au beau milieu d’un couloir avec Morty (alias La Mort)
Le narrateur, bras ballants, dos courbé, n’ose pas sonner à la porte de la mort.
Pourtant, la mort, c’est un bon pote. Enfin, ça pourrait le devenir. Pas besoin de faire semblant, avec lui. Pas besoin de beaucoup parler, beaucoup rire. La mort semble accepter la peine et le silence de celui qui aimerait se faire écrivain.
Il lui a demandé de garder son chat.
Enfin, non. Pas vraiment de cette manière. Il a parlé de son chat, du fait qu’il devait être absent, peut-être d’avoir besoin d’un catsitter et le narrateur s’est proposé. Par sympathie ? Par politesse ? En réalité, il ne le sait plus. Par contre, aujourd’hui, il le regrette. L’homme aux tempes grisonnantes est aussi vieux que les premières histoires et pourtant… il n’est pas bon avec les animaux.
Mais une fois coincé dans sa proposition, il s’est enfoncé dans le mensonge. “Les chats, bien sûr, j’adore ça !” qu’il avait argumenté ; “Avec leurs petites griffes mignonnes, et leurs dents pointues adorables” plutôt douloureuses et effrayantes ; “Ils ne me font pas du tout peur !” personne ne dit ça…
Bref. Il a menti. Il est devant cette foutue porte, et maintenant faut qu’il sonne. Alors, il sonne. Et grand sourire aux lèvres, il est prêt à continuer de s’enfoncer dans son mensonge.
Les voyages se préparent, et avec minutie. Après tout, Morty est un professionnel. Oui, ses talents de passeurs lui permettent d’aller rapidement d'un point A à un point B, mais vous savez ce que l’on dit : le chemin compte plus que la destination, et la mort n'échappe pas à la règle. Sinon c’était assassiner l’idée même de la découverte (et du guide qu’il était en train de rédiger). Mais le vrai problème dans tout ça était son ami à quatre pattes. Du pire genre possible : les chats. Libre comme l’air et pourtant bien lié, Morty ne pouvait se résoudre à laisser son fragile compagnon seul en son absence. Donc il avait trouvé quelqu’un. Et par trouver… disons que le destin avait mis la bonne personne sur sa route.
“Nox, je crois que notre invité et ton futur ami vient d’arriver.”
Non, la sonnette de la mort n’était pas la marche funèbre, ça serait de bien mauvais goût.
“Merci de votre venue. Entrez donc et installez-vous comme vous le désirez.”
Les quartiers de Morty étaient simples, fonctionnels. Le plus notable était une bibliothèque bien remplie et les affaires du chat. Jouet, peluche et arbre, le félin curieux du visiteur (de son territoire, comme tous les chats) se réveillait pour se rapprocher de lui.
“je vous sers quelque chose ?”
Il était un relativement bon cuisinier mais il avait rarement besoin de se sustenter, l’ironie du sort.
au beau milieu d’un couloir avec Morty (alias La Mort)
En apnée, comme à la piscine, Le narrateur attend devant la porte de la mort. Et heureusement, la faucheuse ne se fait jamais attendre. Il fait un signe de tête poli, comme gage de remerciement, avant d’entrer dans les lieux.
Le narrateur a l’air d’être du genre poli, avec son veston repassé et sa gueule de salary-man. Pourtant, il n’en est rien. Dès qu’il passe le pas de la porte, il se met à détailler chaque coin de la pièce. C’est dans le plus intime qu’on apprend à connaître une personne, et s’il ne cherche pas à devenir le meilleur pote de la mort, il espère tout de même être dans ses petits papiers.
On ne sait jamais, ça peut toujours être utile.
Naturellement, le narrateur trouve un endroit où s'asseoir. Usuel, plus que confortable. Une chaise, ce que l’on fait de plus classique.
”Vous avez du thé ?”
C’est que le narrateur essaie d’arrêter le café. On en prend trop dans les bureaux, et ça rend anxieux. Il n’a pas besoin de ça.
Pour Morty il était bien plus plaisant que ses invités s'installent confortablement. Après tout il est difficile d'avoir une conversation normale - si ce mot pouvait s'appliquer à l'Otherland - quand l'autre est terrifié (ou du moins, pas à l'aise). Autant se simplifier la tache, prendre le chemin le plus compliqué était parfois intéressant, mais rarement nécessaire. Autant dire qu'il n'allait pas se plaindre.
"J'en ai oui. J'espère que le thé noir ne vous dérange pas."
C'était surtout pour ses invités, il avait pris le plus "standard" possible. Le meilleur moyen de ne froisser personne n’est de taper au plus large, non ?
"Bien sûr."
Sortir le sucre. Facile. Le tout sous l'œil observateur du chat. Il ne faudra pas l'oublier, c'est qu'il est malin. Même s'il est du genre à se cacher sous les rideaux avec les fesses qui dépassent. On ne peut pas tout avoir.
"Absolument."
Du lait en plus donc. Aucun problème. C'était l'avantage d'être un assez bon cuisinier, il avait beaucoup de choses en réserve.
"Faites attention Nox a tendance a renverser ce qui est sur la table. Mais normalement il ne grimpe plus dessus."
Il est banni. Oust le chat turbulent.
"Je doute qu'il vous pose problème, je présume que ça n'est pas votre première expérience ?"
au beau milieu d’un couloir avec Morty (alias La Mort)
Avec Le Narrateur, la mort est étonnamment clémente. Il aurait peut-être pu demander des petits gâteaux, ceux à la cannelle, qui croquent sous la dent ! Après tout, ce n’est pas tout les jours qu’on peut se faire servir par la faucheuse. Le Narrateur semble alors prendre ses aises, et se trouver chez lui. C’est que le wagon est plutôt confortable.
”Merci beaucoup.”
Le Narrateur attrape la tasse, et la conserve bien précieusement entre les mains. Il souffle deux fois dessus. Deux fois. Ni une de plus, ni une de moins ! Et porte le breuvage à ses lèvres. Il aurait préféré de l’earl grey, mais le thé noir fera l’affaire.
À la question de Morty, Le Narrateur fait fausse route.
Il tousse, tousse, pour cracher tout le thé qui a voulu trouver chemin jusqu'à ses poumons. C’est qu’il a été surpris, par ce qui semblait pourtant tout à fait évident.
”C’est que…” Comment le dire poliment ? ”...En réalité…” il se redresse et pause la tasse sur la table devant lui. ”Pas vraiment.”
Il regarde Morty droit dans les orbites, mais doit admettre être intimidé.
Et c’est à ce moment que l’inévitable arriva et qu’un petit bonhomme à quatre pattes décida de se tenter au thé, et à faire glisser sur la table une tasse encore bien pleine.
Heureusement, Le Narrateur remarque tout de suite son affaire et il récupère sa boisson. Un grand sourire, il espère convaincre : ”Ma première expérience comme catsitter, oui, mais j’ai beaucoup d’expérience et rien ne m’échappe.”
Et bien. Ça serait plus pratique si le narrateur ne s'étouffait pas devant la mort. D'une certaine manière Morty était en vacances, escorter les personnes vertes d'un Nouveau Monde (en tant que passeur) était une chose, mais diriger les autres du monde présent vers un monde d'après n'était plus dans ses fonctions. Guide touristique était très bien, pas besoin de plus.
"Oh, je ne m'attendais pas à ceci."
Déçu ? Non. Il n'avait aucun problème avec ceci, il était simplement surpris. Offrir une nouvelle occasion à d'autres n'était pas un souci.
"Ne pas se faire renverser le thé sur les genoux est une première preuve."
Difficile de donner une intonation amusante quand l'on est un squelette.
"Tant que vous faites preuve de vigilance et de respect envers mon compagnon, je n'ai aucun problème."
Alors qu'il récupère le turbulent enfant dans ses mains… os ?
"Il faudra faire attention si vous comptez écrire, il sait ce montrer intéressant."
Et parfois saboter le travail. Que ce soit avec de vieux moyens en renversant de l'encre ou marchant sur le papier avec ses papates, ou en éteignant l'ordinateur. Qui a dit que la mort était toujours vieux jeu ?
au beau milieu d’un couloir avec Morty (alias La Mort)
Pirouette, saut de biche, roulade, flip, renversement, pas chassés et enfin saut assemblé ! Le Narrateur s’improvise, de temps en temps, gymnaste. Si seulement les Jeux Olympiques avaient une délégation Otherlandaise. Il raflerait toutes les médailles, deviendrait une star, plus besoin d’écrire dans le foutu wagon du diable et bonjour la yes-life.
Mais non, voilà qu’il doit bien arrondir les fins de mois, cabotiner pour espérer ne pas se fâcher avec Morty, lui laisser passer du bon temps sur la terre, et ne pas tuer son chat.
Et la mort semble lui faire confiance.
”Et ce ne sera pas la dernière !” Des preuves, il peut en proposer des centaines d’autres. Comme ne pas se faire renverser son chocolat sur les genoux. Son café sur les genoux. Son coca sur les genoux. Ou même son thé sur les épaules. Son épaule sur le thé…
Bref.
Il se sent fier, tout penaud, tout content quand…
”Intéressant ? Comment ça intéressant ?” Plutôt comme Romy Schneider et savoir se faire muse, ou plutôt comme un monstre prêt à détruire toute création.
Le narrateur était fort en improvisation. Et en mensonge également. Est-ce que Morty était crédule ? Un peu. Il avait appris a ne pas trop fouiller, a ne pas trop s'inquiéter pour des choses un peu stupides. Si erreur il y avait, elle ce rattrapait souvent. Même quand il s'agit de garder un petit démon à quatre pattes. Un démon gentil et câlin, mais capable de tout quand il entend le son d'un paquet de croquettes qui s'agitent. Ou quand il veut de l'attention.
"Intéressant autant en bien qu'en mal."
Ils choisissent ses mots avec attention. Il s'agissait de ne pas froisser le concerné.
"Il a par exemple la fâcheuse tendance à s'installer juste à côté des boutons pour éteindre l'ordinateur."
Comme si la mort écrivait encore sur parchemin. Il faut être moderne et habile, s'adapter au nouveau temps, être vive… bon moins cette dernière partit dans ce cas précis.
"Dans les points positifs ceci permet de prendre des pauses parfois nécessaires, même si pas toujours voulu."
À croire que le chat faisait exprès, mais au bon moment. Ce qui pouvait être une hypothèse possible dans l'Otherland. Mais souvent, il ne faut pas voir trop loin.
"N'hésitez pas à le créditer s'il vous donne de bonnes idées. Je le fais bien après tout."
C'est son fidèle assistant, et c'était important pour Morty de le mentionner. Au minimum pour le soutien moral.
"J'imagine que trouver l'inspiration quand il s'agit d'inventer des choses de toute pièce doit être différent. Vous avez un processus en particulier ?"
Il était curieux. Pas pour apprendre tous les secrets, bien sûr.