Les vapeurs cotonneuses érodaient les contours métalliques du train volant de Lucifer. À son bord, nombre de passagers vacants à leurs récentes fonctions. Qu’il s’agisse d’un tournage ou d’une recherche, l’animation était toujours maitresse, quel que soit le wagon. Calcifer, bougon d’avoir été arraché à sa tranquillité ne tenait rancune à son geôlier, faisant des lieux sa nouvelle demeure. Il observait par-delà les fenêtres les terres désolées des otherlands se dessiner. La raison de sa présence lui importait peu tant qu’il acquérait vocation à se rendre utile et qu’on lui permettait d’user de son temps libre à sa guise. Il en gagnait en étant à bord du royaume ambulant, errant à la poursuite d’un vide à combler sans trouver solution.
Il avait délaissé ses affaires sur la couchette prestement désignée comme la sienne sans s’y attarder davantage qu’en emmêlant les draps. Son regard luisait sur chaque personne à portée des améthystes, incapable d’y observer le reflet de sa perte. Serait-il en mesure de la reconnaitre ? Il ne saurait le dire, mais laissait derrière lui cette impression de terreur et de stupeur qui ne changeaient en rien de ses habituels et brefs passages. On n’obtenait de lui que les grommèlements approbateurs grondant sous ses prunelles accusatrices et ses sourcils froncés.
Finalement, il s’était échoué à l’espace restauration, accumulant sur sa portion de table une quantité faramineuse de plats d’une variété ahurissante. Il n’en était pourtant pas encore rougeoyant de sa faculté digestive. Calcifer boudait, coude appuyé sur le bois, sa main accueillant l’angle de sa mâchoire.
Son fort n’était pas à la réflexion, néanmoins il y trouvait une certaine satisfaction à triturer ses menues méninges dans l’espoir d’une l’étincelle. Son cœur de Vaillant, gros à ressasser ses périples. Des longs combats il ne retient que l’exaltation à se mouvoir comme personne, à défendre une cause chère aux yeux de son père et juste aux siens. De son créateur, il revoit le sourire et entends les rires aux éclats lumineux de ses crépitements. Sa petite taille au creux du foyer et son confort de n’être rien d’autre.
Il ne regrette pas d’avoir vécu, seulement de ne plus être flamme à réchauffer les cœurs. Désormais, il est la brulure que l’on craint par inquiétude de l’approcher, non par son contact, plus par ses farouches œillades et sa carrure imposante.
D’un soupir, il grimace, sa lèvre retroussée sur le pointu de ses dents en scies. il est incommodé par son manque d’intuition. Pouvait-il se permettre de pactiser deux fois ? Le diable se moquerait plus encore et non d’une allumette, il ne le supporterait pas. Si sa fierté était infime, il souhaitait même la préserver un peu.
Cire
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Il te semble que c’était hier… Pourtant, un demi-siècle est passé depuis la première fois où tu as souhaité que tes enclaves partent en fumée, que les barreaux de ta prison de verre et d’acier retournent à leur état ébullition, que tes robes de soie et de velours se consument dans les flammes de ton envie de liberté… Et ainsi partir… Voyager aux confins du monde…
Si ton rêve s’est réalisé quand tu as osé fuguer, tu as l’impression qu’il a pris un nouveau tournant, une autre route pour t'emmener encore plus loin… Toujours plus haut… Mais… Si tu souris en regardant par la fenêtre, tu le perds bien vite en entendant la porte de la cabine s’ouvrir. Une femme y pénètre et sa présence suffit à te mettre mal à l’aise. Pas que tu ne l’apprécies pas, mais depuis que tu t’es réveillé à ses côtés, tu ne lui as rien trouvé en commun en toi. Pire encore, vos conversations, vos débats… Ses ébats t’ont mis à rude épreuve. Peu désireuse d’engager une conversation qui ne mènerait qu’à la confirmation que vous ne pourrez pas vous entendre, tu te glisses hors de la pièce, croisant, dans l’ouverture de la porte, un bel éphèbe qui te fait monter le rouge aux joues. Tu t’en fais presque la promesse, ce soir, tu ne tiendras pas la chandelle.
Errant comme une âme en peine entre les wagons, tes pas te portent jusqu’à l’espace de restauration. Après une brève hésitation, tu t’engages, désireuse de te poser un moment. Et pourquoi pas, déguster un dessert pour t’aider à raviver les braises de ta joie de vivre. Plateau en main, tu laisses tes prunelles vagabonder sur les visages dans la salle, mais sur les places disponibles, surtout. C’est alors que tu le remarques. Cet homme, accoudé seul à sa table. Il n’a pourtant rien d’original comparé à d’autres. À l’espace libéré autour de lui, tu te demandes si l’aura rougeoyante qui l’entoure n’y est pas pour quelque chose. À croire qu’un cercle de protection s’est formé autour de lui. Il ne semble pas en être ravi et ton cœur se serre dans ta poitrine. À toi, il te fait penser à ce feu, rassurant des nuits à la belle étoile, réconfortant dans l’âtre d’une cheminée. Un feu protecteur qui préserve de la pétrification… Il t’intrigue cet homme. Alors, curieuse, tu t’en approches un peu. Timidement d’abord. Puis, ne détectant aucune variation de température qui pourrait te mettre à l’épreuve, tu te présentes devant lui et lui offre un sourire aimable. Cire, si douce… Tu croiserais le grand méchant loup que tu lui proposerais d’aller acheter une galette et un petit pot de beurre en te tenant par la main…
« Bonjour. Puis-je m’installer avec vous ? »
Faisant à peine attention à ses longues oreilles et ses dents pointues, tu fronces soudainement les sourcils, soucieuse de t’être méprises sur la raison de sa solitude.
« Ou… Peut-être attendez-vous quelqu’un ..? »
Calcifer
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Un battement de cils et une ombre projetée l’appellent en direction d’une fine silhouette. De longues mèches immaculées encadrent un visage diaphane empreint d’une douceur mélancolique. Son cœur tressaute au rappel de son père et de ses sourires aussi délicats que celui de cette fleur. Il le toise, caresse de ses iris nitescents le regard innocent. Calcifer ne se doute pas être inquisiteur par son attention, parfois il voudrait être velours quand il est d’une poigne musclée.
Il esquisse un sourire d’une commissure étirée sans dévoiler la blancheur de ses crocs érodés, puis acquiesce d’un grognement en débarrassant la table d’un geste maladroit. Elle lui paraît fragile dans ses dociles intentions. Lui ? Attendre quelqu’un ? Ses inspections sans manières dissuadaient toutes tentatives d’en passer les barrières. On l’imaginait féroce à broyer les espoirs et se faire bourreau de quiconque se mêlait à ses divagations. Il l’était autrefois plus par conviction que vice et le voilà maintenant, le cœur flottant en eaux troubles fumantes à distiller lentement sa mémoire défaillante.
Elle était différente, ne berçant ses oreilles mutines de lutin espiègle, ni d’insultes, ni de chuchotements insidieux, seulement le tintement timide d’une curiosité voilée à son égard. Le Vaillant voulait bien se laisser endormir par l’océan calme de ses prunelles qu’il ne quittait plus. L’avait-il déjà vu ? Elle provoquait en lui ce que jadis il ressentait en parcourant les villes, là où on ne le craignait qu’en abord et cherchait ses services en riant aux éclats de sa maladresse presque divine. Mais, avec une intensité plus dense qui l'intéressait davantage.
“Calcifer” souffle-t-il comme sur le brasier d’un temps révolu dont les flammes se raniment, gourmande de sa présence. Qui est-elle ? Veut-il gronder, réprimant l’orage d’étincelles crépitant sous sa peau. Plus rien n’avait crédit dans son champ de vision et les nuages éthérés ne l'amusaient plus autant que la contemplation de cette nouvelle image.
Il attend sa réponse, son nom à brûler d’impatience sans lui laisser loisir à s’en délecter. l’impassible Calcifer n’a d’expression qu’en ses perles améthystes luisant au gré de ses émotions.
Cire
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Sous l’incandescence de son regard, tu te sentirais presque fondre. Il y a une intensité qui te perturbe et te force un court instant à baisser les yeux sur ton plateau qui te paraît si vide en comparaison du sien. Un constat qui te redonne un semblant d’assurance et t’invite à rencontrer à nouveau ses prunelles chaleureuses. Si elles n’avaient pas eu cet éclat et si ses gestes n’étaient pas empreints de fébrilité, tu aurais hésité plus longtemps à poser ton chargement, t’asseoir face à lui, avancer ta chaise vers la table, lisser sagement les plis de ta longue jupe. Son sourire forcé et son grognement t’auraient laissé supposer que tu le gênes dans sa retraite. Mais tu commences à douter qu’il soit seul par plaisir quand tu remarques les regards surpris ou peu amènes des autres tables.
« Merci beaucoup… » Lui souffles-tu, reconnaissante en ignorant les autres.
Et alors que tu t’apprêtais à te présenter, il te devance de sa voix aux chaudes intonations qui te délivre un nom des plus brûlants. Calcifer. Tu jubiles, tu t'enflammes, presque. Entre son apparence et son prénom, tu t’étonnes de ne pas sentir la brûlure d’un feu. Tu te mords la langue pour ne pas lui poser une question indiscrète, hoches poliment la tête et te plongeant sans crainte dans ces fenêtres ouvertes sur l’âme, tu y décèles un intérêt certain qui contraste avec l’impassibilité de son être.
« Cire. Enchantée.» Réponds-tu à la question muette.
Si ton nouveau camarade ne semble pas bien bavard, tu n’en es pas dérangée. Au contraire, sa compagnie te semble plus agréable que les flots interrompus de ta colocataire. Seul bémol, si c’est à toi de lancer les discussions, tu crains de brûler les étapes avec les questions qui animent ton esprit comme on tisonne un foyer. Entre tes doigts figés, la cuillère attend patiemment que tu te décides. La tartelette sent si bon… Encore tiède de son séjour dans le four… Tu lui règles son compte en posant à ton vis-à-vis la plus banale de tes questions. Celle à laquelle tu pourrais volontiers répondre si un « et vous ? » venait à se faufiler dans la conversation.
« Comment vous êtes-vous retrouvé ici ? Je veux dire… Qu’avez vous échangé ? Enfin, v-vous vous n’êtes pas obligé de répondre. C’est de la curiosité, probablement mal placée et je ne cherche pas à vous offenser… »
Calcifer
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L’océan se voile, le laissant chavirer le temps de prendre place d’un mouvement élégant. Tout en elle lui est opposé, tant par sa fluette stature que ses délicatesses, elle inspire calme et sérénité. Lui appelle à la brutalité et sème les conflits dans les esprits échauffés des penseurs aguerris. La méprise est telle qu’on ne soupçonne pas que le brasier dormant ne gronde presque jamais. De cette maîtrise, on sait faire fi, ignorant les détails aussi subtils qu’évidents. Ne sont-ils pas damnés, lui comme les autres pour se jeter la pierre ? Il le pourrait, mais ne le fait pas. Calcifer n’en a cure.
Sa douce voix résonne, l'iridescence de ses prunelles illumine son regard lorsque son étiquette réchauffe du creux à la pointe de ses oreilles non sans se frayer chemin à faire brésiller son palpitant. Cire, un tendre prénom qui laisse suggérer la fragilité de son essence face à la puissance du sien. Calcifer déglutit, ses sourcils froncés, le grenat brillant de sa chevelure valsant sous le mouvement de recul. “Enchanté. Je suis le feu, tu ne fonds pas ?” il s’étonne, ne se laissant convaincre que par sa vision claire sans juger du lieu et des indices.
Le vif du sujet est abordé chastement sans détour, aussi brûlant que son agacement à ne point deviner ce qui est limpide. Il inspire profondément, croise ses bras, tout de muscles faits. “Mon intuition, des souvenirs, mon âme et la douleur” il essaie tout de même. C’est à peine si l’on remarque l’effort et pourtant sous le crin épais crament quelques neurones.
“Et toi ?” demande-t-il à contrecœur, toutefois il était préférable qu’à défaut de fierté il conserve son esprit. Il pouvait s’évertuer autant qu’il le voulait, ça ne changerait rien à sa condition. Reprenant son repas dans le plus grand des calmes, le tout feu tout flamme se laisse amadouer, dépouillé de son discernement il ne se doute pas avoir donné la clé pour être la risée de tout le train. Par chance, le petit soleil de porcelaine et de coton ne lui inspire aucune crainte. “Tu manges peu” remarque-t-il, stoppant tout mouvement pour partager un peu de son plateau débordant.
Cire
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Son mouvement de recul ne t’échappe pas. Ne te blesse pas non plus. Au contraire, il te surprend, plus que la familiarité avec laquelle il s’adresse à toi. S’il est le feu, tu le trouves bien prudent, loin d’être ardent. Et s’il essaie de t’amadouer, tu te laisses prendre volontiers. À sa question, tu n’offres qu’une brève réponse. Négative avant de le questionner à ton tour.
Quand il te répond, sincère, tes lèvres frémissent en un sourire, puis libèrent un rire léger. Plaçant une main devant ta bouche, tu tentes de le retenir. Tu ne voudrais pas qu’il pense que tu te moques de lui. Posant les yeux sur ton dessert à peine entamé, tu consens à lui offrir une réponse et la cause de ton hilarité.
« C’est assez amusant… Pour ma part, en plus de mon âme, j’ai cédé ma résistance à la douleur et comme vous, une part de mes souvenirs… Pour ne plus fondre ou figer dès la moindre variation de température… Je me demande bien ce qu’ils pouvaient contenir de si intéressant… »
Songeuse, tu laisses tes pensées volatiles s’éparpiller un instant avant qu’il ne capte à nouveau ton attention. Relevant le menton, l’étincelle de la curiosité crépitant dans l’azur de tes yeux, tu lui souris et hausses une épaule.
« Je n’avais pas très faim… C’est plus par gourmandise que je suis là. Enfin… Cela dit… Même en ayant un appétit d’ogre, je pense que je serais bien incapable d’engloutir autant de nourriture que vous ! »
Tu prêtes alors plus d’attention à ce qui se trouve sur la table, comparant ton maigre festin à l’assiette digne de la table de Gargantua. Tes yeux s'arrondissent et tu ne peux t’empêcher de noter qu’aucune trace noirâtre n’apparaît, là où il pose ses mains. Rien ne se change en cendre quand de ses crocs, il déchire les aliments. Et tu regardes, fascinée, la mécanique de ton voisin, t’étonnant de ne pas sentir l’odeur du charbon.
« Vous ne semblez pas brûler non plus… Et donc… Vous auriez… Échangé tout cela pour … Ne plus carboniser tout ce que vous touchez alors ? »
L’envie se fait forte. Tendre ta main, effleurer son bras… Petite bougie qui veut jouer avec le feu. Tu crains la brûlure comme tu brûles d’envie de le faire. Pour savoir. Tu as ce mouvement du corps qui te rapproche de la table, mais surtout de lui. Ta main glisse légèrement sur surface plane, s’immobilise quand tes doigts se rétractent, se ferment en un petit poing fragile et hésitant.
« Je… Excusez-moi… Cela vous paraîtra sûrement déplacé… Mais… Je suis assez curieuse… »
Jouant nerveusement avec ta cuillère, tu détournes le regard en sentant le sang affluer vers ton visage et l’état caractéristique de tes rougissements. Le sentir, le savoir, ne fait qu’accentuer ta gêne et tu peines à formuler ta demande, car il pourrait bien être le premier feu qui ne te fasse pas flamber.
« Pourrais-je vous toucher.. ? »
Calcifer
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Un picotement désagréable fait pulser le cœur battant sous la cuirasse de chair. Autrefois, il n'y avait qu'un organe crépitant dans les flammes éthérées et son âme ayant donné corps à quelques membres intangibles sous peine d'être réduit en cendres. Les rires de la douce Cire lui parviennent comme une intrigante mélodie.
Il n'y a pas de moquerie dans son regard, juste un amusement sincère dans le fond des yeux où l'azur projette son écume comme éclat malicieux. Elle lui donne raison, justifiant ses émois par une réponse. Sa mémoire affectée, sa douleur amplifiée, tout ça pour obtenir un corps lui permettant plus de liberté et de mobilité. C'est exactement ce qu'il avait souhaité auprès du diable. "Oh toi aussi" incapable de se souvenir, Calcifer ne se torture guère à chercher les raisons de Lucifer. Il se contente d'accepter son châtiment et de profiter de ses nouveaux excès de joie, bien qu'on ne puisse le lire sur son visage. Il en était reconnaissant.
Demeuraient pourtant quelques inconvénients. Le feu engloutissait sans limites, ses ravages étaient un fléau. Aujourd'hui, son appétit lui impose contraintes : son estomac peut être un gouffre, il possède bien des limites fort visibles de ses rougeoiements.
"J'ai bon appétit, je pourrais tout manger" dit-il avec fierté d'un demi-sourire non voilé. Pourtant il s'en défend, préférant ne rien devoir de plus à la main qui tient la laisse de son collier. Si elle n'est pas visible, sa liberté promise est en attente jusqu'au prochain arrêt. Pourrait-il choisir d'y descendre ? S'il n'en avait envie, il voulait décider sans se heurter à l'effroi de son puissant geôlier. Ce train, pour lui, n'est pas si maléfique s'il peut le quitter.
En bais, l'améthyste virevolte vers le mouvement d'une main timidement tendue. "J'étais le feu et je le suis toujours, mais je ne brûle qu'au contact durable et j'en maîtrise l'intensité… quand je n'ai pas trop mangé" devait-il souligner. Ses mains, rougies par la quantité de plats avalés, provoqueraient la chaleur.
Les doigts frangibles de paraffines parcourent de maigres distances, puis se ferment sur eux-mêmes. Le regard mutin du feu vacille un instant lorsque, de ses prunelles, est capturé le scintillement de sa peau. De cette magie étrange il ne comprend pas le procédé, par quelle chimie pouvait-elle s'illuminer ? Mais elle poursuivait, sans souffrance dans la voix. Elle était un feu froid, rayonnante de douceur à en faire flamber tout raisonnement logique. ça lui plaisait tant qu'il en resta sans mots.
Le toucher. Calcifer hoqueta, soufflant par le nez une once de fumée, surpris par la réplique. Il hésite un instant, détendant ses épaules, dénouant ses bras qu'il croisait par habitude de ne savoir quoi en faire, puis les posa sur la table. Ses mains tendues reflétaient la teneur des travaux qu'on lui confiait. Usées par le temps et les efforts, grandes, adaptées à sa taille bien plus impressionnante que la modeste bougie. Pourtant, c'était elle qui rendait son cœur lourd et menait la danse sous chacune de ses mesures. Et c'était encore elle qui de ses petites mains voulait fondre contre le chaleureux danger. Il retenait sa respiration, grommelant tout de même "Ne reste pas trop longtemps, je ne veux pas faire de mal" et il ne savait pas combien de temps pouvait durer l'affectueuse étreinte tant désirée qu'il ne l'avait jamais demandé.
Cire
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L’audace de ta propre question te surprend. Tu ne le connais que de vu, que de nom et déjà, tu penses à lui tenir la main. Pourrait-il se faire des idées sur toi, qui n’est pas fille si facile, habituée à résister aux plus charmants plaisantins ? Les joues échaudées, tes prunelles et ton sourire vacillent, entraînés par la chute de ta volonté. Les yeux baissés, les doigts tremblants, prêts à se rétracter, tu ne le vois même pas, si hésitant. Et pourtant, elles se tendent, si grandes, si fortes. Et ses doigts, tels les pétales face au soleil, s'ouvrent devant toi. Un acquiescement silencieux, une muette invitation. Sans pouvoir les en empêcher, tes lèvres s’étirent en un doux sourire alors que tes épaules, de soulagement se relâchent. Il ne t’en faut pas plus pour que ton regard retrouve le sien, si plonge, cherche à comprendre à ses sentiments. De sa bouche, tu acceptes l’attention, gardant en mémoire sa nature et les quantités de nourriture déjà ingurgitées. Hochant la tête, tu baisses à nouveau les yeux sur la paume de ses mains.
« Je ne m’attarderais pas… » Te sens-tu obligé de répliquer, ne voulant ni te brûler, ni abuser de sa patience face à ta curiosité.
La peau est abîmée, coûturée, usée. Contrastant avec les extrémités fuselées, manucurées, indubitablement soignées que tu lui présentes. Lentement, le cœur battant sourdement, tu t’avances, retiens ton souffle et effleures la pulpe de son index. Il te semble qu’un courant te traverse. À ton sursaut, ta main s’éloigne avant de replonger, avide, vers celle du feu avant qu’il ne la retire. Il est chaud. Agréablement chaud. Délicieusement chaud. Et sa chaleur transite nonchalamment vers toi, remontant le long de tes bras, réchauffant ton palpitant, se moquant de ton propre rougeoiement, pour finalement se lover en ton giron. Du foyer crépitant, on distingue ses étincelles qui se reflètent sur tes prunelles. N’ayant rien à voir avec la morsure, la piqûre, la brûlure d’une flamme sinon la même fascination, il te fait pourtant monter les larmes. Une première ruisselle sur ta joue, une seconde se précipite à sa suite. Dans cet instant hors du temps, l’âme ébranlée, tu te sens bête d’être ainsi sous le coup de l’émoi et ta caresse hésitante se fait tremblante, pressante autour de ses doigts.
« Pardon… C’est bien… La toute première fois… Q-Que de… l’extérieur… Je ne fonds pas… » Balbucies-tu pour excuser ton désarroi.
Calcifer
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Étiré sur ses lèvres, un sourire fait crépiter les flammes sous la prison de chair du vaillant Calcifer. Pâleur fascinante aux senteurs fantasques, il se fige au possible. Rien ne craque, rien ne vit au demeurant de la cage, hormis les lueurs malignes de son regard insistant. Rivés sur le mouvement subtil de la main si ténue en suspension sur la sienne, il en ressent une chaleur nouvelle.
Différente de tout ce qu'il a connu jusqu'alors, si brève est l'action qu'il la réclame encore. Le souffle immobile derrière l'étau musclé, Calcifer s'impatiente, mais se refuse à bouger. Libre à sa belle de recommencer, même s'il se meurt d'envie, il ne lui viendrait à l'idée de l'y forcer. Il est son opposé, son ombre monstrueuse, celle qu'elle ne craint tant il se fait soyeux. Le velours se pose enfin, chatouillant sa dextre, calleuse par labeur. Ils en restent sans voix.
La pesanteur ne sévit plus dans l'esprit échauffé, ses émois font des bulles, il se sent si léger, soulagé d'un poids qu'il ne soupçonnait guère. Petite lumière colorant ses manières et se met à pleurer. Un sourcil se hausse, il voulait s'évader. Elle retient sa menotte. Elle ne fond pas, mais en elle-même qu'en est-il ? Pourquoi confesser toute la douceur en son for intérieur ? Il n'est point du genre à douter, l'abrupt et menaçant de son sourire carnassier. Il n'a d'appétit que pour l'inanimé et la charmante bougie au toucher satiné ne laisse voir d'effort à le croire sur parole. Elle se repaît de tiédeur comme lui de son hospitalité.
De son autre main, avec une lenteur certaine, il fait preuve de sang froid pour effacer les perles nacrées débordant de ses yeux d’océan. "Alors il ne faut pas pleurer, je suis heureux de pouvoir partager ma chaleur sans te brûler" sans te blesser, voulait-il ajouter.
Il n'avait pas remarqué que sur son teint hâlé s'écoulait une goutte d'eau salée. Le vaillant Calcifer n'avait d'ardeur en son cœur que pour la pureté d'une vie en candeur. "Petite bougie, si tu es d'humeur triste, je serais là pour toi. Ma main, mon bras, tout de moi, mais ne te raidis pas" sans proposer l'étreinte, il lui autorisait à plonger contre peu importe la raison. Il ne voulait blesser, âme d'un golem de tissus, d'os et muscles, encore maladroit dans cette carrure malhabile.
