Duchesse, l'Aristochat des rues

En bref:

Avoir autant de chance…
ça ne devrait pas être autorisé.

C’est ce qu’il pense en fuyant avec succès le pays blanc devenu rouge. Sans encombre alors qu’il traverse ce qui doit être approximativement un bout de frontière non gardé. Une chance se dit-il. Un instant il s’arrête, regarde le passé, regarde la ville qui s’embrase au très lointain. Quelques révol’thés un peu trop motivés à créer le chaos dans cette ancienne société qui avait commencé à pourrir de l’intérieur depuis bien trop longtemps. Le blanc était passé.
Et lui s’en échappait.
Quelle chance se répète-t-il. Tous ne l’auront pas ce soir.
Il souffle un peu, sourit de son succès et reprend sa route en consultant un instant sa carte sur son téléphone. Dans son dos, quelques grandes maisons dansent entre les ombres projetées par la lumière vive et ardente.

Le passé s'enflammait.

Mais Duchesse n’est pas du genre à regretter.
Combien même celui-ci fut doux…

Car Duchesse est apparu comme un cadeau tombé du ciel entre les bras de Madame. Elle était une noble déjan’thé du Royaume Blanc, extraordinairement riche, et était appréciée et respectée. Et elle se sentait si seule. Madame n’a eu que faire que ce doux petit être confié soit une nouveau’thé tant détestée. Dans ce monde qui s’en prenait toujours aux minorités en bouc émissaire, elle se révolta et décida d’aimer son petit compagnon encore plus fort. De le protéger, de le choyer. Il réveilla même en elle ses envies d’un monde plus juste envers toutes les races, un monde plus beau où tous pourraient se nourrir à leurs faims, dormir au chaud.
Il lui est si précieux avec ses yeux dorés s’étonnant sur ce monde.
Qui oserait abîmer le jouet d’une des nobles les plus riche du royaume blanc ? Sa fortune alimentait une partie de l’armée dans cette guerre à vide. Avide de nouveaux morts.

Quelle chance, Duchesse ne souffre alors pas de son statut de nouveau’thé dans un pays d'intolérance.

Quelle chance…

Quelle chance se dit-il alors qu’il participe aux premières charités de Madame ! Il peut faire connaissance avec des gens, apprendre le monde en dehors de la cage dorée protectrice qu’est sa maison. Oh, il l’adore, sa maison ; tout le monde est incroyablement gentil avec lui, tout le monde aime Madame. Elle est généreuse, juste et paye son personnel, qu’il soit alice, nouveau’thé ou déjan’thé.
Mais l’amour ne s’achète pas et au fond, c’est bien ce qui est le plus important dans la vie.
Madame tente de lui apprendre l’importance de l’amour, que l’argent n’est que temporaire, va, vient, se dépense et s'acquiert. Alors, le trop plein qu’elle possède, elle le met au service des pauvres, les nourris, en mécène certains prometteur pour le simple plaisir d’aider. Et en ses rares occasions, toujours l’accompagnant (le protégeant), Duchesse peut enfin sortir de son cocon et rencontrer les étranges personnages peuplant le royaume blanc.
Il apprend la rue alors.

Cette dernière lui sourit, car qui voudrait abimer le petit protéger de leurs bienfaitrices ? Et tout doucement, la rue se met à aimer ce petit chat nouveau’thé, lui apprend à se battre, à se défendre, tantôt physiquement puis verbalement. Elle lui inculque ce caractère de fer et ardent, lui apprend à partager sainement l’amour qu’il a en trop plein en lui. Et lui ronronne, lui savoure. Son âme est donnée aux souverains, Duchesse l’accepte, Madame commençait à craindre de le voir grandir puis vieillir. Il est devenu adulte si rapidement, le temps et avec la fragilité d’un battement d’aile de papillon. La vie pourrait le quitter aussi vite, éphémère. Mais lui, il ne veut pas quitter cette vie, il veut rester avec Madame, pour toujours.
Une vie merveilleuse, quelle chance.

Il rencontre même, lors de cette vie dorée, de merveilleux compagnons.
Chess le peintre que Madame mécène en l’échange de quelque tableau, qu’il l’aime ! Petit Duchesse aimait quand le peintre apportait ses peintures et il ronronnait à chaque visite de l’artiste. Un chat, comme lui !
Maiden, la si gentille Tour ! Elle semble partager les idéaux de Madame et même s’ils se sont rencontrés et ont connu de triste circonstances, Duchesse lui réserve toujours un cookie et verre de lait à ses entrevues. Et puis, il ronronne pour soigner son cœur blessé, quand Grimm n’est plus.

Sans s’en rendre compte, Duchesse se fait un discret nom lui aussi, dans les milieux défavorisés. Lui qui ne peut apporter une quelconque fortune, il aide, il aime, il conseille et il cuisine pour le petit peuple, s’empourprant quand ce dernier lui montre une once d’affection. Il se sait tellement secondaire par rapport aux bienfaits de Madame ! Mais son sourire est si chaleureux, il ne s’en rend pas compte. Même en ces temps durs et cruels, la vie est belle. La chasse aux impuretés est lancée, les pauvres gens sont empaquetés dans les dômes fragiles et si prompts à se briser. Madame se révolte encore plus, Duchesse suit, les charités continuent. Encore encore, donner plus, aimer plus fort encore !

Il lui faudra l'effondrement d’un dôme récemment visité pour faire prendre conscience à Madame de sa propre mortalité. L’immortalité ne veut certes pas dire invincibilité mais pendant un instant, elle l’avait oublié… Alors Madame se décide. Si un jour elle venait à disparaître, ce serait Duchesse l’héritier de la fortune. Quelle chance encore se dit encore aujourd’hui Duchesse d’avoir échappé à la tentative d’assasinant et d'empoisonnement du vil major d’homme ! Ce dernier n’avait pas supporté qu’un Nouveau’thé puisse être héritier, puisse profiter d’une si grosse fortune. C’est bien son problème, et c’est grâce à ses entraînements hétéroclites que l’aristochat des rues à survécu, aussi aidé de la rue. Une sombre histoire qui n'entache pas l’optimisme pourtant du jeune chat qui raconte encore cet épisode de vie comme une belle histoire pour aider les petits à s’endormir.
L’homme est encore en fuite, à la grande colère de Madame.

Mais dès lors… Qu’elle lui a encore semblé fragile, la simple existence de son nouveau’thé adoré. Aussi fragile que les premiers pas d’un jeune faon face à une société enfantine cruelle qui cherche à décortiquer pour mieux appréhender. Madame est devenue soucieuse, s’est mise encore plus à écouter les rhum’heur et à sentir l’odeur épicée des révoltes qui se fourmentait dans les ombres. Le tourment de son ex-Major d’homme n’était-il pas le résultat d’une société déjà à bout de souffle ? Enivrée de la bienfaisance qu’elle accomplissait, Madame se reprochait d’avoir été aveugle et d’avoir failli perdre son bien le plus précieux. Désormais sortie aguerrie et prévenue, elle ne laisserait plus rien lui échapper. C’est ainsi qu’elle comprit. Elle ne savait pas quand, ni comment, mais une nouvelle révolte grondait. C’était une certitude. La rue jadis bienveillante n’était plus qu’un tonneaux de poudre auquel il manquait la première étincelle pour tout faire s’embraser.

Madame eut terriblement peur.

Elle fit en cette année 592ap.A ce que toute personne déraisonnable comme elle était aurait fait. La noble disparu de Wonderland pour aller trouver le diable et troquer son existence toute entière pour que Duchesse récupère son âme et soit enfin libre de fuir cette existence.

Le dernier geste chargé d’amour d’une noble solitaire à son chat.

***

Bon, c’est plus impressionnant que prévu, pense Duchesse, petit chat blanc face à l’imensité et la nouveauté du royaume relevé de ces cendres. Il déglutit, serrant un peu plus son précieux téléphone dans la main, sa queue fouettant nerveusement l’air dans son dos. Il marche un peu, voit les gens le dévisager. Peut-être fait-il un peu souillon avec sa cape élimée où la lumière du soleil révèle que la couleur grise ne sont que des taches de suie mal réparties. Peut-être est-ce simplement la méfiance accordée à l’étranger quand on ne sait s’il sera porteur de mauvaises nouvelles.
Duchesse a marché de nombreux jours, ses coussinets plantaires n’ont plus leurs soyeux et moelleux d'antan et il sent son énergie lasse, pour la première fois depuis longtemps. Que lui dit la carte sur son mobile ? Qu’il est à Helheim, qu’il y est rentré dès lors qu’il a traversé en barque la rivière nommée Styx.
C'était un voyage périlleux. Agité à être entouré de tant d’eau, sa nervosité à faillit faire se renverser la barque plusieurs fois. Il lui fallut l’injonction d’un Charon & associé pour se tenir enfin tranquille et se laisser juste ronger de l’intérieur par le stress. ça et un jeu sur mobile pour dévier son attention.

Et maintenant, se demande Duchesse ? Ses oreilles à l'affût, il les laisse à l’air libre plutôt qu'entravées par sa capuche, son apparence ne lui a jamais fait honte. Son sac lui semble bien léger après avoir grignoté ses derniers vivres pourtant scrupuleusement rationnées. Les questions s’entassent dans sa petite caboche aussi. Et si le nouveau roi refusait de le prendre sous son aile ? Et si ce dernier s'avérait être cruel finalement ? était-ce un nouveau piège dans lequel se fourrer ? Et il était si seul à présent, loin de tout visage familier, loin d’elle également…

Non, se répond résolument le chat blanc. C’était un plan de Madame et Madame n’avait jamais tort. Ou presque. Encore que même cette dernière avouait que prêter allégeance à ce dernier royaume né était un saut de la foi en soi. L’avenir ne pouvait garantir la parole du roi, pas plus que la paix. Il faudrait œuvrer pour. Duchesse prit une inspiration. Agir à son échelle, pour améliorer les choses. C’était bien dans ses cordes. Alors, ajustant un peu son sac sur son épaule, il s’incline devant l'étalage d’un marchand et le questionne :

“Pour donner son âme, c’est par où ?”

***

On lui avait bien dit que ce n’était pas chose nécessaire. Qu’il pouvait vivre ici sans se séparer de cette précieuse âme. C’était ce que le Roi promettait : être protégé sous un statut de réfugié, même en gardant son âme en soi. Mais voilà, duchesse *devait* le faire, car Madame le lui avait dit. Pour vivre sous l’aile de quelqu’un, sous son autorité aussi. La liberté totale était bien trop effrayante. Pour les revoir tous un jour, pour se permettre de voyager sans craindre de se la faire arracher. Pour accorder un peu plus de force au royaume sensé le protéger.
On lui accorda même une place au château, en tant qu’infirmier de la cour. Un coup de chance qu’avait suggéré Madame. “Parle leurs de tes ronronnements.” Son manque de connaissance en médecine ne pouvait en faire avec décence plus, mais son ronronnement curatif attisa l’envie de garder le chat près de soi.

Surtout avec un passeur comme La Corriveau avait-il vaguement entendu parler (ricané même).

Lui ne comprenait pas bien comment il avait pu avoir ce titre prestigieux sans connaissance en médecine. Alors, il s’est mit à se renseigner auprès du médecin officiel de la cour. Ses journées sont bien remplies : Duchesse étudie sur son temps libre, est vite devenu confident de nombreuses personnes qui lui accordent leurs confiances malgré un caractère semblant abrasif aux premières rencontres. Mais il a cette aura de ‘ami-maman-poule’ si tenace qui lui colle au poil. Il soigne les petits bobos en respirant lentement et ronronnant à quiconque vient le trouver. Il adoucit les cœurs également, apaise les craintes.
Et après sa journée, il descend dans les rue, les bras chargés de victuailles chapardées aux cuisines du châteaux ou cuisinées par ses soins afin de nourrir les plus petits orphelins vivant dans le royaume. Il joue avec eux, leurs offre l’enfance qu’il a eut, chargé d’amour, d’histoire et de tendresse.

Puis quand vient le soir, Duchesse rentre en Asgard, se perd dans ses couloirs avant d’enfin retrouver sa chambre. C’est que le félin n’a jamais été très fort pour se repérer et il lui semble que le château tiendrait facilement 3 fois la maison de Madame (Ou plus ? Il n'a jamais été fort en math). Qu’il considérait déjà si grande !
Il étudie encore un peu, échange quelques mots avec Madame par téléphone, pour lui assurer que son quotidien se passe bien.
Puis va s'effondrer dans son lit, content de lui-même et de la chance qui lui fait avoir une vie si douce.

Ah, souffle-t-il dans son coussin moelleux qu’on lui a accordé. Quelle chance.

Une chance pareille, ça ne devrait pas être autorisé.