Cire // Vous allez me faire fondre …

Ton histoire commence quand Cierge et Candela, tes parents, ont commencé à envisager l'avenir avec un enfant. Ils ont littéralement fondu pour toi, mêlant leurs cires, la parfumant d'essence de pomme et de caramel, y ajoutant des pigments blanc. Durant trois jours et trois nuits, ils t'ont modelé, façonné, pour que tu sois pour eux le plus beau des bébés. Ils ont passé du temps à peaufiner tes traits et travailler tes détails jusqu'à l'ongle de nacre de ton petit orteil. Ils ont mis tant d'amour que la magie a opéré. Tu as ouvert les yeux, et ils se sont réjoui d'avoir choisi les ipomées bleues du jardin pour pigmenter tes iris.

Enfant pleine de vie, tu as vécu dans la joie et dans la gaieté, profitant, à l'aube et au crépuscule, du jardin de la maison, imaginant des bêtises toutes plus rocambolesques les unes que les autres. Il n'était pas rare, à la maison, d'entendre les rires de ta mère et les cris d'effroi de ton père quand tu rentrais en traînant une jambe derrière toi, ou en tenant une main qui fait encore coucou alors qu’elle n’est plus rattachée à ton bras.

Puis un jour, ta mère est partie. Pour le travail qu'elle t'a dit. Tu n'as plus jamais entendu son rire dans le salon de votre maison, ni senti son odeur de citronnelle en été. "C'est la guerre qui l'a emporté. Cette foutue mascarade qui n'en finit pas." A dit ton père, déboussolé, ne sachant sur qui rejeter la faute de sa disparition. À partir de là, le jardin, tu n'as pu le visiter qu'en rêve…

Tu en as poussé, des colères silencieuses, répandant des fragrances de pomme caramélisée jusqu'à l'écœurement ou jusqu'à ce que tu te calmes et viennes chercher l'affection de ton père. Après tout, il n'était qu'une vieille bougie un peu aigrie par la perte de sa moitié et craignant de perdre aussi sa petite lumière. Toi, tu craignais surtout de te consommer avant même d'avoir commencé à vivre. Et ta vie n'en serait jamais vraiment une, enfermée entre quatre murs… Et cela, même s'il répondait à presque tous tes caprices… à défaut de pouvoir sortir, tu as étudié le monde extérieur, sa géographie, son histoire… Sa politique, un peu, car tu préférais contempler les étoiles.

Il t'aura fallu attendre la fin de la guerre pour qu'il relâche sa vigilance, que tu vois une ouverture pour fuguer de chez toi. Tu es partie le cœur gros et lourd, te demandant parfois si en fait, ta mère n’avait juste pas fait comme toi. Partir pour ne pas craquer telle une allumette. Tu lui en as voulu, tu t’en es voulu. Tu as pleuré sur les routes entre deux pétrifications entre deux déceptions car ce tu voyais était bien moins beau que le wonderland que tu t'étais imagé et puis… Tes souvenirs sont restés flous jusqu’à ce que tu pactises avec Lucifer et lui offre ton âme par la même occasion.

As-tu eu raison ?

Pouvoir voyager de jour, de nuit, faire la cuisine, te baigner dans une rivière sans avoir à te soucier de la solidification de ton corps, sans avoir à te demander si tu ne vas pas couler et disparaître à jamais au fond du lit, sans avoir à te demander si un jour, dans dix, vingt, cinquante ou même cent ans, on te retrouvera… Regarder les étoiles sans avoir besoin de feu pour te garder au chaud… Tirer les rideaux des auberges où tu crèches et faire la grasse matinée jusqu’à midi en ayant la certitude que tu te lèveras même si les premiers rayons du soleil ne t’atteignent pas. Partager tes aventures sur les réseaux et en tirer quelques bénéfices… Tu aimerais dire que cela n’a pas de prix. Pourtant, il t’arrive de douter, d’hésiter, quand la douleur est si intense que tu te demandes s’il n’aurait pas mieux valu mourir.

Tu es tombée d’une falaise une fois, te brisant à ses pieds malgré ta nouvelle souplesse. Tu as attendu longtemps avant qu’on te découvre et qu’on retrouve tes morceaux. Cela t’a servi de leçon. Depuis, tu crains le vide, mais plus encore, la solitude. Tu as arrêté les escapades après ta chute, le temps de te remettre de tes émotions. Tu en as profité pour aller rendre visite à ton père, après des années de silence. Il ne t’attendait plus, mais il t’a accueilli, tout en amour et réserve. Sûrement, qu’il devait avoir peur que tu disparaisses à nouveau sans donner la moindre nouvelle. Tu lui as raconté tes aventures, omettant le plus dangereux, lui avouant que si tu avais réalisé un rêve, tu n’étais toujours pas satisfaite… Il a compris le creux, le vide en toi, que les beaux paysages et les rencontres passagères n’ont pas pu combler. Il s’est demandé ce qu’il t’e arrivé avant que tu ne pactises avec le diable, sans pour autant oser te poser la question. À sa manière et surtout grâce au pouvoir du père, il a deviné que tes rêves avaient pris une autre direction. Pour la première fois de sa vie, il t’a ouvert la porte pour que tu puisses partir à la recherche de cet idéal qui remplirait ton cœur… Où le ferait complètement fondre…

Tu as repris tes voyages, pendant un temps avant de devenir journaliste à Mêmeland, suivant de près la guerre contre Wonderland. Naïvement, tu pensais que l'après-guerre t’apporterait des réponses ou au moins quelques indices sur ce que tu as perdu…

Et puis, tu t’es réveillée dans le train…