Une fois abstraction faite des regards de dédain plus ou moins subtile, Santa's Village était un bon endroit pour faire une halte. Je n'aimerais pas y vivre cela dit. Si l'illusion de paix et d'harmonie de ce lieu était le bienvenu après un long voyage, y être confronté continuellement ne semblait pas être une situation enviable. De plus, il était évidemment que pour beaucoup, je faisais tache dans le paysage. Je crois bien que c'était le premier endroit que je visitais où j'étais jugées trop terne, c'était plutôt l'inverse habituellement. Si le jugement des habitants m'importait en premier lieu, cette constatation aurait suffi à m'aider pour passer outre. Je me contentais donc d'aller me poser dans un coin d'une auberge qui commençait à devenir familière.
J'avais même l'impression que le propriétaire commençait à légèrement me tolérer. Ce qui était une victoire en soit au vu de son entêtement à n'aimer personne et à être un vieil ours mal léché. De plus, les clients étaient tous trop occupés avec leurs boissons pour se rappeler de mon existence. C'était donc à mon tour de les observer. En tant que voyageuse, les diverses tavernes et auberges étaient des lieux de choix. On y trouvait souvent des petits boulots faciles, et pour peu de savoir où tendre l'oreille, ou comment amadouer le tavernier, c'était aussi le lieu parfait pour connaître les dangers sur les routes, les rumeurs ainsi que d'autres informations pouvant se montrer utiles.
Tous étaient d'une humeur joyeuse, les clients c'étaient séparés en plusieurs groupes. Certains racontaient leurs anecdotes avec fierté, dans une sorte de concours d'ego bonne enfant, d'autre, c'étaient retrouvés autour d'une partie de cartes pendant que le reste discutaient entre eux un peu partout dans l'établissement. Il y avait cependant une fausse note, une silhouette. A priori des plus banale, mais quelque chose clochait. C'était une jeune femme d'une beauté ordinaire. Elle n'avait ni une apparence qui la distinguait immédiatement dans une foule, ni même une aura pouvant fasciner n'importe qui posant son regard sur elle. Mais il se dégageait d'elle une impression de douceur et de profonde gentillesse. Elle se tenait à l'écart, mais n'avait pas l'air de vouloir s'isoler. Elle avait un doux sourire, mais il semblait plus nostalgique que sincèrement heureux. Et parfois, son regard semblait se perdre dans le vide quelques instants, pendant lesquels une intense douleur prenait place dans ses yeux, avant qu'elle ne s'en aperçoive et recompose soigneusement son masque.
Sa présence même était dissonante. Elle semblait vouloir prendre part à l'ambiance chaleureuse du lieu, mais elle se mettait à l'écart. Son cœur ainsi que ses yeux semblaient vouloir pleureur, mais elle forçait ses lèvres à sourire. Je me demandais quel coup du sort l'avait mener ici en premier lieu. Après tout très peu de personnes avait réellement les reines de son destin en main dans les Otherlands. La plupart se contentaient simplement de s'adapter, se rassurant d'un faux sentiment de contrôle, et détournant le regard de la folie les entourant. Peut-être étais ce ça, la meilleure manière de vivre ici. Accepter la quiétude de l'ignorance. Il faudrait que je pense à noter cette idée dans mon carnet, un jour. Mais il y avait plus urgent à faire pour le moment. J'avais des esquisses de cartes à mettre au propre ainsi que diverses annotations et rectifications à faire sur celles déjà existantes.
Mon regard se perdit une nouvelle fois sur cette étrange présence. Il serait rude de ma part d'aller directement la voir : si je ne pouvais affirmer l'inverse avec exactitude, je ne la connaissais pas. Et les raisons de son tourment ne me concernaient pas. Cela ne serait qu'une intrusion impolie ainsi qu'une curiosité mal placée d'aller à sa rencontre. Je décidais tout de même de commander une tasse de chocolat chaud pour cette dernière auprès de l'aubergiste. C'était une boisson majoritairement appréciée de tous, aux vertus apaisantes. Et je n'allais certainement pas la forcer à la boire si elle n'était pas intéressée. Le choix était sien. Considérant cette affaire réglée, je sortis mes affaires et commençais à travailler.
Azalée
Alice
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Quelle était belle la ville du père Noël dans sa saison glacée où la résignation et le déni sont des alliés fidèles. Où les puissants se prétendent légitimes sous couvert de modestie, mais ne tendent la main que pour les flatteries. Azalée en avait fait les frais, croyant au cœur pur de quelques créatures et s'étant vue déchue lorsque dans leurs regards de majestueuses entités elle n'était qu'un reflet. On lui avait promis un monde de couleurs et de merveilles, on le lui avait donné en se servant des cartons d'un vieux théâtre d'école pour lui faire miroiter ses rêves les plus fous. Si elle n'y avait cru, en le réalisant, elle avait déchanté. Douce petite fleur de printemps au milieu d'un hiver de sucre où la famine pouvait l'emporter, petit insecte naïf qui n'avait pas chanté son bel été avant d'y atterrir sans le sou, sans le pain et par-dessus tout loin d'être à sa place.
De leurs indiscrétions, les habitants du village étaient si fiers qu'elle en avait été fascinée. Là d'où elle venait, on se voulait original sans égaler leur prestance, leurs atouts de cornes, de plumes, de couleurs. Elle était si petite au milieu de cette danse, perdue aussi. Il n'y avait ni les bras de sa mère pour la rassurer, ni ses frères pour la taquiner encore moins son père pour lui rappeler la signification de chaque bouquet. Alors, elle les énumérait, ces combinaisons visuelles chatoyantes, éloignant de sa psyché les affreux souvenirs débordant de son cœur.
Sa course se termine à la chaleur d'une taverne, acceptée pour sa candeur et ses grands yeux de biche menaçant d'épancher leurs tourments sur le comptoir au moindre refus. Azalée était aux portes de ses angoisses, dos contre elles, sentant le bois craquer, les pleurs s'infiltrer enserrant sa gorge tandis qu'elle les repoussait, inspirant profondément.
Allons, elle se portait plutôt bien. Plus tôt dans la journée, malgré ses mésaventures, elle avait eu la chance de croiser en chemin une âme généreuse la couvrant d'une étoffe pour passer inaperçue. Précieux cadeau dont elle n'a vu l'utilité qu'en arpentant les rues. Personne pour la dévisager en dépit des remarques parfois indiscrètes au détour d'une bataille. Petite sans manière qui n'a pris connaissance des coutumes, se faisant minuscule.
Sous son nez à présent, l'odeur du cacao fait frissonner sa peau, ses poings fermés sur sa cape immaculée, elle cherche la provenance en apposant ses doigts sur le bien joli présent. On lui indique à sa gauche, une personne lumineuse aux bois scintillants de constellations. D'un faible sourire, elle lui répondit en buvant son chocolat, nourrissant l'organe affolé sous ses côtes d'un peu d'humanité qui lui avait manqué. Elle déglutit, relève son nez derrière la tasse, révélant une moustache.
Sans la dévisager, cette jolie créature, Azalée se demande pourquoi elle encore ? Risquait-elle d'être une fois encore prise au piège ? Y avait-il plusieurs dimensions à traverser comme dans ses BD ? Elle aurait voulu être une super héroïne au destin tragique, à la recherche d'une réalité qu'elle avait perdue. Mais elle savait bien que non, pourtant il y avait dans ses yeux ternis par le chagrin une petite étincelle persistant dans l'ombre de ses iris citronnés. Une lueur un peu cruelle pour lui rappeler qu'elle n'avait pas soupçonné le pays des rêves si tangible, elle n'en avait jamais rien su, que savait-elle finalement ?
Echo
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Mettre à jour des cartes était un exercice long et minutieux, mais oh combien apaisant. Ayant déjà préparé une première version au brouillon, cela allait être plus simple que si je ne partais de rien. Je commençais par délimiter les différentes étendues terrestres de trouvant dans la zone cartographier. Tout en faisant attention à clairement indiquer les frontières, avant de préciser les éléments secondaires tels que les archipels ou encore les golfes. Une fois le squelette de base de la carte placé, je pouvais me concentrer sur les diverses sources d’eaux. Ces dernières étant présentes en grande quantité dans ce monde. Notamment des fleuves, des lacs, mais également les mers entourant les Otherlands.
Il fallait ensuite se concentrer sur les détails servant à préciser les différents environnements présents. Que ce soit des forêts, des plaines ou encore des chaînes montagneuses. Trop de petites fioritures risqueraient de rendre la carte illisible, il valait donc mieux rester sobre. Faire simple, efficace mais élégant. J’indiquais aussi au besoin les structures humaines que je visitais lors de mes voyages. Il y avait évidemment les grandes villes ainsi que les petits villages dans leurs périphéries. Mais également diverses ruines éparpillées çà et là dans les Otherlands. L’étape suivante consistait à poser les couleurs. Je l’appréciais tout particulièrement. Voir les couleurs envahirent petit à petit le papier blanc avait quelque chose de satisfaisant. C’était une sorte de coloriage nuancé et précis. Il ne me restait ensuite plus grand-chose à faire à part des notations.
J’avais simplement à noter les noms des lieux les plus importants, tout en précisant l’échelle et l’orientation de la carte. Il y avait également les lignes de l’attitude et de longitude ainsi qu’une indication temporelle qu’il ne fallait pas oublier. Et, même si ce n’était pas une nécessité, j’aimais rajouter des notes ainsi que des références renvoyant à mon carnet. Où l’on pouvait retrouver divers croquis et annotations sur la faune et la flore locale.
Cela avait beau être un exercice auquel je me prêtais régulièrement, il n’en devenait pas lassant pour autant. J’esquissais un sourire réjoui tout en m’étirant discrètement, survolant de nouveau le bar du regard. Il ne ce n’était pas écoulé suffisamment de temps pour qu’il y ai eu de changements majeurs. À l’exception peut-être de la jeune femme de tout à l’heure. Son air nostalgique c’était légèrement atténué en faveur d’une mine pensive. Peut-être la boisson, désormais vide, devant elle, lui avait apporté un réconfort quelconque. Du moins c’est ce que laissais penser la fine moustache de chocolat sur le dessus de ses lèvres qu’elle n'avait pas pris la peine d’essuyer.
Elle avait l’air innocente ainsi. Pas une innocence enfantine ou ignorante. Une innocente bienveillante, dénuée de jugement ou d’hypocrisie. Plus on l’observait et plus il apparaissait évident qu’elle n'était ni originaire du Santa Village, ni même de Wonderland.
Il aurait été rude de ma part de fixer cette dernière pendant une trop longue période pour faire un dessin d’elle riche en détails, surtout sans son autorisation préalable. Je l’avais cependant suffisamment observée pour reproduire son portrait d’une façon simplifié. Et cela avec suffisamment de précision pour éviter le moindre doute d’une quelconque intention malveillante ou moqueuse de ma part. La blesser davantage était la dernière chose que je souhaitais. Elle avait des traits doux, faciles à coucher sur le papier. Si bien que finir son portrait ne fût pas une tâche complexe. J’enlevais délicatement la page de mon carnet avant de ranger mes affaires. Je déposais discrètement le dessin dans un coin de la table où la jeune femme c’était installé lorsque son attention était tournée ailleurs, tout en me dirigeant vers le comptoir pour régler ma note.
Azalée
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Autour de son cœur, un baume appliqué avec soin, comme la caresse d'une main, celle de sa mère qui tous les matins venait lui susurrer de quitter son lit, enfant. Celle d'une étreinte doucereuse dans les bras maladroits de son père ou ses cheveux ébouriffés sous les passages de ses frères. Azalée voudrait pleurer tout cet amour perdu, encore, toujours. Elle serre un peu plus la tasse, noyant son chagrin dans la liqueur chocolatée qu'on lui avait offerte. Lorsqu'elle releva son museau accompagné d'une ligne de cacao, elle dévisagea la belle.
Plongée dans ses écrits, ses schémas de couleurs, de lignes, de courbes et de mystère, car elle ne pouvait rien en voir, la petite fleur l'enviait un peu d'avoir un but ici-bas. Une triste mine exposée à qui voulait bien de sa misère, elle se lova un peu plus dans l'épais manteau, ne souhaitant s'attarder sur les traits si particuliers de sa bienfaitrice. Ce serait impoli, bien qu'il n'y avait qu'elle qui lui ait prêté attention et qu'en retour, la brunette aurait voulu lui adresser un merci. Les mots toujours comprimés, elle se laissa bercer par la chaleur ambiante. Où qu'elle soit, il y avait un peu d'eux. Dans un regard, dans un geste ou dans une boisson, même dans cette petite cuillère ornée de fleurs ! Allons, que diraient-ils s'ils la voyaient s'apitoyer ainsi ?
Prête à se lancer, pour un peu de bonheur, elle en froissa le papier contre son coude. On lui passe derrière, un tintement de bois orné, avant d'en distinguer les traits. "Ah… A-At.." Elle éternua de façon si sonore qu'elle en fut embarrassée !
Si elle se justifia pour payer, on la congédia bien vite sous un air bourru néanmoins concerné. D'un signe de menton, le barman avait désigné la cape volant au gré des mouvements de la jeune femme. "Attendez !" dit-elle d'une voix étranglée, feutrée par congestion, le renne en devenir par le bout de son museau rouge ne voulut se risquer à poser son gant sur l'héroïne qui fuyait. Pourquoi donc ? Était-elle recherchée ? Lui accordait-elle, comme à son habitude, trop de crédit et de candeur ? "Je… vous remercie pour le chocolat et… le dessin, vous êtes gentille et" le trémolo dans sa voix faisait danser les notes. Elle inspira profondément, ne se débinant pas. "Et c'est une qualité bien rare, est-ce que je peux… est-ce qu'on peut parler ?" bravo, petite Azalée, d'avoir avec succès imposé ta douce présence en ces terres inconnues, féroces parfois, néanmoins pleines de surprises et d'un étrange hasard.
