Qu'est ce que tu fous là? Sucre, tu t'es encore perdu, dans tes pensées, dans ces rues trop blanches et parfaites de ce royaume trop irréel. Pourquoi tu as dans ta besace un petit parquet de soie blanc gonflé de guimauves multicolores et muffins aux goûts surprenants qui s'agitent et sautillent déformant le sac. Croiser des visages inconnus, sourire et saluer d'une main, l'autre caressant les sucreries pour calmer leurs ardeurs et éviter l'auto-combustion.
Tu avais été stupéfait d'ennui. C'était la seule explication à ta soudaine dérobade, là bas, dans le dangereux pays de Wonderland. Honnêtement, pour le moment, tu n'avais pas été maltraité. Jusqu'à ce qu'on découvre ta vraie nature... Les visages étaient beaux, trop parfaits pour être rassurants. Les effluves délicieuses, les mets qui passaient sous tes yeux et parfois sous ta langue étaient des plus raffinés. Tu goûtais à l'oisiveté des princesses d'Arabie. On t'avait trouvé si mignon qu'on t'avais embarqué dans une dégustation des mets de ces contrées.
Tu as eu envie de te casser. Et tu l'as fait, prétextant une envie de pisser - plus joliment dit pour ne pas empourprer les joues de ces dames - tu avais trouvé un balcon et sauté dans les habits raffinés que tu avais vêtis pour te fondre dans le décors. Tu resserre ton capuchon blanc autour de ton cou et repars sur les routes pavées de marbre immaculé. Tout ce blanc te donne envie de gerber. Cette perfection immaculée que tu n'as eu de cesse de fuir dans ta jeunesse, cette route toute tracée qui te filais le tournis.
Quelques pas te mène dans une ruelle plus sombre et dépeuplée. Tu continues en pressant le pas, dissimulant ton visage assez connu sous ton capuchon. Le cœur battant dans tes tempes et te filant le tournis. T'es pas rassuré, cette petite escapade au pays des fous pourrait te coûter la vie. Et pourtant, un frisson d'excitation te parcourt l'échine. Ça te ramène à tes années folles à défier l'autorité. Tu voulais rencontrer ce fameux chapelier dont tout le monde parlait, goûter à ce thé soit-disant délicieux qui se serait marié à merveille avec tes papatisseries.
Ton regard s'arrête sur une immense bâtisse biscornue, ornée de chapeaux et tasses d'où s'écoule le liquide tant convoité. Autour, les champs de thé s'étendent à perte de vue. Le bâtiment contraste horriblement avec le reste de la ville et tu t'étonnes que la Reine Blanche ne l'ait pas rasé pour unifier le paysage visuel de son royaume. Tes pas se succèdent, presque mécaniquement, tu réduis la distance te séparant de la grille d'entrée et vient t'y asseoir, attendant sagement l'heure d'ouverture, quelle qu'elle soit, les horaires fixes n'étant visiblement pas du goût du maître des lieux.
Tu visses tes écouteurs dans tes oreilles et laisse la musique envahir ton corps, tu fermes les yeux et ta voix s'élève, douce et suave. L'épuisement de tes pérégrinations dans la cité blanche te revenait en pleine face. Tu clignes une fois, deux fois tes paupières lourdes et un bâillement vient interrompre la chanson des Sex Pistols adoucie par ton timbre de voix angélique. Tu t'étires avec flegme, en toute insouciance inconsciente, malgré tout ce qu'on raconte sur le chapelier, son instabilité pourrait bien te valoir la vie. Mais l'incertitude te plait, de même que cette arrière goût amer de danger qui plane sur cette escapade suicidaire.
Tu somnoles contre la grille d'entrée, finissant par t'endormir, le soleil venant caresser ton visage d'ange mal peigné. Tu avais pourtant fait l'effort de t'attacher les cheveux, mais ton air débraillé te colle à la peau, comme l'odeur du sucre. Libérées de ton entrave, les guimauves et muffins s'échappent du sac et viennent danser autour de toi, prince charmant endormi, ou clochard perdu...
La chaleur de sa tasse frotte lentement contre ses mains qui l’entourent. Il savoure et se délecte du délicieux breuvage en compagnie de quelques habitants. Certains sont nobles et apprécie tout de même son excentricité, d’autres moins fortunés se sont joints à la fête et apprécient les diversités sociales. Au détour des beaux quartiers se profile l’immense domaine du chapelier. Toqués comme lui seraient les incorrigibles fauteurs à juger qui foule ses terres et bien qu’il ne puisse contrôler les pensées de ses convives, son regard seul suffit à taire ces dernières.
Le Liquide lui brûle presque la gorge tant il est surprenant de constater sa fraîcheur. Un peu de menthe peut-être ? Où de l’eucalyptus ? Il est si difficile de tomber sur le même goût lorsque Cheshire est dans les parages. Mad le soupçonne par ailleurs d’avoir tenté plus d’une fois de l’empoisonner en connaissance de cause. Il ne peut pas mourir et ne le souhaite pas. La joie ne se lit pas forcément de la même manière sur son visage aux multiples facettes, voilà tout. Que savent tous ces gens de son bonheur ? Si peu, mais lui s’en satisfait du moment qu’il peut écouter les ragots les plus croustillants pour parfaire cette panoplie délicieuse qu’il conserve dans sa mémoire afin de ressortir peut-être la moindre information susceptible de lui servir. Mais soit. Il pose finalement sa tasse, profitant de quelques rayons envahissant les champs, immense jardin et révélant ses émeraudes qui brillent en captant la lumière sous son chapeau clair. Une petite sonnette s’est fait entendre, son portail fermé révèle au loin une ombre à ce précieux tableau.
Sans mot dire, une révérence laisse poursuivre les déjan’thés et lui marche d’un pas de velours en direction de l’entrée principale. À mesure qu’il s’approche, c’est une douce mélodie enfantine qui se met à résonner dans sa tête et un sourire carnassier qui dévore du regard les petites gourmandises animées dansant autour d’un tout aussi étrange personnage. Nul doute qu’il s’agissait de son œuvre. Au-delà des royaumes, la réputation d’un homme s’étendait jusqu’à lui parvenir et fidèle à lui-même dans cette fourberie malicieuse, la tête à coiffe passe la grille pour faire de l’ombre au jolis minois quelques centimètres plus bas. Cette barbe, ces cheveux indomptables, un ange déchu qui lui rendait visite. Les raisons avaient beau être inconnues, l’expert en thé avait quelques idées. Cependant, la curiosité du concerné fut plus forte et dans sa délicate main gantée, il caresse de son index la ligne de cette mâchoire dessinée, prenant soin de tirer un écouteur pour poursuivre son tracé jusqu’au menton. Son visage s’approche dangereusement de l’oreille du pâtissier. « Très cher ami, on croirait à s’y méprendre la véritable belle au bois dormant, mais fort heureusement je la connais déjà. Je peux t’assurer que son air juvénile est bien moins prononcé que le tiens. Aurais-tu l’obligeance de te réveiller, étranger ? » Il y avait quelque chose de menaçant dans ses mots malgré la politesse dont il faisait preuve. Avec tout autant de grâce, il s’éloigne et surplombe l’homme en s’appuyant sur une canne dont le bout est un parapluie fermé.
Tu dors dans la vile d’albâtre, aux portes du palais, les songes t'envahissent alors que le soleil embrasse ton visage d'ange. La douce mélodie de tes enfants non désirés te berce sur un vieil air des Sex Pistols, les voix enfantines se mêlent à celle, plus rocailleuse, de Cid Vicious. Les notes crissantes s'évadent de tes écouteurs pour danser dans tes fantasques aventures dans les bras de Morphée.
"I’m not an animal Dragged on a table in a factory Illegitimate place to be In a packet in a lavatory Die little baby screaming... "
Tu rêves de capes et d'épées, non pas de princesses à sauver, ni de dragons à occire. Tu es le dragon, jouissant d'une liberté nouvelle, tu détruis des vies d'un simple souffle destructeur. Un sourire béat se dessine sur ton visage alors que tu te retournes, dormant du sommeil du juste. Les sucreries poursuivent leur ronde démente autour de ton corps inanimé.
Une caresse te sort de ta torpeur, de ton oreille elle glisse jusqu'à ton menton et tes billes océan s'ouvrent sur une silhouette aussi atypique que floue. Tu clignes des yeux, encore à mi-chemin entre le rêve et la réalité, Cid continuant à beugler dans ton oreille droite. Les pâtisseries sursautent en écho à ton étonnement, restent quelques instants interdites avant d'élargir le cercle pour y intégrer le nouvel arrivant et reprennent leur ronde en dénaturant un nouvel air des Sex Pistols, se calant sur la musique grondant dans ton écouteur. Quant à toi, tu affiches une mine d'abruti, un filet de bave coulant encore le long de ta joue. Combien de temps as-tu dormi, Sucre? Trop, encore une fois.
- Gnié? La belle au bois quoi?
Inculte que tu es, tu t'es toujours refusé à lire les fables pour enfants que tes parents t'achetaient, à lire tout court. Lire c'était pour les rats de bibliothèque, tu as toujours préféré les films de zombies et occasionnellement une comédie romantique bien conne. Ta culture musicale est bien plus étendue que ta culture générale. Tu observes l'homme parlant comme un dictionnaire, perplexe. De haut en bas, puis de bas en haut, t'arrêtant sur le chapeau joliment décoré. Il n'a pas l'air très engageant malgré son langage châtié. Sa tenue n'a rien d'habituel même dans ce monde complètement loufoque. Tu laisses échapper un petit cri de surprise te redressant avec empressement, reconnaissant l'inconnu d'après sa description.
- Ha! - Tu t'essuies maladroitement avant de tenter de récupérer, en vain, les pâtisseries désormais devenues immangeables. - Je suis désolé... Monsieur le Chapelier, je suppose?
Tes doigts glissent sur le glaçage d'un muffin alors que tu prends part à la ronde, tournant autour de l'homme sans lui faire face... Super première impression Sucre... On repassera pour la politesse. Tu finis par t'arrêter, essoufflé.
- Je... C'était un cadeau pour vous... Je crois que c'est raté. - Un rire gêné franchit le seuil de tes lèvres alors que tu tends ta main vierge de tout glaçage à l'étranger. - Enchanté!
T'as le souffle court, ton discours est décousu, tes actions sont complètement décalées, même lui pourrait te prendre pour un fou. Sans compter qu'il faut l'être pour introduire des pâtisseries de contrebande dans le royaume si parfait de Wonderland.
Mouvements dociles qui bordent encore l’inconnu, Mad se recule en prenant soin de ne pas perturber la ronde d’étranges créatures sucrées. Ses yeux luisants observent avec attention la silhouette d’un homme aux cheveux d’or dont les légères boucles éparses se disputent sur le reste plus lisse. Quelques battements de cils plus tard, c’est un regard perdu qui s’offre au chapelier. Aucune hostilité, seule la surprise s’accroit dans les pupilles rétrécies et d’un bleu clair envoutant lui font face. La musique résonne encore, arrachant un sourire à l’ancien styliste, sensible aux arts sous diverses formes. Droit comme un i à présent, la pointe de sa chaussure contre le talon de l’autre et les mains appuyées sur sa canne, le chapelier tient un discours poli afin de charmer le nouvel arrivant qui le sortait de sa fête. Un énième non anniversaire, encore un dont les invités ne lui étaient pas si familiers. Un divertissement dont il s’était extirpé pour la chair fraîche et les douceurs à l’orée de ses champs. Un rire lui échappa. Décidément, aucune tenue, se dit-il, mais ce ne fut pas la seule surprise à son égard. Les succulents mets qui tournoyaient joyeusement autour d’eux deux à présent semblaient liés à l’étranger.
D’un regard plus aiguisé, le propriétaire des lieux attend des réponses et elles arrivèrent avec autant de grâce qu’en avait eue l’homme en se réveillant. Le filet gluant disparait sous une manche, le dos se dresse et voilà qu’il peut lever la tête pour enfin contempler celui qui se tient en face et fait preuve d’un peu plus de respect. « En effet, je suis le Chapelier et vous êtes ? ~ » ce ton chantant suit malgré lui l’humeur de son hôte, détendu assez pour participer à la danse avant d’y mettre un terme pour expliquer cette situation fort inhabituelle et si amusante. Cette impression-là il s’en souviendrait. « Un cadeau fort alléchant » dit-il en tentant de se saisir d’une pâtisserie qu’il souleva délicatement dans une main, serrant de l’autre celle tendue par son désormais invité. Inspectant le papier permettant d’attraper la chose, il la repose peu de temps après. « Quel dommage, je suis sûr qu’elles auraient été parfaites pour accompagner le thé d’ici. Vous avez fait bon voyage j’espère ? » il était vrai que l’hospitalité n’était pas le fort d’un royaume à un autre et il se doutait bien que cet homme-là devait avoir des raisons pour enfreindre des lois. Ça lui plaisait énormément. Un courage ou une inconscience exemplaire s’offrait à lui, dévoilant son sourire aux crocs saillants, le chapelier ouvre de nouveau la grille et invite l’homme à le suivre « Peut-être voudriez-vous visiter, ce sera plus prudent oh. Et comptez sur ma discrétion pour votre petit voyage improvisé. Bienvenue à Wonderland. Bienvenue dans le domaine du chapelier »
Le grincement était couvert par les rires des convives toujours à leur table et les quelques oiseaux étranges qui vivaient dans le domaine et avaient une curiosité aussi grande que leur hôte. « Désirez-vous une tasse de thé ? »
Tu interrompts ta ronde ridicule pour faire face à l'étranger, demandant l'identité du concerné sans pour autant prendre la peine de décliner la tienne. Tes joues s'empourprent sa question, innocente, sans la moindre animosité qui cependant te met mal à l'aise, te renvoyant à ta propre maladresse. Tu murmures doucement ton nom sans prendre la peine d'énoncer ton titre désormais célèbre dans tous les Otherlands, le Papatissier, celui qui a privé tout un royaume de nourriture saine en lui donnant la vie. Et le comble dans tout ça, c'est que tu n'apprécies pas les sucreries. Elles te laissent un goût amer sur le palais. Les sucreries qui autrefois t'apportaient le réconfort n'ont désormais plus qu'un goût de cendres et tu ne peux y trouver du réconfort qu'au travers de celui qu'elles procurent aux autres.
- Sucre... Je m'appelle Sucre.
Tu tentes presque de t'en convaincre. C'est le nom que tu donnes depuis longtemps, mais il sonne toujours aussi faux dans tes oreilles. Ce nom ne trompe plus personne, trop aisément associé à celui du Papatissier qui te colle à la peau. Mais il ne cherche pas à tromper, juste à raviver le souvenir d'une autre vie que tu tentes de te convaincre être tienne. Aux mots du Chapelier, tes yeux s'illuminent, le thé, c'était la raison de ta venue en ces dangereuses contrées.
- Oh oui... Le thé... Je vous avoue que c'est son doux fumet qui a guidé mes pas jusqu'à vos grilles. Sa renommée s'étend bien au-delà des terres de Wonderland...
Tu finis ta phrase dans un murmure étouffé dans ta gorge. On repassera pour la discrétion. Ton interlocuteur te rassure, t'invitant à visiter son domaine. Tu t'engages à sa suite, suivi par tes nouveaux-nés du jour qui poursuivent la chansonnette t'offrant un cortège digne de monsieur la reine.
- Merci, ça serait avec plaisir! Le voyage était long, surtout la traversée de la ville. Je dois avouer ne pas être bien au fait des us et coutumes de ce royaume... Les habitants que j'ai pu y croiser étaient pour le moins singuliers... Bien qu'accueillants. Mais toute cette bienséance a le don de m'épuiser. Mon époque était bien moins guindée.
Ou plutôt, tu balayais tout savoir vivre d'un revers de main et te délectais de la réaction de tes interlocuteurs. Tu te prends encore pour une alice perdue au fond du terrier, incapable d'accepter que tu n'es qu'une pale copie et que ton histoire ne t'appartient pas. Tu observes le dos de ton interlocuteur avec grand intérêt, des deux Chapeliers il ne fait aucun doute que c'est le fou sur lequel tu es tombé. Tu décortiques chacun de ses gestes avec grand intérêt, analysant sa manière unique de se mouvoir et de s'exprimer. La classe. C'est tout ce qu'il te vient en tête en l'observant, une légère pointe d'envie face à ce personnage qu'il a su se construire, contrastant amplement avec ta banalité de prince charmant débraillé.
Derrière ses lunettes ses yeux se plissent et son sourire s’étend assez pour ne pas dévoiler les fossettes qui trahirait sa folie. Le nom fond sous la langue et l’air désabusé de son invité confirment les dires de tous ses petits voleurs qui seront gracieusement récompensés. Le Papatissier était venu en personne pour présenter ses œuvres. Gourmandises animées, savoureuses d’apparence et intouchable à présent. Les scrupules seraient grands, l’offense extrême, malgré cela l’hésitation. Une création prise du bout des doigts qui s’agitait, semblant prise de quelques sentiments humains. Etait-il possible qu’il y mette un bout de son âme ? Etait-ce seulement imaginable que l’on puisse insuffler la vie sans la moindre volonté de le faire ? Ses bonnes manières forcent à lâcher avec délicatesse la sucrerie avant d’en faire le compliment à l’artiste, désireux d’en apprendre plus de la bouche du concerné lui-même. Flatteries au rendez-vous, allant droit au cœur du Chapelier dont l’égo était aussi démesuré que son chapeau. « Je vous retourne le compliment » Par ailleurs, cette familiarité qu’il avait instaurée en menace avait rapidement disparue pour un titre d’égal au vouvoiement.
Les portes s’ouvrent pour laisser accès au domaine du réputé chapelier toqué sur une invitation visiblement bienvenue. La douceur de cet homme n’a d’égal que sa naïveté, le rendant exquis aux yeux d’un homme avide, cependant curieux de bien des manières. À commencer par une soif de connaissances jamais assouvie qui permet à la ravissante tête blonde quelques instants de répits. Fort heureusement pour lui, son comportement, sa tenue et ses coutumes, il n’en avait que faire. Le fou a ses propres intérêts et lorsqu’ils sont servis, aucune raison ne pourra l’empêcher de prendre soin d’une autre âme perdue.
« Je ne peux qu’imaginer. Ne vous en faites pas pour les manières de chacun, ici elles sont aussi diverses que variées. Mais je ne prendrais pas le risque de vous mêler aux convives dans l’immédiat. Prenons le thé en tête à tête ~ » rien ne pressait, rien n’était inquiétant pour le fabriquant de thé. Précaution inutile, prise seulement pour accaparer l’attention d’un invité spécial. Il le voulait pour lui tout seul, découvrir chacune de ses facettes et pourquoi pas cette folie que chacun ici portait en lui ? Quelle était la manifestation de la sienne ? Derrière ce calme et cette simplicité, y avait-il de quoi gratter ?
Dans un nouveau sourire, à l’arrière de la maisonnette à forme particulière, il y avait une table faite pour un comité plus restreint. Une vue imprenable sur les champs, un soleil les inondant de ses rayons colorés. De son chapeau, le chapelier sortit le nécessaire, deux tasses et sous-tasses, le pot volumineux en centre de table fut soulevé pour découvrir la théière fumante. Il ne l’attendait pas, il était toujours prêt en cas de besoin, une habitude d’en avoir toujours à disposition quand il en voulait. Ses mains sur son torse, il fouille en tapotant avant de claquer des doigts au travers de ses gants et de secouer la tête en levant les yeux au ciel tirant gracieusement du pouce et de l’index, autres doigts levés, une chaine fine reliée à une sphère transparente contenant assez de thé pour se glisser dans la théière fumante. Pendant la manipulation qui ne dura que quelques instants, le chapelier reprend. « Comment vous est venue l’idée de braver l’interdit pour simplement me voir ? Vous êtes cousin avec le chaperon peut-être ? Il parait que la témérité est un gêne »
Le compliment? En était-ce vraiment un? Tu ne saurais le dire. Lorsqu'il te le renvoie tu ne peux t'empêcher de tirer machinalement sur ton capuchon blanc pour dissimuler davantage ton visage, s'assombrissant imperceptiblement. Tu le sais, ta renommée franchit les frontières du royaume de l'Ombre, l'homme tristement célèbre qui créait de la nourriture immangeable et qui a privé tout un royaume de légumes frais. Ton regard glisse sur tes créations, ces petits bouts de toi qui envahissent le monde, des fantômes de ta paternité avortée sur les pavés d'une route de campagne. Tu n'as pu être père de ton vivant, abandonnant la vie et ton enfant, désormais condamné à voir tes enfants te quitter et rester éternellement seul dans ce monde improbable. Tu es convaincu d'avoir été maudit, ne contrôlant pas ton pouvoir. Tu te perds dans tes pensées, tes pas se succédant mécaniquement à la suite de ton hôte.
C'est un regard un peu nostalgique que tu poses sur le domaine du chapelier, emplit de la nostalgie d'une vie qui n'est pas tienne. Tes yeux cieux explorent avidement le décor improbable qui s'offre à eux. Tu laisses ton imagination divaguer, imaginer les pièces qui auraient pu se jouer dans ce théâtre envoûtant. Les convives qui auraient pu défiler, des personnalités aussi vives que diversifiées. Quel genre de personne s'aventurait jusqu'au domaine du Chapelier? Cette demeure dont on n'est pas surs de sortir une fois entrés, du moins, c'est la sensation qui te gagne lentement. Tu te meus lentement, presque avec flegme, t'alignant tout de même sur la cadence de pas de ton interlocuteur. Ton regard ne s'arrête pas, passant d'un mur à l'autre, avide de découverte. Tu t'émerveilles à chaque grain de poussière, chaque porte offre à ton regard un monde nouveau qu'il explore avec envie.
La voix du Chapelier te sort de tes explorations muettes. Il te propose un tête à tête, cette perspective t'enchante, après tout, tu n'es pas venu ici pour te heurter à d'autres personnalités que la sienne. Et tu n'as jamais été à l'aise dans les conversations de groupe, t'évertuant toujours à sortir de la masse plutôt que de t'y fondre, d'où la complexité de l'exercice de ce jour. Tu observes le manège de l'homme, sortant comme par magie le nécessaire pour le thé de son chapeau. Une lueur d'émerveillement vient se nicher dans le regard que tu poses sur lui. Il a la classe, la même que tu aurais aimé avoir. Tu te croirais dans un conte de fées, mais c'est un peu le cas non, Sucre? Une nouvelle fois, la voix de ton interlocuteur te sort de ta contemplation. Tu aurais pu te contenter de l'observer, mais on a rien sans rien, et à présent il te demandait de lui livrer un peu de toi. Hésitant, tu hausses les sourcils à cette question qui te prend au dépourvu. Tu l'observes, retirant ton capuchon et dévoilant tes boucles blondes qui resplendissent d'autant plus sous le soleil coloré.
- Comme le dirait ma génitrice... Ce n'est pas tant que je suis téméraire mais plutôt inconscient. Mais je pense que ma petite escapade tient davantage de l'ennui que d'un quelconque courage. J'aime parfois faire des vagues pour me prouver que j'existe, bouleverser l'ordre établit des choses et voir le chaos qui en résulte. Parfois rien ne bouge, mais le frisson à l'idée de pouvoir provoquer un séisme est impayable... Et quel séisme...
Tu viens croiser un bras sur ton torse, y appuyant l'autre coude pour venir soutenir ton menton, pensif, un sourire amusé venant ourler tes lèvres.
- L'idée que l'un des sujets de l'Ombre brave son autorité pour visiter ce royaume tant haït... La mettrait hors d'elle. C'est sans doute le goût de l'interdit qui m'a mené ici. Mais également une pointe d'espoir. Voyez-vous... J'ai perdu le goût du Sucre en mourant - Du moins c'est ce que tu te plait à croire. - Le comble pour un pâtissier... et depuis je cherche autre chose... Quelque chose qui pourrait à nouveau émerveiller mes papilles et je n'ai jamais été très friand de sel et les mets qu'offre le pays de l'Ombre ne sont pas du raffinement pour lequel Wonderland est réputé. C'est ainsi que j'en suis venu au thé... Le fameux "plat national" de ce royaume.
Tu soupires, observant le breuvage plein de promesses flotter dans les airs. Tu as beaucoup parlé, tu es toujours comme ça, généreux, autant en parole qu'en gestes. Tu as toujours préféré donner que recevoir, mais ton offrande s'est perdue en chemin, chantant désormais la sérénade au maître des lieux, désormais sur un air d'opéra rock...
Le thé se verse lentement, ses yeux fixés sur la tête blonde qui se dévoile un peu plus. Les yeux d’un bleu océan tendent à se perdre dans cette naïveté flagrante. Pourtant, en connaissance de cause le réputé pâtissier s’était rendu à Wonderland en passant les frontières comme si de rien n’était. Quelque chose cloche. Dans la beauté qui inspire le geste d’insuffler la vie se cache un véritable cauchemar de priver les habitants d’une contrée de tout aliment viable, engendrant de possibles famines et la perte de productions conséquentes. Quel délicieux désastre que ce don offert par otherlands. Si précieux, si dangereux et d’une douceur exquise qui ferait presque saliver d’envie le chapelier toqué. Croisant ses jambes, le dos droit et déposant enfin la théière, Mad acquiesce sans mot dire, un léger sourire amusé passant sur ses lèvres. L’ennui poussait à bien des choses et s’il était plus inconscient que courageux, il n’avait rien à perdre. Sa vie n’était donc pas en jeu et si tentée qu’elle le soit, en aurait-il quelque chose à faire ? Particulier cet homme, assez pour lui plaire. Le styliste avait beaucoup d’amis, mais les plus proches et loyaux étaient comme lui : bien au-dessus de ces conflits opposants les royaumes. Braver un interdit par ennui, par l’excitation de se faire disputer ou par désir de rébellion, le fond n’avait que peu d’importance contrairement au geste et c’était précisément ce qui l’attirait.
Son index passe dans la hanse de la tasse, jouant avec en caressant du pouce la matière lisse, provoquant un son similaire à un froissement de tissu. La raison plus poussée qui avait guidé le pâtissier jusqu’à son domaine était des plus intrigante. Le goût du sucre n’était plus aussi savoureux pour lui et ses espoirs s’étaient portés sur le thé qu’il produisait. Un sourcil arqué, son autre main passant distraitement sur son bouc, le chapelier opine du chef. « Vous êtes donc mort. C’est malheureux, à croire que nous en venons tous à perdre quelque chose lorsque cela arrive. Cependant… » il laissa ses mots en suspens, penchant sa tête quelques secondes pour imprimer au mieux les traits de son vis-à-vis dans sa mémoire. « Que se passerait-il si le thé ne vous convenait pas ? » à tout hasard, bien qu’il soit un breuvage délicat, on ne pouvait exclure dans la tête du toqué la possibilité que ça ne suffise pas. Toute la confiance qu’il pouvait avoir en lui en ses multiples compétences et qualités pouvaient être réduites à néant face au cruel hasard. Un véritable fléau par ici que ce charmant courant d’air porteur de bonnes comme de mauvaises nouvelles. En l’occurrence, cette rencontre de bon augure annonçait peut-être la rédemption pour un pauvre homme au don particulier. Pour lui… c’était une curiosité de plus qui poussait sur son chemin et dont les bourgeons n’étaient pas encore révélés. Ainsi, Mad lève sa tasse. « Bien soit, essayons. Vous devez avoir connaissance en revanche que le goût n’est jamais vraiment le même. Question de dosage et de quelques grains de folie du créateur qui germent au rythme de son imagination » dit-il en exécutant un roulement de son poignet libre et en levant les yeux vers son couvre-chef tout en fredonnant, bouche fermée la chansonnette des nouveaux sujets de son très cher invité.
Le Chapelier t'écoute, avec grande attention. Il t'intimide, un peu, avec son port majestueux et son allure de paon. Il parle de perte, tu te demandes s'il a également expérimenté le baiser de la faucheuse. Un sourire vague se dessine sur tes lèvres à ses mots, le regard perdu sur les motifs dessinés à même la porcelaine, les mots s'évadent malgré toi.
- Peut-être tenterais-je de mourir à nouveau ? Ce monde saura peut-être se montrer clément en me faisant définitivement perdre la tête...
Un léger rire quitte tes lèvres alors que ton doigt glisse sur la surface de la tasse, lui arrachant un petit cri étouffé. Est-ce vraiment une blague? Tu ne saurais le dire, perdu dans tes pensées, les mots remontent à la surface sans crier gare. Tu n'as jamais songé à te donner la mort, en gardant un souvenir amer. Tu as toujours été bon vivant, croquant la vie à pleines dents et vivant à mille à l'heure. Cependant la mort avait laissé sur son passage une certaine mélancolie qui vient parfois se nicher dans tes iris bleutés. Ces derniers glissent sur le faciès atypique du Chapelier alors que tu fais tourner la tasse sur elle-même. Que pouvait bien lui inspirer la pensée de détenir une vie dans sa théière? Les espoirs et la destinée d'un être vivant dans ce délicieux breuvage dont il est le seul à détenir les secrets? Ton sourire s'étire alors que tu scrutes ton interlocuteur.
- Alors peut-être devrais-je m'y noyer, en expérimentant toutes vos concoctions jusqu'à l'implosion de mon être...
Tu es sombre, Sucre... Bien plus qu'à ton accoutumée. Est-ce ce royaume qui te rend mélancolique ? Ou n'est-ce simplement pas ta journée ? Mais peut-être que c'est ce personnage intrigant qui fait ressortir l'obscurité tapie en toi ? Avec un certain empressement, tu viens fouiller dans ta besace, en sortant un objet emballé dans du papier de soie. Le dernier muffin de la fournée, le seul auquel tu n'aies insufflé la vie par mégarde. Délicatement, tu dévoiles ce rare trésor, un interdit au pays de la reine blanche. Un muffin aux couleurs de l'arc-en-ciel, extravagant, improbable, au goût bien plus surprenant qu'il n'y parait. Une pâtisserie sans sucre alliant les arômes doux du cassis et fumé de la violette, avec une pointe de Cointreau, l'une des rares combinaisons que tu parviennes à apprécier. Tu dresses l'offrande entre vous deux, ricanant un peu bêtement.
- Nos créations semblent avoir un point commun... Elles dépendent de l'esprit de leur créateur... Peut-être nos grains de folie sauront-ils s'accorder et se sublimer.
Doucement, tes doigts viennent tapoter la table au rythme de la musique, tes créations se perdant dans les gammes et contribuant à donner au tableau un je-ne-sais-quoi d'irréel. Tu viens poser ton dos contre le dossier de la chaise, observant avec grand intérêt ton interlocuteur, guettant ses réactions, tentant d'enfermer dans ton encéphale la moindre mimique de ce personnage si singulier que ce monde a engendré.
Au-delà de la barbe mal rasé et des épis de blés du papatissier se laisse border une aura sombre. Le regard profond de ce bleu océan l’envoûterait presque et rendrait son humeur plus désespérée que joueuse. Mais le chapelier a laissé prétendument ses maux à son double il y a fort longtemps. L’espace d’une vie humaine, un petit peu moins parait-il. Son Alice lui avait tant appris. Un soupire s’échappe, sans le moindre son, juste ce souffle qui passe au travers des crocs et des lèvres rosées. Dansant sur sa langue pour n’y laisser que la froideur qu’il comblera par le contenu de sa tasse. Pas avant son invité de marque cependant. « Libre à vous de choisir, cependant sans prétendre détenir la sagesse absolue et si mon avis vous importe, la mort n’est une fin que pour ceux dont l’œuvre est achevée » qu’entendait-il par-là, le vil ? Que son interlocuteur n’avait pas remplis ses objectifs avant de signer pour être embarqué par la faucheuse ? Ou qu’il n’était pas assez fin pour avoir accomplie quoi que ce soit de notable ? Les interprétations étaient variées, mais le sérieux avec lequel Mad Hatter s’adressait à son protégé n’avait rien d’une menace cruelle et hautaine.
Tout n’était qu’une question de thé en fin de compte, remettre sa vie entre ce liquide aussi précieux soit-il conférait au styliste un pouvoir qui le fit frissonner. On lui avait confié de nombreuses vies, mais aujourd’hui ceux qui peuvent en attester sont aussi fous que lui. Il pense notamment à ce chat errant dont l’âme est enfermée dans une montre, posée sur l’un de ses chapeaux magiques. Un pouvoir qui en cache un autre, il a toujours été fasciné par cela et magicien dans l’âme s’est inspiré des plus grands pour son propre style. « Avant qu’un thé ne vous noie… vous avez une éternité. Je serais ravi de vous voir essayer » qu’il ne mette pas le nez dans la tasse se dit-il, il avait déjà essayé. Le chapelier prend le bas de son propre visage dans sa main, caressant son bouc en fixant un point inexistant au loin. La musique résonne en écho avec les pensées du fin gourmet. Lui, lutte contre cette petite voix qui lui conseillait de prendre avantage. Il était plus facile pour lui cependant de se faire des alliés aux quatre coins du monde que de réduire ses perspectives de connaissances.
Son regard est attiré par le mouvement, gestes doux destinés à lui tendre un petit paquet d’où s’extirpe un muffin aux couleurs chatoyantes. Délicieux à l’odeur, à la vue et si particulier qu’il apprécie déjà. Un sourire fin se dessine et les pupilles du chapelier s’illuminent de joie. « Nous n’avons qu’à partager afin d’en être témoins tout deux » dit-il. Le morceau fut brisé en deux après que le chapelier eut retiré ses gants, dévoilant des ongles sombrent et taillés en griffes. Arme subterfuge, simple décoration qui pourrait au mieux griffer, mais jamais mortellement, à moins que le vernis ne soit pas onyx pour rien, en quel cas se serait dangereux pour l’un comme pour l’autre. Plus pour le papatissier, mais n’avait-il pas parlé de mort ? Nul besoin de fabuler, non le styliste n’avait pas pris cette précaution en l’accueillant, bien plus rusé que cela. « Bien, il serait temps de goûter à notre future collaboration » ce qui exigeait déjà beaucoup du blondinet, lui conférant à son tour une part de sa confiance, insufflant à sa tristesse un peu d’espoir.
