Will au tortillon

En bref:

Il y a des morts douces, qui laissent l'empreinte d’une caresse sur l’âme.
Mais la sienne…
Déjà, est-elle morte ? Ou d'autres sont-ils morts pour elle ?

Quand ? Comment ? Pourquoi ?

Peur, tristesse et tourmente vascillent en son cœur avant même qu’elle ne puisse ouvrir les yeux. Cachées dans la nuit, milles petites étincelles virevoltent dans tous les sens en s’échappant de corps, éclairent de leur lueurs quelques herbes folles, puis convergent dans le bruit discret d’un feu qui crépite. Une naissance qui aurait pu être jolie si elle n’était pas aussi marquée d’une macabre souffrance.
Ce déchirement à l’âme de la soudaineté d’une mort brutale et sans pitié.

Un visage se forme, des flammes violacées l’encadrent et quand se dessinent des paupières closes, de tristes petites étincelles bleutées s'envolent. De ses bras elle s’enlace, se berce et sanglote en silence ces moments de tous les sentiments.

Ce jour de mort et de naissance.

*

“Un peu plus à gauche.”

Ça n’a jamais disparu. Quand ses pensées fusent, toujours le sentiment de tumulte, son coeur qui fait mal. L’abandon comme compagnon, c’est injuste ! Tellement injuste ! Alors elle les déteste. Tous ! Un trop plein de chagrin et de colère à en noyer la petite flamme qu’elle est. Elle est née, et vit, avec cette conviction de n’être qu’un regrêt errant à penser à tout ce vécu loupé.
Alors elle se venge.
Le temps d’un cri ou d’un pleur, sa peine lui semble plus légère avant de revenir, encore plus pesante. Mais Will o’Wisp ne réfléchit pas aussi loin. C’est d’instinct qu’aujourd’hui elle s’en prend à un petit garçon perdu dans la forêt. Il pleure, il appelle à l’aide, Silence, silence, silence !!

Elle rentre dans sa tête, il l’ignore. Personne ne se rend jamais compte, elle n’est qu’une lueur de plus dans les yeux. Dans cette étrangeté que sont les Otherlands, même ses petites perfidies sont illogiquement acceptées.

“Par ici, oui.” Le gamin accélère le pas. “Tes parents sont là.”

Puis elle s’échappe et se camoufle dans les ombres avant que la fosse n’avale sa petite victime.

*

Y’a-t-il eu un avant ? Ou est-elle juste apparue comme une blague cruelle de ce monde ? Parfois elle s’en fiche. Parfois ça l’obsède.
Aujourd’hui, elle y pense quand elle mastique un repas sans saveur et avale quelques gorgées d’eau. Ça glisse dans sa gorge et, ironiquement, brûle son estomac. Will a toujours soif. Mais trop boire la mettrait en danger, or elle n’est pas la seule créature à craindre dans cette forêt, comme l’a constaté un jeune déjan’thé un peu trop aventureux. Dans ses réflexions s’est allumé une nouvelle idée au fil des années.

Pourquoi fait-elle ça ? Pourquoi se venger ? Et de quoi ? Pourquoi sur ses gens qu’elle sait innocent ?

Ses mesquineries aussi commencent à prendre le goût de cendres. Y’a-t-il un sens à tout ça ? Puis la créature qu’elle a guidée sur le couple se relève, mettant fin à sa pensée en se léchant les babines ensanglantées. Cette dernière la regarde, telle la friandise en fin de repas, et dans le vacillement fragile d’une flamme, le feu follet disparaît et entre dans la tête de la bête. Il n’y a que des pensées primaires. Manger. Dormir. Vivre.

Elle aimerait bien penser aussi simplement.

*

Un jour, elle a observé. Peut-être un peu trop. Deux femmes, heureuses, s’embrassant sous le regard dégoûté de Will, dissimulée entre deux bosquets. Elle leur tirait la langue, pensait des *bieurk* si fort qu’ils en devenaient presque audibles et a voulu les séparer. Trouver comment tuer l’une, se repaître de la peine de l’autre, rire du nouveau malheur d'avoir été séparé de sa moitiée. Compatire cruellement *oui, soyons seule à deux. *

Et Pourquoi ? Elle ne l’a pas fait.

Elle les a enviées, jalousées à en avoir les cheveux qui grésillent sur le dessus de sa tête. Leurs visages réjouies d’être à deux, les gestes tendres l’une pour l’autre. Will aurait voulu les brûler, si elle en avait le pouvoir. Elle aurait été alors heureuse ! Non, c’est pas ça. Elle aurait été moins malheureuse. Pour un court instant, elle s’en rend compte maintenant. Finalement, tout est vain.

Son coeur grandit, et apprend, et aujourd’hui s’ajoute à ses questions une nouvelle idée.
Peut-être qu’il y a une solution simple à la solitude : ne plus l’être. C’est idiot, ça contredit tous ses instincts qui lui ordonnent de se venger.
Pourtant, elle veut essayer. Alors cette fois là, elle sort de sa cachette, dévoile sa petite silhouette au couple et, d’une voix si douce qu’elle pourrait être soufflée comme une flammèche de bougie, articule :

“Je suis perdue.”

Elle est surprise de s’entendre parler, incertaine de l’avoir déjà fait.
Elles sont méfiantes mais les yeux innocents ont tôt fait de leurs retirer leurs doutes. Elles ont souri et l’ont emmenée à Halloween Town.

*

Si ça aurait pu être le début de sa félicité, ça n’a été qu’une continuation de son tourment. Will ne sait pas, ne comprend pas. Des paroles souvent dérangeantes sortent de sa bouche, le concept d’argent lui échappe, ses demandes d’amitié trop brusque mettent mal à l’aise. Ses réactions ardentes font fuire et le rejet se fait constant et cuisant. Être délaissé est encore pire maintenant qu’il est en grande compagnie.

Sa colère s'enflamme encore un peu plus qu’avant. Ils ne l'acceptent pas ? Tant pis pour eux ! L’instinct qu’elle avait tenté d'éteindre renaît sans contrôle mais bientôt se prend-elle la gifle de son impuissance. Car il y a cette fois où quelqu’un d’un l’arrose pour la punir. Sa peau rougeoyante devient grise, toutes flammes éteintes. Son existence devient vaporeuse.
Et ça fait tellement mal.
Dans la ville où on récompense les sorts, elle constate qu’elle ne sait finalement pas faire grand chose. Partout, on l’arrose sous une pluie de rires, ça devient un jeu de l’affaiblir et perdue dans entre maisons mouvantes, elle ne sait même plus où s'enfuir.

Quelle affreuse farce du destin, de ne naître que pour mourir à petit feu.