Calcifer au coeur ardent

Brasier

Un sorcier solitaire en mal de compagnie avait trouvé refuge loin de toute civilisation au fond des caves où on ne viendrait le chercher. En son cœur, un souhait germa à force de chagrin et d’espérance il avait donné vie par sa volonté à une petite étincelle crépitant dans le foyer. Deux billes grenat scintillaient dans les flammes et une voix douce et fluette se mit à grommeler.

Loin d’être à l’image de l’ami idéal, le minuscule démon de feu n’avait aucune notion du bien et du mal. Ses conseils n’en étaient guère imbus de lui-même et assoiffé d’aventure, il voulait grandir sans en subir les conséquences, se nourrir et mesurer sa force. Le mage, soucieux et désespéré se demanda comment remédier à ce manque de jugeote. Plus encore à cette absence de tendresse. D’un sourire doux et mièvre, il se pencha sur le feu et lui offrit son cœur.

De l’infernal petit monstre, Calcifer, ainsi nommé en référence à sa ténacité et son tempérament, avait cessé les caprices. Il était à présent stable dans sa chaumière à écouter le sorcier et apprendre à ses côtés.
Les connaissances s’accumulaient, son cœur épanoui battait une mesure joyeuse, si bien que dans le feu se dessinaient des membres impalpables. Un visage mutin se parait de sourire. La colère faisait bourrasque dans un retour de flamme tonitruant, sa tristesse le tassait lamentablement comme une échine courbée se repliant, ses joies étaient explosives et crépitait à en faire jaillir des étincelles. Calcifer était un être à part entière.

Il pouvait conquérir le monde dorénavant si ça lui chantait, s’émanciper du logis de son créateur, mais une chose l’en empêchait encore : son cœur. Il avait terriblement peur de le lui rendre et de se soustraire aux souvenirs précieux qu’il possédait alors. Le temps fila sans que ne tarissent ses envies d’ailleurs. Il céda, déposant le palpitant entre les gants épais du magicien, quelques crépitements d’angoisse s’échappant de son aura doucereuse où tremblotaient les extrémités de ses mèches. De longues minutes s’étaient déversées avant qu’il ne le réalise. Calcifer avait un cœur ardent dorénavant dont le rythme s’affolait. Tous deux sourirent et se quittèrent sagement dans cette promesse distante qu’il reviendrait.

Son aventure tourna à la déception en parcourant le territoire où la désolation était telle qu’il rebroussa chemin. Il posa des questions, beaucoup tant les récits de son compagnon étaient bien différents de ce qu’il avait vu. Sa colère grandissait à mesure que le sorcier confia ses peines et sa retraite anticipée. Il avait perdu de nombreux amis et se considérait lâche pour avoir rendu les armes et s’être terré depuis.

La petite flamme devenue volumineuse avait compris et partagé sa douleur. Il s’était imaginé sans lui et pour ne pas voir cette crainte le hanter il avait décidé de s’engager. Malhabile par condition, on ne lui avait donné crédit qu’en constatant sa puissance. Calcifer consomme de tout et la chair humaine sans faire partie de ses mets favoris avait été un carburant à ne pas en douter. Il était dangereux, inatteignable à moins d’être mouillé ou isolé d’une terre suffisamment sèche pour qu’il y dépose ses empreintes braisées. Si le ciel pleurait, il lui fallait s’abriter et attendre qu’une mort certaine vienne le cueillir et le réduire en cendres. Pourtant, il n’y aurait eu d’histoire à moins d’une moralité condamnant les esprits fertiles. Son petit miracle n’était autre qu’un cœur tambourinant bien loin du champ de bataille. Tant que le sorcier vivait, alors lui aussi. Il brûlait moins, mais il pouvait saisir, il pouvait bien s’éteindre, tant que persistait une minuscule flamme, elle pouvait dévorer et il n’hésitait pas à s’infiltrer, provoquant des combustions instantanées. Vaillant, il ne reculait devant rien, expliquant les horreurs par une justice en laquelle il croyait supposément.

Puis, la guerre prit fin, emportant les carnages et accomplissant le rêve que plus personne ne subisse les traumatismes de cette rage. Il avait conscience d’être responsable et s’en voulait autant qu’il s’était satisfait de savoir enfin son créateur à l’abri de tout danger. Il rentra chez lui où le sorcier avait pleuré son absence et culpabilisé d’avoir laissé son unique allié défendre ses intérêts. Lorsqu’il le vit, affaibli, Calcifer s’était assis tout près pendant qu’il s’éteignait dans un sourire. Son cœur ne jouait plus la mesure et dans un ultime souffle, il lui confia : la vie est un feu dont l’intensité et les couleurs vacillent. Il ne tient qu’à nous de l’entretenir. Malgré les cendres, il y a toujours un feu d’allumé quelque part.

Et il y en aura toujours, lui avait-il répondu. Elle était ainsi faite, cette petite poudre à la base de toute chose ; Calcifer au cœur ardent de son si joli nom a brûlé leur demeure dans une tristesse silencieuse qu’il ne pouvait contenir. Il s’en était allé loin, visitant le monde à la recherche de ce qu’il avait perdu. Son père, son ami ne reviendrait pas et le vide dont il avait hérité il le pensait si profond qu’on ne l’y reprendrait pas. Bien sûr il n’en fit rien et se demande encore ce qui avait bien pu lui être retiré de l’esprit pour en intéresser Lucifer.

De sa vie de soldat, de ses peines et ses joies il n’avait rien perdu. A priori il était entier et neuf dans cette enveloppe si lourde qu’il en eut du mal à comprendre. D’abord son état, ensuite les réponses.

Sur son passage, la fin, la soif n’étaient que des gargouillements et une bouche pâteuse. On lui accordait le gîte et le couvert contre quelques tâches parmi lesquels il se révéla apte à la métallurgie. Il ne restait jamais longtemps. Il se faisait souvent avoir comme un bleu dans la contrariété de ne pouvoir rien y changer. Il avait cédé son intuition redoutable, une part de ses souvenirs et sa capacité à ressentir la douleur. Contre un corps qui ne craignait plus ni les coups ni les caresses. Contre un vestige arraché à son esprit et cher à son cœur la peur panique d’en avoir cédé trop. Mais quoi ?

Ses yeux se sont fermés, dormant à la belle étoile. Lorsqu’il les a rouverts, il avait entendu le rugissement d’un train.