only the insane equate pain with success. | Cheshire [Disparu]

all it takes is a little push

Des gosses qui couraient dans tous les sens, des cris retentissant d’une pièce à l’autre, des parents exténués qui avaient du mal à maintenir l’ordre… C’est auprès d’une famille bien trop bruyante qu’est né Cheshire. Il portait sûrement un tout autre nom auparavant, mais il ne s’en souvient plus aujourd’hui. Cependant, il se souvient parfaitement de ces immenses étendues d’eau dans lequel baignait leur foyer. Cela ne l’a jamais rassuré, il était sûrement le seul à craindre de voir les murs s’effondrer. À craindre que l’eau ne les emporte tous, sous les rires amusés des stupides bourges. Des ruelles sombres où il n’aimait pas vagabonder aux dômes s’écroulant sans crier gare, le brun n’a connu rien d’autre que la peur lors de son enfance. Peut-être même était-il le plus trouillard de la fratrie. Cela ne s’est pas arrangé en grandissant, mais petit à petit, il apprit à la contrôler, cette peur. Il apprit à l’ignorer, la laissant de côté pour se montrer brave comme ses frères et sœurs. Enfant du milieu, son rôle n’était pas évident à déterminer. Trop grand pour agir comme un petit frère sur qui on doit veiller, trop petit pour être ce frère vaillant qui protège les plus jeunes. Il en a mis du temps à se trouver une place.

Les années passèrent et réalisant qu’il n’y avait rien à faire, Cheshire fit de son mieux pour s’adapter à cette vie. La pauvreté l’a recueilli dès son plus jeune âge sans qu’il ne réussisse à s’en débarrasser. Elle en est même devenue sa plus fidèle compagne. C’est cette même pauvreté qui a fait de lui ce qu’il est aujourd’hui, qui a su le rendre si débrouillard sans même qu’il ne s’en rende compte. Alors qu’il n’était qu’un gosse, il se surprit à faire les poches des passants. Ce n’était pas correct, il en avait conscience, mais c’est ainsi qu’était le quartier ; ruiner l’autre avant qu’il ne vous ruine, se battre pour obtenir les dernières miettes de pain, compatir lorsque des habitants ne purent s’échapper d’un dôme en ruine tout en se réjouissant d’avoir moins de concurrence. La vie est cruelle et ça, l’enfant n’eut aucun mal à le comprendre. Alors que ses parents et grands-frères travaillaient pour ramener quelques sous à la maison, Cheshire et sa ribambelle de petits garnements en profitèrent pour voler argent et nourriture. Uniquement des choses vitales, ils étaient tous d’accord là-dessus et Cheshire aussi. Du moins, dans un premier temps…

Très vite, il y prit goût à tout ça. Il comprit que lui était bien trop jeune pour travailler, qu’il n’avait ni les qualités de ses frères ni la patience de ses parents, voler est la meilleure solution. Alors, il montait parfois et se perdait dans les belles rues des beaux quartiers où il se mêlait à la foule pour faire discrètement les poches des passants. Ses gains se firent bien plus conséquents, même si toujours insuffisants pour la petite famille qui ne comprit pas d’où sortait tout cet argent. Le gosse préféra garder cela secret. Petit à petit, ce furent même des objets qu’il se mit à voler, pour qu’ils puissent profiter d’un meilleur confort. Parfois, il lui était même déjà arrivé de dérober des jouets pour distraire ses jeunes frères et sœurs. Malgré le contentement de ces derniers, cela n’avait vraiment pas plus aux parents. « Nous ne sommes pas des voleurs. » S’ils s’étaient contentés de simplement le réprimander, peut-être qu’il ne s’en serait pas soucié, mais non il a fallu qu’ils le regardent avec cet air déçu. Énervé, il ne comprit pas leur réaction, lui voulait juste aider sa famille. Rien de plus. Et quelle famille ! Pourquoi étaient-ils obligés de vivre dans la misère alors qu’ils pourraient très certainement mettre à profit cette étrange capacité à prendre forme animale. Mais non, hors de question. « Tu ne dois montrer cela à personne, tu décideras de vivre comme un humain ou comme un chat lorsque tu seras adulte et pas avant. » qu’ils disaient toujours. Car oui, il faut choisir, on ne peut apprécier les deux. Monde stupide, règles stupides. Ce cadre plutôt strict eut raison de Cheshire qui très vite, devint le mouton noir de la famille. Plus il grandit et plus il devint un enfant terrible, trop aveuglé par cette soif d'aventure et le désir de s'enrichir alors même qu'il ne le souhaitait pas réellement tout cet argent. Il était clair pour lui, il ne volait plus réellement pour aider sa famille, mais bien pour se divertir lui-même. Ses parents l’ont mis en garde à maintes reprises, l’avertissant que son comportement aurait de lourdes conséquences irréversibles, jamais il ne voulut écouter, il enlaidit ainsi le chat qui sommeillait en lui, jour après jour.


Lorsque de nouvelles tensions éclatèrent dans le royaume, ses grands-frères prirent la décision de rejoindre les rangs de l’armée, s’entraînant sans relâche. Suffisamment âgé pour se joindre à eux, l’adolescent suivit un entraînement pour faire partie de la section Pique de l’armée, mais il a préféré fuir l’horreur de la guerre, pas prêt à finir en chair à canon. Oh, si seulement il s’était contenté de simplement déserter, tout aurait été plus simple. Mais non, il a fallu qu’il se trouve au mauvais endroit, au mauvais moment, tombant sur les mauvaises personnes. Des traîtres complotant contre le royaume, ils lui demandèrent de se joindre à eux, discernant aisément la peur dans les grands yeux du brun. Un discours aspirant où il était question de mettre un terme à la guerre, on lui assura que c’était la meilleure chose à faire, qu’ainsi sa famille serait en sécurité, ses frères hors des champs de bataille. Faible, il accepta de jouer l’espion, le traître. Sans grande surprise, leur plan se passa mal. Il comptait utiliser sa capacité à se transformer en petit animal pour s’infiltrer dans le château mais avec la sécurité accrue, il se fit vite repérer et ce, même sous ses allures de chat. Il prit alors la fuite et dans la panique générale, se retrouva face à ses soi-disant alliés. Ceux-ci, ayant peur de se faire balancer, décidèrent de l’éliminer pour le faire taire. Il tenta de fuir, toutefois, n’ayant pas parfaitement le contrôle de son corps sous cette forme, il se fit avoir et tout à coup, il ne sentit plus rien que le froid. Sa vision s’assombrit alors que des cris de panique lui parvinrent. Nul doute que ses faux alliés eussent fait quelques victimes dans leur fuite précipitée.

À sa grande surprise, il sentit une brise lui caresser la peau. Lorsqu’il ouvrit les yeux, il ne reconnut pas cet endroit et ne s’y attarda pas plus longtemps. N’était-il pas supposé être mort ? Il n’y comprit rien. L’esprit encore sonné, sa tête lui parut lourde alors que des cliquetis y résonnaient inlassablement. Ce fut malgré tout vers son chez-lui qu’il préféra se diriger, ignorant les dégâts toujours présents tout autour de lui. « Où étais-tu ? » Le brun ouvrit la bouche, prêt à répondre, mais aucun mot n’en sorti. « Où étais-tu alors que tes frères se sont battus jusqu’au bout ? Jusqu’à leur mort ? » J’étais mort, voulu-t-il répondre, mais il ne put s’y résoudre, bien trop choqué par cette nouvelle. Une certaine froideur s’installa alors dans le foyer et depuis lors, Cheshire décida de vivre en tant que chat, trouvant ainsi la vie plus facile. Son quotidien se résumait à aller squatter de foyer en foyer, ne revenant dans les bas-fonds uniquement pour prendre des nouvelles de sa famille, une fois de temps en temps malgré la tension certaine entre lui et eux. C’est également à cette époque qu’il fit la connaissance de celui qui plus tard devint son ami, un chapelier toqué qui le perturba dès leur rencontre. Un coup de griffe et une vilaine cicatrice ne suffirent pas à l’éloigner. Alors le chat fit avec, gardant tout de même une certaine méfiance à son égard en conservant toujours sa forme animale en sa présence. Ce n’est que bien plus tard que le chapelier rencontra finalement l’humain qui se cachait derrière ce terrible chat.

Le temps passé dans cette nouvelle vie demeura plutôt calme dans l’ensemble. Le chat, ayant lui-même besoin de faire son deuil, n’était pas d’humeur aux conneries. Malheureusement, son passé vint vite le rattraper. Il avait oublié les stupides traditions de son pays, dont notamment le stupide rituel de purification. Il s’y trouva contraint d’y participer, forcé par ses parents qui y voyaient là une bonne occasion de le mettre sur le droit chemin. Ce qui devait arriver arriva alors ; Cheshire confia son acte de traîtrise et forcément, on décida de lui trancher la tête. Encore aujourd’hui, il frissonne de panique au moindre contact sur son cou. « Tes frères se sont battus pour ce royaume, tandis que toi, tu complotais contre ton propre royaume. » furent les derniers mots qu’il entendit avant de se perdre dans les ténèbres. Il l’avait certainement mérité, culpabilisant encore de cette foutue erreur. Une mort sous forme de chat et une deuxième sous forme humaine, peut-être aura-t-il enfin la paix maintenant ?


Grosse erreur, car c’est une nouvelle « chance » qui s’offrit à lui. À nouveau son esprit fut tout emmêlé, ne discernant rien d’autre que ces foutus cliquetis. À un tel point qu’il eut l’impression d’avoir une horloge à l’intérieur de la tête. Lorsqu’il reprit connaissance, il décida de vivre en tant qu’humain cette fois-ci. Un humain tout à fait ordinaire, capable de mener une vie tout aussi ordinaire. Il tenta de trouver du boulot, mais ce ne fut vraiment pas facile. En dehors de la mine, peu d’offres s’offraient à lui. C’est ainsi qu’il rencontra un type tout aussi ambitieux que lui, se disant mener une quête de rédemption. Le jeune homme se sentit finalement compris, il plaça en l’inconnu une telle confiance qu’il lui fit part de ses méfaits. Il s’attendait à voir du jugement dans son regard, mais non, rien n’arriva. Ils devinrent vite très proches, au point de développer des sentiments réciproques l’un pour l’autre. Cela commença avec de simples baisers volés, avant de continuer avec des mains baladeuses plus audacieuses et des promesses faites à tout moment.  

Toutefois, quelque chose clochait. Lorsque Cheshire écoutait les dires de l’homme, il pouvait sentir cette ambition se transformer en soif de puissance. Lorsqu’il plongeait son regard dans celui du voyageur, il pouvait y voir une certaine noirceur qui l’effrayait. Bien vite, le brun comprit que cette noirceur n’était autre que le reflet de la sienne. Lui aussi finira par sombrer un jour ou l’autre. Mais pas aujourd’hui, se disait-il alors qu’il préféra mettre fin à leur relation. Quelle naïveté, il pensait que l’homme en resterait là mais ce ne fut pas le cas. Se sentant trahi et abandonné, le voyageur aussi décida de trahir le natif. Il vendit sa peau à des types qui lui en voulaient personnellement. Ses erreurs le rattrapèrent de nouveau. Sa traîtrise avait causé des victimes, très peu nombreuses, mais il y en eut quand même. Alors qu’un des types le maintenait en place, l’autre se chargea de le passer à tabac. Je le mérite, qu’il se disait intérieurement, c’est la fin. « Un dernier mot à dire, enfoiré ? » Ils attendirent des excuses ou des explications venant du jeune homme, mais cela n’arriva jamais. Au lieu de ça, c’est un rire enfantin qui résonna, laissant échapper quelques gouttes de sang de ses lèvres. Ce même rire qui, plus tard, devint sa marque de fabrique. « Encore, encore. » qu’il demanda d’un ton tout aussi joueur et provocateur. Il sombrait dans la folie, voyant la fin arriver. Cela ne réussit qu’à énerver ses assaillants qui le jetèrent à terre pour le rouer de coups. Ils défoulèrent leur rage avant de le laisser pour mort. Trois fois qu’il aura payé pour cette putain d’erreur.


« Oh non… Pourquoi ? » qu’il se plaignit à son réveil. Était-il réellement mort cette fois-ci ? Les cliquetis dans sa tête étaient-ils bien réels ou était-ce son imagination ? Il semblerait qu’il y soit habitué maintenant. S’il fut dans un premier temps blasé, très vite Cheshire réalisa que même la mort ne l’arrêterait pas. Il devint alors de plus en plus imprudent, cherchant à défier la faucheuse tout en se persuadant de posséder neuf ou six vies. Si tel est le cas, il est proche de la fin, mais cela ne l’effraie pas plus que cela. Ce qui l’angoisse le plus ce sont les dirigeants de ce royaume et avant même l’arrivée officielle de White Queen en tant que grande reine de Wonderland, Cheshire décida de prendre quelques précautions. Il parcourut un long périple avant de mettre la main sur Alice, la suppliant d’enfermer son âme dans cette montre à gousset trouvée il ne sait plus où. Son but étant de ne dépendre de personne et surtout pas des nobles de ce pays. Une fois fait, il fut rassuré et n’eut plus rien à craindre. Il devint très vite le Cheshire que l’on connait aujourd’hui, fourbe et arnaqueur, qui passe la plupart de son temps à égarer les gens qu’à réellement les aider, à empoisonner le thé du Chapelier laissant les habitants devenir de plus en plus fous. Parfois, il aimerait revenir dans le passé et éviter certaines erreurs, mais à quoi bon ? C’est trop tard maintenant. L’enfant terrible n’est plus. Tous ces événements l’ont changé. Sa première mort emporta avec elle son sens moral, faisant de lui quelqu’un d’irresponsable qui ne sait différencier le bien et le mal, faisant toujours passer ses besoins avant ceux des autres. Sa propre conscience se faisant de plus en plus muette. Lors de sa deuxième mort, il perdit tous ses souvenirs heureux passés auprès de son premier amour mais aussi de sa famille, il ne se souvient pas même de leurs visages et de leurs noms. S’il les croisait par hasard aujourd’hui, ils ne seraient rien d’autres que des inconnus. En revanche, sa trahison à leur égard est toujours présente, elle ne s’envolera pas. Il ne lui reste que des sentiments lourds comme la perte et la culpabilité, ainsi que des souvenirs flous où il se faisait réprimander et juger. Ainsi, il n’a plus le moindre contact avec sa famille. Pour marquer cela, Cheshire a décidé de ne pas suivre leurs règles, passant du chat à l’humain suivant ses envies. Voilà pourquoi même sous forme humaine, il se plait la plupart du temps à conserver ses oreilles de chat au sommet de son crâne. Une façon pour lui de marquer sa particularité et son appartenance entre ses deux mondes. Enfin, sa dernière mort le priva de sa santé mentale, le faisant sombrer dans la folie et l’imprudence de jour en jour. Éclatant de rire pour des choses qui ne sont pas drôles, riant aux éclats face aux coups reçus et se délectant des insultes à son égard, sa conduite ne peut que témoigner de cette certaine démence et de ce manque de conscience flagrant.

Lors d’une soirée arrosée, cet idiot joua aux cartes et n’ayant plus de monnaie, il décida de parier une certaine montre à gousset – oubliant à quel point cet objet était précieux. Ce n’est que le lendemain qu’il se rendit compte qu’il lui manquait quelque chose. Il la chercha partout sans la trouver. Un jour, il s’aventura même dans la forêt désenchantée, persuadé de la trouver là-bas. Il suivit un papillon bleu qui, d’après lui, allait très certainement le mener à son âme. À mesure qu’il s’enfonçait dans les bois, le danger devenait de plus en plus présent à un tel point qu’il faillit y passer, une nouvelle fois. Par miracle, il réussit à s’en sortir, n’y laissant rien d’autre que davantage de souvenirs manquants. À force, son passé lui parait bien flou… Entre ceux qu’il avait déjà perdu à chacune de ses morts et ceux qu’il vint tout juste de perdre.  

Alors, encore aujourd’hui il est à la recherche de cet objet perdu. Bien que, bêtement, il ne sait plus réellement ce qu’il recherche. Tout ce qu’il sait, c’est qu’il ne l’a pas en sa possession et qu’il veut la récupérer.