Have I gone mad?

This is a Mad world

Lorsque le temps avait une influence sur toute chose en ce monde, la mort guettait tout un chacun sans la moindre impunité lorsqu’elle se révélait à certains. Il y a bien longtemps le chapelier se tenait sur quatre pattes sur un tapis dont le poil était aussi rugueux qu’une barbe mal rasée. Les souvenirs s’effacent, si lointains sont-ils, mais jamais ceux-là dans l’esprit du toqué. Les visages sont flous, mais ils demeurent toujours. Un homme d’un costume long à rayures, des cheveux corbeau, lisses et soyeux lui arrivant au-dessous des épaules. Une femme dont le blanc immaculé des quelques épis autour de son visage fin n’attiraient pas autant que l’éclat luisant de son regard sphène. Une voix douce et grave borde sa mémoire et le cocon soyeux dans lequel il aimait s’enrouler, au creux des bras d’une mère aimante réchauffe le cœur qui bat encore malgré les apparences.

Une tasse de thé, le tintement d’une cuillère de fortune. Baguette à cheveux trempée dans ce qui n’est aucunement de la porcelaine, mais suffit tout de même à éveiller ses papilles au goût amer d’un breuvage infect dont enfant il se délectait pourtant. Les fins de mois n’étaient pas toujours généreuses. Cependant aux regards qui s’y risquaient, l’humeur était au beau fixe. Une simple coiffeuse qui chantonnait en scalpant les boucles longues et petites imperfections de clients exigeants, mariée à un confectionneur de couvre-chefs dont le style était unique et les menaces aussi. Petit, il était dans leurs pattes à l’un ou à l’autre, aux deux à la fois peut-être ? Confuses sont les pensées. Le salon était-il annexe à l’atelier du chapeau ? Il ne savait plus. Peu importe, balayer les cheveux, débarrasser les chutes de tissus et les trier si besoin, poser son doigt au milieu d’un ruban pour laisser l’artiste faire son nœud et avoir du mal à le retirer. Le quotidien d’un enfant qui n’avait rien demandé, mais demandait beaucoup plus que cette vie-là. S’il développa sa propre imagination et trouva son propre style, ce ne fut pas ce qui lui sauta aux yeux sur le coup et il en paya le prix plus tard.

De son adolescence, il ne retient que les doux murmures chuchotés aux oreilles de délicieuses créatures. Petit magicien de rue dès qu’il en avait l’occasion, gagnant quelques repas, quelques piécettes dont il n’avait usage, il faisait rêver à monstres et merveilles quiconque voulait bien lui servir de modèle. Il aspirait à plus que ces chapeaux, voulant vêtir le royaume de ses propres créations. Son excentricité n’a pas toujours été incomprise, elle a juste évolué différemment avec le temps. Les rouages ravagés de son mécanisme n’ont pas su rendre hommage à l’artiste, privilégiant sa folie au détriment du raisonnement. Mais soit. Hommes et femmes, adolescents et enfants passaient entre ses doigts pour se faire vêtir d’un vêtement unique en son genre. Il se souvient encore, il la possède toujours cette toute première robe confectionnée. Soie fine et voluptueuse d’un blanc immaculé pour la colombe dont le jupon servait d’ailes. Fait de dentelles et de particules nacrées, le tissu léger est encadré à la taille par un ruban se fondant presque dans la robe et dont le nœud à l’arrière du corps forme une paire d’ailes battantes comme par magie. Leur matière, similaire au voile cristallin et étincelant de ces créatures adulées ont eu raison d’en charmer certaines, virevoltant autour dès qu’aperçu. Surmontant le corset aux lassés perlés, quelques diamants suspendus rappellent les manchettes au bout des bras en dentelle transparente. Dans les yeux du fou, l’amour qu’il avait pour son œuvre était plus fort que celle pour la muse qui lui avait servi. Son seul défaut aura été de n’être pas éternelle et de s’envoler au bras d’un autre. D’une nature bien plus timide d’antan, l’illustre Mad Hatter avait toujours gardé pour lui la véritable nature de ses pensées. Nul n’avait su lire en son cœur.

Le talent n’eut pas suffi à détourner son père de l’objectif premier : en faire un chapelier et si sage qu’il était le jeune garçon suivit, ce ne fut que pour mieux élargir sa panoplie. L’un n’empêchait pas l’autre, se disait-il, mais la profession qui lui était destinée ne lui permettait pas de confectionner les si beaux tissus qu’il fabriquait… son géniteur ne le savait que trop bien. Petit voleur magicien, qui fit d’étonnantes rencontres et par la chance d’une vie entière ne s’était jamais fait prendre. Piégé, il l’avait souvent été. En voyant ses œuvres, on les reconnaissait, les précieuses pièces dérobées. Les rendre cependant ? Impossible, comblant de bonheur d’autres au détriment des victimes. Alors son châtiment fut sa paye de chapelier.

S’il n’y avait eu qu’elle pour remplir le cœur du futur expert en thé, peut-être qu’il n’y aurait eu qu’un chapelier triste au lieu de deux âmes perdues. Peut-être qu’il n’aurait plus été ? Ses méfaits l’ont conduit vers un œil expert capable de prouesses lui aussi et d’une malice exquise. Un chat errant n’ayant jamais épanché sa soif d’aventure, encore aujourd’hui. Tous deux voulaient plus, avides de connaissances ou de voyages, qu’importe le prix ils le payaient sans le voir, même si au départ ce ne fut pas l’amour fou entre ces deux. Courir après un chat quelle merveilleuse idée pour noyer ce qu’on appelle chagrin et que l’on comprend à peine ? Fuir et oublier plutôt que d’affronter. L’amour, il s’en jouait, le cœur n’était jamais pris et l’esprit aussi libre qu’embrumé lui permettait de goûter à une vie dont lui seul rêvait. Le luxe et les rires insouciants, ses parents n’en voulaient guère. Ce n’était que passager, simple fumée pour cacher la misère et il aurait dû les écouter plutôt que s’y complaire… S’il avait su !

Les années passent et avec elles Wonderland. Il se souvient de ce que l’on appelle Alices et s’il n’a pas eu le plaisir de rencontrer la toute première, d’autres lui ont succédé et ont croisé son chemin. Un notamment, jeune homme écervelé et têtu dont le cœur pur n’était clairement pas fait pour supporter les furies de ce monde. Il est si facile de mentir, si facile de se fondre dans la masse et d’obtenir ce que l’on veut, même le plus précieux de pauvres âmes comme la sienne. Cette Alice-là, son nom il ne l’oubliera pas et le taira à tous pour le garder et le chérir encore. Ce qu’il voulait n’était autre qu’un chemin plus éclairé que celui emprunté et le fichu lapin avait fait son œuvre en le conduisant aux griffes du styliste. La vie lui avait déjà fait quelques misères, ses parents disparus ne reviendraient pas, pour quelque raison que ce soit il sut que c’était lié à l’imaginaire et à ces Alices si précieuses. Les tenir pour responsable était impensable, même pour lui et cette colère enfouie se transforma en idée : il le garderait, lui. Malgré lui il était devenu l’instrument de son mal et celui qui sauva Mad n’était autre qu’Alice. Leur relation se conclut par un au revoir, non un adieu, mais le temps ne s’écoulait pas de la même façon à Wonderland que dans cette ville qu’il lui avait décrite. Était-il mort ? Il n’était jamais revenu.

Un monde sans couleur s’était offert au chapelier désormais occupant ses fonctions et plus pointilleux que jamais sur la production de thé dont il est le propriétaire. Il a su faire son trou durant les heures sombres du royaume et même après. Les petits voleurs qui s’aventuraient sur ses propriétés où ce qu’il désignait comme telles n’étaient jamais puni pour leurs crimes, mais forcé de lui rendre des services lorsqu’il demandait des comptes. Cela consistait généralement à quelques informations précieuses qu’il amasse toujours sur tout et n’importe quoi. Les tea parties ont été ancrées dans cette période pour oublier le mal auquel il était apparemment hermétique. Les jours se répétaient et avec eux, la monotonie d’une folie naissante qui le faisait sourire un peu plus à s’en déchirer les zygomatiques. D’une ombre, il y en eut soudainement deux et de ses idées sombres on dit qu’il en résultait Sad Hatter. En réalité, seuls les deux concernés, intimement liés savent pourquoi le deuxième styliste est né. Un secret bien gardé pour l’éternité qui ne sera jamais trahi pour la simple et bonne raison que l’un comme l’autre ressent la même chose vis-à-vis de cela, ils l’expriment cependant différemment de par leurs caractères quasiment opposés. L’un est fou, l’autre triste, mais ils sont la même personne.

Avec Sad ont été créés les suicid parties, pimentant un peu plus la vie du premier chapelier. Se prêter aux jeux de son frère n’est pas nécessairement un affront. Tous deux ne peuvent mourir. Ne pas se présenter et soutenir son double n’était-ce pas là l’ironie ? Se foutre bien de ce que son « frère » peut bien faire ? Il ne faut pas rêver. Mad a perdu ses parents et il en est de même pour Sad, ainsi… pourquoi s’abandonneraient-ils ? La vie continue et elle est toujours plus trépidante aux yeux émeraude du chapelier fou, n’est-il pas ?