. Même si, dans l’immédiat, son attention est aussi accaparée par l’autre vilain petit canard.
«Dis, c’toi qui l’as ramené ? »
Malgré son accent, elle n’éprouve aucune hostilité envers lui. Elle ne veut qu’une réponse.
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Quelle ironie, quelle agonie ! Être en accord avec son ancien geôlier, quand là où l’on souhaiterait entendre les oiseaux chanter, ceux-ci s’effacent pour que soient éructées les sonorités d’injures. Le nouvel apparut les a discernées, assimilées jusqu’à les sentir se gangréner. Mais faut-il s’en froisser si on y trouve un fond de vérité ? Déception, gâchis, très bien, il a compris, il le sait. En réponse, il a appris à tromper. Il est né en faux, il se vêt de semblants.
Jackalope ment.
Tant et si bien qu’il a fini par croire aux vipères s’écoulant de sa bouche. Ce sont ses réalités.

Je suis un Jackalope !
Mensonge.

Je vais bien.
Mensonge.

Je ne regrette rien.
Mensonge.

Je vais bien dormir ce soir.
J’ai hâte d’être à demain.
Vers un futur radieux.

Mensonge.

La vie est belle.

L’invitation à une proximité, pourtant tant recherchée, s’arrête quand les bras se referment sans lui dans leurs cercles.

Je n’en ai pas besoin.

Dandelion disparaît en eux et pendant un temps, le lièvre antilope se sent devenir invisible dans ces retrouvailles.

Tant mieux, c’est ce que je voulais.

Douce-maman adresse un regard oblique, l’hybride hausse les épaules en guise de réponses, maintenant désintéressé de l’instant. Voilà, son rôle est à présent fini, toutes tumultes tuent dans cette embrassade désespérée.
Effectivement, c’était simple.
Ce monde dont il est visiteur, qu’il a même rejeté, il doit le quitter. Jackalope n’est que de passage, un élément lointain du paysage. Peut-être qu’en secouant une nouvelle fois le poignet, ce fruit d’affection trop mûr à en être désormais spolié se détachera. La petite fleur a retrouvé son champ, n’est-ce pas suffisant ? Nulle place pour lui et sa rancœur dans d’autre cœur. L’amour est une ressource limitée. À trop en vouloir ou en donner, on finit par ne plus rien posséder, car on ne peut obtenir du bon sans du mauvais. Gagner, c’est perdre.

Le train des pensées s’accidente quand une différente actrice arrive dans ce théâtre improvisé. La voix un peu abrasive émousse la volonté du nouveau'thé et le temps d’une inspiration, Jackalope se raidit de crainte, les oreilles basses. Pris en faute.
Faut-il qu’il soit naïf pour oublier les réminiscences volées, avoir goûté les nombreux sentiments, de l’avenant aux plus dérangeants ? Il a promis à son idiot d’être à ses côtés jusqu’au bout pour veiller, alors enhardi, il s’avance enfin. Lui qui était resté jusqu’alors à bout de bras s’en retrouve à portée.

Frappe-moi, ça ne me fait plus rien.

Maman-Cigarette fait-elle partie des ombrageuses ?

Je ne crains pas la foudre.

Le souffle profond, la chimère penche la tête sur sa droite, geste tant maintes fois exécuté qu’il le fait sans réfléchir. Un jeu si bien acté qu’il pourrait être crédible si son visage n’était aussi fermé qu’impassible. La fatigue le cloue au sol, son esprit en miette fissure son être.

« Car» Il tousse, puis se reprend « Car vous l’aviez perdu ? » Sa tête oscille de l’autre côté. « Et maintenant, voulez-vous le récupérer ? » Ses doigts se resserrent sur la main de l’alice. « Ou dois-je l’emmener avec moi ? » Les picotements cessent quand le pouce va et vient sur la peau de son jeune semblable avec une tendre douceur.

Jackalope sourit, enfin, avant de lâcher un petit rire moqueur.

« Je vous le déconseille, je suis une sale bête. Qui sait ce que je ferais de sa stupide candeur. »

Je n’ai pas peur.
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Dandelion
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Les iris de Primevère brillent telles deux gemmes d’obscurité incrustées dans un trou de cendres. D’un bleu morbide sont ses cernes, l’arête de son nez taillée à la serpe, puis sa bouche rude qui préfère délivrer des morsures plutôt que des baisers. Et malgré l’accent éraflé de son verbe, malgré ses éclats de gueule qui te poussaient à t’enfoncer sous les draps comme si tu en étais le coupable, tu te souviens autant d’elle pour sa sécheresse de caractère que pour les démonstrations erratiques de tendresse qu’elle savait te prodiguer à sa manière ; quand dans le dos de Jasmin elle chipait un biscuit dans la cuisine sans raison autre que de te l’offrir — mais ne dis pas que c’est moi —, quand elle te frottait le sommet du crâne après t’avoir accidentellement bousculé ou effrayé, avec pour tout mot de réconfort sa moue maussade l’air de dire c’est rien, arrête de geindre, quand les fois où tu t’approchais d’elle à dessein elle te déplaçait toujours du côté où tu ne recevrais pas la fumée de ses cigarettes dans le museau. Puis la risette éreintée, à peine esquissée, qu’elle laissait échapper quand tu lui rapportais sa pile de vêtements propres après la lessive, son odeur âcre de terre brûlée, ses ongles rongés jusqu’au sang. Si tu ne possédais qu’un unique souvenir de cette Maman-là, une image emblématique, ce serait la seconde où sa silhouette à demi-avachie contre le rebord de la fenêtre, une racine de pavot en train de s’étioler entre ses phalanges, des ecchymoses plein les bras et le regard naufragé dans le vague à l’âme, expirant avec lenteur un nuage délétère ainsi qu’un châle dont s’envelopper. Avant que Lavande ne vienne lui rapporter les pantoufles élimées qu’elle a naguère balancées dans les escaliers en rageant.
Ces deux fleurs traînent souvent ensemble — sans qu’elles aient cultivé une attraction d’ordre plus secret à l’instar de Pivoine et Lilas — parce que de toutes ses consœurs, Lavande est de loin celle qui tolère le mieux les excès sanguins de Primevère. Que son mutisme ait joué un rôle ou non dans le fait que cette dernière ne hausse jamais le ton contre elle, en retour, elles ont ainsi développé une sorte de complémentarité détonante, une proximité telle qu’à quelques exceptions près, l’une ne va jamais sans l’autre. Et que lorsque Primevère semble sur le point de faire une bêtise, Lavande intervient toujours en vue de désamorcer l’incident.
Comme maintenant.

Les explications du lièvre-antilope ne sont pas pour satisfaire la fumeuse, en effet, ni ses interrogations orientées ni sa trogne persiffleuse, et encore moins la tonalité rêche qu’elle perçoit perçant dans son phrasé, pareille à une boutade moqueuse. Si elle le rencontrait pour la première fois, elle lui aurait sans doute fait la nique en guise de réplique, Lavande ou non pour tempérer. Sauf qu’elle sent bien, au mouvement que celle-ci fait pour s’immiscer entre eux deux, avec ta menotte libre toujours grippée à son giron, qu’il vaut mieux la penser tranquille. Pas docile, non, ça elle ne sait pas faire, mais paisible, a minima. Manque de chance, les hyènes ne savourent que trop peu la paix pour être capable de la construire d’elles-mêmes.
« Toi, une sale bête ? » Poings sur les hanches, penchée d’un cran vers l’avant, son bref ricanement n’a rien d’amusé. « Qu’est-ce tu vas faire alors, l’manger ? L’dépouiller pis l’abandonner ? Ha ! » À dévoiler ses dents à l’émail grisâtre, elle croit pourtant bien que c’est elle, la plus galeuse.
Tandis que Lavande secoue la tête avec inquiétude puis te relâche pour lever à mi-hauteur les bras entre les deux animaux, tu en profites pour reprendre contact avec le reste de ton environnement et donc avec cette infime caresse sur le dos de ta main, te retournant vers ton ami dont tu ne reconnais plus la figure attendrie. Quoique tu n’aies guère compris l’avertissement qu’il vient de prononcer à ton indirecte encontre, tu sens confusément que quelque chose ne va pas, que peut-être y a-t-il un message à lire entre ses griffures et ses cajoleries ou ailleurs sur son minois froncé, froissé, dans ses mimiques d’oiseau contrarié. Le comportement de ta deuxième Maman n’est pas pour te rassurer non plus, quand dans ta caboche fêlée tu as l’impression qu’elle intimide ton compagnon afin de le chasser — mais si choix tu dois faire, vers qui te tourneras-tu ?

Ton corps a décidé avant même que tu n’y songes. D’un pas tu t’es décalé vers le garçon, ton autre main descendue pour capturer la sienne une nouvelle fois, tout à la fois douce et résolue, telle une carapace de métacarpes dessus dessous, prêt à le tirer à toi s’il cherchait à se libérer d’un geste brusque.
« Tu dis quoi ? lui demandes-tu, parcouru de crainte face à l’ambiance étriquée et de curiosité simple envers ces mots qui s’échangent à des années-ténèbres de ton entendement. Viens, on rentre dans la maison, hein qu’on rentre d’abord, pis Jackalope y reste ? Y reste avec moi, moi je fais bien le tout, le tout pour lui comme ça on le reste nous tous, oui ? » Cette seconde réclamation s’adresse aux deux femmes, l’une après l’autre, avec de ta part une hochement de tête convaincu à l’appui — de quoi les empêcher de refuser. Après tout, c’est sûr qu’elles vont accepter de le garder, pourquoi ne pas ? Rien ne justifierait qu’elles refusent, tu y crois aussi dur que le verre des dômes, aussi certainement qu’elles ont la sensation que tu essaies de leur faire adopter un petit animal et qu’elles se retiennent de briser net tes espérances.
Puisqu’à l’intérieur, elles ne sont pas toutes promptes à célébrer ton retour.
Et encore moins accueillir une sale bête d’étranger.
Jackalope
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La hyène montre les dents, Jackalope met sa joue en avant avec provocation, conviant l’attaque. Viens mordre sa peau jusqu’au sang, le lièvre ne glapira pas, serre la mâchoire à lui en briser la nuque, l’antilope ne pleurera pas. Deux désignées proies et lui, leur enfant, refuse de céder aux carnivores.
Maman Cigarette pense-t-elle mériter ses bleus au bras, ses yeux éteints, son caractère âpre, façonné d’un burin et marteau du quotidien ? Qu’elle ne puisse se défaire de ses chaînes, la chimère ne lui en veut pas ni ne la juge. Mais il souhaite profiter encore de sa jeune naïveté pour croire qu’il a la force de se débattre et ne pas rester accidenté de la fatalité. Laisser aller, ce serait accepter ses premières années, les coups, le sang agglutiné sur une lavette savonneuse et sa mort programmée. Il est apparu et, pas de chance, cet univers désire son tourment, car il y a des privilégiés de naissance, les monstres sont mis au pouvoir et c’est simplement l’ordre naturel des choses. Pour contrebalancer, alors, il doit y avoir de malheureuses existences et un peuple abandonné.
Qu’importe le quidam, son passé, son futur, ses actes, ses pensées, le hasard annonce la sentence : souffre jusqu’à en crever, car…
Le monde est ainsi fait.
Être écrasé par les plus forts, toute sa lamentable vie.
Courbe l’échine et accueille le bâton à venir. Il les a assez supportés.
Ou il aurait mieux valu mourir de faim, allongé sur un pavé d’indifférence.

Instinctivement, sa main se serre et la chaleur qu’il sent paume contre pomme a un goût de sucre dans sa gorge. Ses convictions prennent courage.
L’inéluctable danse avec le voile des apparences et lui essaye de dompter l’un en jouant avec l’autre.
Le pense-t-elle innocent ? Vraiment, ce n’est que d’allure. Sa petite taille, ses cheveux soyeux aux reflets dorés, ses yeux de miels sont tant de douceurs qu’il maquille de faux-semblants pour s’éclipser.
Mais que tombent les masques quand il absorbe la chicane de Maman-Cigarette comme un nouveau fouet de ceinture. Il en a connu pire sans gémir, ces mots-là l’émoussent à peine et il les défie d’un regard dur, sourire en coin.
Je suis une sale bête. Jamais Jackalope, créature de tout mensonge, n’a autant dit la vérité.

Vas-tu le manger ?
Qu’il commence ou non, rien n’a d’importance, car les Otherlands auront tôt fait d’avaler l’ingénu si la situation reste telle quelle. Maman-Cigarette est-elle avariée, a-t-elle déjà été digérée et recrachée, où se place-t-elle dans la chaîne alimentaire ? Jackalope croit pourtant bien plus en elle qu’en lui pour éviter le pire.

Vas-tu le dépouiller ?
Idiote de maman, c’est précisément le problème : il ne fait que ça. Il vit des écorchures qu’il inflige, tuant sa culpabilité potentielle en comptant « un imbécile de plus » plutôt que « trente et une victimes ». Il lui arrive d’avoir la curiosité morbide de scruter les regards hagards des alices perdus dans la galerie des Glaces, entre illusions et souvenirs brodés d’un fil de fabulation, et désormais saignés de tout.
Jusqu’à leur dernière goutte d’espoir.
S’il est bourreau, il ne pourra plus être supplicié. Puis dans la pire de ses craintes, il écorche Wolpertinger de sa féérie.

Vas-tu l’abandonner ?
Sa soirée ne fait que lui chanter le futur canon d’une mélodie de jadis. Il a délaissé, une première fois hier, une deuxième fois aujourd’hui et souhaite se prémunir contre la troisième fois de demain. N’a-t-elle pas compris le lien entre le chagrin de l’un et la disparition soudaine d’un quelconque quotidien de l’autre ?
Ou Dandelion est-il rentré sans pleurer…

Si peu de mots, Maman-Cigarette, tant de faux. Il serait facile de les prendre, jongler malicieusement avec et les rendre dans les dents, plus mordants et ardents. Les feuilles de pavots séchées ne sont pas les seules à brûler.
Mais il y a Douce-Maman, qui apaise les braises, et relâchant un peu ses muscles tendus, la chimère cèle sa voix que la fatigue fait dérailler. Il ne lui a pas volé l’amour qu’elle lui proposait, mais il veut bien lui offrir un peu de respect.

Ses doigts se décrispent aussi, pour soudainement être pris en étaux, dans une cage de phalange. Ça le surprend. Jackalope inspire, tressaille à la façon d’une bête dans un piège et ses oreilles s’agitent de soubresauts en accompagnement d’un bond en arrière raté. Sa main reste attrapée et il déteste cette sensation de prison. Mais quand l’idiot parle, c’est tant de graviers qui passent ses murailles et ces paroles-ci, elles font mal. Le visage en détresse, il lève son autre bras avant d’éructer :

« Mais on s’en f… ! » fout de moi. Ce n’est pas la chose à dire et il le sait. Lui qui n’a même pas essayé de faussement articuler, éteint son éclat. Il prend une respiration, clôt ses paupières, et expire lentement. Sa figure douce se recompose, sa main effleure les cheveux blancs. « On s’en fera pour moi après, oui ? » Oh non, pas ça… « D’accord ? Pour l’instant. Simple. Tu as… une famille et une maison. Tu veux les revoir. » Un regard glisse sur les deux femmes, toute défiance l’en ayant quitté. « Et tu dois y aller. Elles prendront soin de toi, c’est bien trop dangereux dehors. »

Par quel putain de miracle as-tu survécu ?
Il tourne la tête vers les mamans et cette fois, sa bouille se froisse d’appréhension quand dans un soupire las, il murmure tout bas :

« Il peut reste… Rester ? S’il vous plaît… »

Car lui ne peut pas le garder, et encore moins le protéger.
Il est bien trop cassé.
Le parpaing de la réalité sur la tarte aux fraises des illusions
Dandelion
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Tu suis sans tout comprendre ce qui se déroule sous tes grands yeux d’idiot — dans ta cervelle en coquille de noix, la lumière perce à tous les étages —, tu suis sans savoir, sans pouvoir, consolé seulement par cette paume engluée à la tienne et ces bras de fée non loin de toi, Lavande en muraille florale contre cette joute dont tu es, pourtant, le nerf de guerre. Toi tu t’es jeté sur la piste, inconscient du galop des montures qui trépignent sur leur ligne ensablée, tu t’es jeté dans l’arène face aux gueules béantes des fauves en t’imaginant des chats, l’impromptu naïf entre deux fronts belliqueux prompts à se rentrer dedans, puisque dans ta caboche perforée de soleil il n’existe nul ennemi. Et même quand Jackalope, d’un sursaut sauvage, se cabre en réponse à ton irruption, ton frisson ne camoufle rien que de l’inquiétude à son égard. Est-ce que Primevère le dérange ? Est-ce qu’il se sent en danger face à la sécheresse de son comportement ? Tu n’as pas le loisir de le rassurer là-dessus qu’il se permet de te cajoler une nouvelle fois sans que tu ne t’y dérobes. Ses phalanges comme un bonbon. Sa caresse au goût de nuage. Malgré la confusion qu’attise en toi la situation, il ne suffit que d’un geste, de ces quelques mots où trébuchent plusieurs timbres familiers, pour que tu te ranges sous l’ombre de ses bois. Jackalope a dit simple. Jackalope a dit maison — et c’est vrai, que sa main y ressemble — alors tu y crois.

D’un pas, Lavande s’est coulée vers Primevère. La comète bleutée de ses paupières surligne deux trous noirs rivés dans votre direction, deux billes de compassion scrutant vos réactions d’enfants afin d’y déceler la trahison à venir, celle qui vous pend au nez, s’inquiétant du fait que tu ne puisses intellectualiser vraiment les enjeux de ces retrouvailles. Pas qu’elle suppose qu’en un an, tu aies gagné en rationalité ni en entendement, encore que. Un pouième, peut-être. C’est surtout qu’elle sait être impuissante à t’aider au-delà de ses câlineries ; sa langue entravée ne délivre aucun son que tu saurais saisir, et en l’état sa collègue ne fera aucun effort pour jouer les traductrices, la faute à ce petit lapereau à cran qui n’a pourtant rien demandé qu’à ce qu’on prenne soin de toi. Sur son visage, la navrance froisse joliment l’écart entre ses sourcils quand elle l’entend te dire au revoir — quand elle devine qu’il ne restera pas, lui, qu’il ne s’est jamais compté dans l’équation et que tu n’as toujours pas appris à les résoudre. Quand elle comprend donc que c’est elle, et elle seule, qui devra te retenir au moment où vous vous séparerez, qu’à elle incombera la tâche de te garder contre elle, à ton corps désespéré, pour que tu ne disparaisses pas une nouvelle fois dans le sillage d’un rêve, qu’elle se fera tout à la fois l’ancre et la chaîne, l’amarre et la clôture, où tu te sentiras piégé et rassuré, emprisonné et réfugié, le temps que l’image de cet ami se dissipe au tranchant d’un coin de rue. Un rôle imminent auquel elle se prépare dans le silence de ses regards, puisque quoi qu’il arrive elle se trouve incapable de s’y opposer.
Quant à Primevère, sa moue en guise de réponse, elle est trop occupée à se retenir de grincer des dents face à ces infimes déraillements d’accents pour tenter ne serait-ce que de prendre parti pour toi et ainsi t’éviter une rupture douloureuse telle qu’elle adviendra d’ici quelques minutes. Que tu pleures, ce sera bien la dernière désolée, elle qui t’a toujours considéré comme un chouineur, même si elle aura du mal à masquer son désagrément devant une Lavande malmenée par tes larmes. Parce qu’elle la voit si nettement, cette terrible scène, elle l’entend déjà, ce nom dans ta gorge nouée de détresse, tu l’appelleras sans qu’il ne se retourne, tu le supplieras de revenir, de ne pas te laisser — Jackalope a dit reste avec moi et tu le crois, tu le crois encore — tandis que Lavande mettra toutes ses forces à t’empêcher de le rejoindre, que tu lui grifferas la peau sans t’en rendre compte, sans chercher à mal, qu’elle te lâchera peut-être, par fatigue, par désarroi, alors Primevère devra intervenir, vite, se tenir prête à t’attraper le col, la main véloce, prompte à s’abattre sur ta joue en vue de te calmer, à cet instant rien d’autre ne fonctionnera que cela ou, plutôt, rien d’autre ne lui viendra à l’esprit, pas qu’elle aura cherché longtemps, d’ailleurs, ce n’est pas Lilas, Lilas à la patience légendaire. Il n’y a aucune issue heureuse à ce moment. Et ça lui donne envie de taper quelque chose.

« Dan, viens là. »
Qu’elle fait sévère avec un signe de la main, sans répondre directement à la requête du voleur de voix.
Tu lèves les yeux vers elle, en pleine hésitation ; si tu te rapproches, tu dois lâcher la main de Jackalope. Sauf que tu le sens, dans tes nerfs, dans tes os — si tu obéis, il résistera. Ce n’est pas lui qui a été appelé. Il ne bougera pas. Mais Primevère te requiert, de ce ton de rocaille qui n’autorise guère les rebuffades, alors tu rabaisses la tête aussitôt, tiraillé.
« Dandelion. »
Tu serres le poing le long de ta cuisse, joue de tes doigts contre ceux de l’hybride. Ce ne doit pas être pour longtemps, songes-tu, tu viens et tu repars, voilà tout, elle va sans doute te remettre les cheveux en place ou t’ôter une poussière sur ta pelisse comme elle le faisait parfois au lieu de te parler, rien de grave, rien d’irrémédiable. Tu y vas et ensuite, tu reviendras auprès de Jackalope, il a dit ensemble, hein qu’il l’a dit ?  À côté, les prunelles de Lavande se colorent de chagrin, cependant elle s’est détournée en une seconde de manière à ce que tu ne puisses le remarquer. Si tu l’avais découvert, tu aurais compris.

Un regard vers ton ami, l’air de réclamer un accord tacite ou bien de t’excuser, puis tu t’en détaches afin de te nicher dans le giron cendreux de ta Mère qui ne cesse de fixer l’autre mauvaise graine. Étrange. De mémoire, Primevère ne t’a jamais invité à l’étreindre d’une quelconque façon. Elle s’est toujours tenue à l’écart de ce genre de démonstrations affectueuses, même avec ses compagnes de travail, pourtant sa posture se veut sans équivoque et, lorsque tu refermes tes bras autour de sa taille, le museau contre son épaule, tu la sens qui se replie d’autant en une nastie malhabile, farouche, semblable à une douce prison, avec ses deux lianes sèches qui t’entourent le crâne comme pour t’arracher au reste du monde.
Au moins, ce ne sera pas à Lavande d’acter ton geôlier.
« S’tu veux te casser, c’est tout de suite, sinon ce s’ra encore plus dur. »
Une menace des plus saugrenues mais une menace malgré tout, en dépit de l’expression horrifiée de sa voisine, celle-là même qui, des quatre, est sans ironie aucune la seule capable de formuler un adieu convenable.
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