Alys Little [Abandon]

— Oh ! Je t'en prie Madeleine, les jumeaux ne sont pas tâche facile. Que vienne le jour où l'un d'eux se démarque. Tu mets au monde de jeunes abrutis, ma pauvre.

Que soufflait grand-mère, au fond du couloir. Tu empoignes ton lance-pierre et attrapes du bout de tes doigts ta plus grosse bille. Tu serres, tires, serres et tires encore l'élastique. Lorsque tu relâches, une voix s'étend dans l'allée et caresse les murs de douleur. Grand-mère tombe et tu ris. Tu aimes ça, cette souffrance méritée dont tu es responsable. Mère s'affole à la vue du sang et elle s'avance vers toi. À quoi bon essayer ? Elle est lente et énorme, portant en elle un enfant qui te remplacera forcément. Ton rire fait écho à ta malveillance et tu t'enfuis dans l'innocence, car ta jeunesse est un billet d'entrée vers la rédemption. Ils te demandent de grandir. Mais, quel âge auras-tu, quand tu cesseras de les décevoir ?


Ton jumeau vint sur le balcon, avec lui la corde que tu as demandée. En bas, père chasse sur les terres, accompagnées de chiens et de tes oncles. Tu es déjà désintéressé par cette vie, par son absence alors qu'il est si près. Tu pensais qu'un nouvel enfant l'aurait changé, mais ça n'a pas fonctionné. Personne ne veut de petites filles. Mère ne te regarde plus et ça devient une évidence que ce bébé doit partir.

Vide, tu tournes les yeux vers le couloir. Un lapin blanc se redresse sur ses pattes arrières. Il est plus pressé que tu ne l'as jamais été et tu échappes ta corde en voulant l'attraper. Ta copie se redresse, sans comprendre ce qui te pousse à courir ainsi. Tu fuis encore, sans l'entendre. La curiosité t'égare et tu rencontres maman en tournant le coin, lui fonçant dessus par mégarde. Elle crie et tu passes à côté d'elle, au sol ta petite soeur qui s'éteint en quelques convulsions. Elle avait moins d'un mois, mais ce qui te déçoit le plus, c'est d'avoir perdu le lapin.


— Si je n'avais pas échappé Marie, ce jour-là... Peut-être que Vincent m'aurait gardé à ses côtés.

Mère est malade d'esprit. Votre petit appartement s'imprègne de vos âmes déchirées. Ton jumeau et toi, vous travaillez. Tu es un apprenti majordome et lui un chauffeur. Peut-être que les choses auraient pu être meilleures. Peut-être que tout ça est de ta faute. Les poupons t'effraient et tu t'excuses avant même d'avoir fait du mal. Tête baissée, regard fuyant, tu apprends de ton nouveau métier que tu dois te tenir droit. Tu aimerais que le temps recule, qu'il te permette d'être raisonnable là où tu n'as pu l'être. Ton jumeau te conduit, chaque matin, au manoir et tu passes les clôtures. Le soleil peine à se lever. Malgré l'obscurité, tu le vois à nouveau, ce lapin qui se tient sur deux pattes et qui se presse de t'apporter là où les songes s'entremêlent avant de devenir réalité.



Click, clock, click, clock, click, clock... Tu tombais et le monde semblait se déconstruire autour de toi. Tu t'es mis à flotter puis à nager en direction du lapin qui t'interpellait enfin, en usant de ton prénom. Alice, Alice, Alice... Tu l'entendais sans pouvoir lire, alors tu ne comprenais pas que ce ne pouvait être toi. Tu es devenu si petit puis trop grand, avant de retrouver les bonnes proportions.


[...]