Tu avais bien du mal à identifier cette bulle d’émotions qui te pesait sur l’estomac et nouer ta gorge. Assise dans le sable, tu laissais reposer ta tête dans le creux de tes bras posés sur tes jambes ramenées contre toi. La plage était chaud, mais pas bouillante. Agréable. Une petite brise iodée faisait valser le haut de ta chevelure, les pointes poissonneuses étant bien trop lourdes pour valser dans ton dos.
Ta pleine attention était portée sur la mer et sa douce couleur de fin de journée. Tu n’arrivais pas à détacher de ton regard, au point même d’en oublier de cligner des yeux. Tes yeux secs ne te permettaient plus de pleurer. Heureusement. Ou pas. Tu n’entendais plus le cri incessant des mouettes, habituée à leur cacophonie.
Elle te manquait beaucoup, cette maison au fond de l’océan. Cette maison que tu avais quitté trop tôt. Comment se portait ton vieux père et tes soeurs coquettes ? Leur voix n’était qu’un souvenir lointain et leur visage, des puzzles dont il manquait quelques pièces.
Pourquoi ne pas les rejoindre ? Le bracelet pendant à ta cheville te rappelait sans mal que tu ne pouvais nager dans l’océan. Tu ne finirais qu’écume. Plus rien.
Oui, la joie et la bonne humeur ne t’animaient guère en cette fin d’après-midi. Pas très gaie tout ça. Dommage qu’il n’y ait qu’une simple cabine, vide, à proximité pour te tenir compagnie. Ce serait bien surprenant qu’une personne n’en sorte par magie pour venir te consoler - ou pas… Quelle idée absurde.
N’est-ce pas ?
C’était si calme.
A défaut de pouvoir nager dans la mer, tu te laissais bercer par la mélodie des vagues. Douce. Réconfortante. Tu fermais les yeux.
Une mouette vint se poser sur le sommet de crâne immobile. Tu ne la chassais pas. Tu ne bougeais pas. Étais-tu encore mentalement vivante ou dormais-tu les yeux ouverts ? Quoi qu’il en fut, l’oiseau semblait s’être trouvé un nid confortable.
L’océan. Qu’est ce que représente l’océan pour les mortels ? Certains diraient la liberté. D’autres la mélancolie, la tristesse. D’autres encore la maison, l’espoir de rentrer chez-soi. Et puis il y a avait Morty. L’océan est bleu. L’océan est grand. L’océan est donc une minuscule vision de l’infinité. Car l’infinie, vue de l’extérieur, est bleue. C’est une chose bien connue. Et Morty l’avait vu, l’infinie. Du moins, c’est ce qu’il racontait.
Mais la raison pour sa présence n’était pas une vulgaire question de sentiments et de rensentis, deux choses qui ne le concernait pas vraiment. Non, c’était une simple question d’aperçu. De comparaison. De notation de cette plage. Méritait-elle sa place dans le guide du routard pas très galactique de l’Otherland ? La mort elle-même allait décider de ce destin. Au moins ne pouvait-il pas sonner la mort métaphorique de l’étendue de sable. Mais quand bien même il était impartial et juste, noter une telle chose seule serait bien injuste. Que pensait les locaux, ou du moins, les... la personne présente en ce début de soirée ?
"Cher ami à plumes, je ne crains que le rocher plus animé que tu le penses."
Il chassait doucement l’oiseau d’un geste de phalange (car avoir une main demandait un peu plus que des os), incitant son décollage. Peut être que le concerné allait laisser un avis terrible, 1 fiente sur 5 sur plageadvisor, un accueil terrible et en plus on l’avait incité à partir.
"Puis je vous déranger quelques instants ?"
N’était ce pas déjà fait ? D’une certaine manière... si. Mais la politesse était de mise. Surtout qu’entre sa voix et son apparence, il avait la vilaine tendance à effrayer les inconnus.
Absorbée dans ta contemplation, tu n’avais guère remarqué l'arrivée d’une nouvelle présence atypique à tes côtés - en plus de ton nouveau compagnon à plume. Tu ne calculas la présence de l’animal qu’une fois qu’il fut chassé et qu’il soulagea ton cou de son poid sur ta tête.. Volant devant tes yeux et piaillant de mécontentement.
Heureusement, la mouette ne te baptisa pas par vexation… Enfin, elle avait mal visé - et le narrateur avait un peu pitié de toi, sur ce coup.
Encore muette comme une carpe et les yeux couvert d’un voile mélancolique, tu tournas doucement la tête vers cette voix qui s’excuser de te déranger. Un mouvement mécanique. Saccadé. Parce que ta nuque s’était crispée à force de rester dans la même positions depuis une éternité.
Amorphe, tu tentais tout de même d’analyser le nouveau venu des phalanges d’orteils au crâne. Enfin, des os que tu devinais articuler ce pantin squelettique enrobé de sa grande cape noire.
Tu reniflais légèrement, en prenant quelques inspirations.
- Oui, bien sûr… Snif… Qu’est-ce que vous voulez ? Snif….
Tu lanças un regard vers l’océan avant de regarder à nouveau ce drôle de personnage.
- Vous êtes qui ?... Je suis morte ? Je ne me souviens pas être allée volontairement me noyer…
Comme d’habitude, on jetait un œil suspect à Morty. Il donnait souvent cet effet. Celui de méfiance et de crainte. Les larmes coulaient souvent en sa présence, il est vrai, même si la jeune (du moins en apparence) fille ne l’avait pas vraiment attendu pour ceci.
"Je cherche simplement à assouvir ma..."
Il chercha le mot. Les mortels utilisaient un terme très précis pour leur recherche de... ah, oui, bien évidemment.
"Curiosité."
Il était important d’utiliser les bons mots pour les bonnes choses, la conversation risquait d’avoir assez de mal toute seule pour qu’il ait besoin d’empirer les choses.
"Vous êtes bel et bien vivante, je vous rassure. Considérez-moi comme à la retraite."
Parce que c’était le cas. Une autre mort avait pris sa place, il profitait de vacances à durée interminée.
"Il s’avère que je cherche à avoir des informations sur cet endroit."
S’il pouvait prendre une profonde respiration, il le ferait. Et pourtant on pouvait voir ses cotes effectuer une telle action. C’était... perturbant.
"Est-ce que vous trouvez cet endroit beau ?"
Vaste question. Vaste sujet qui lui restait inconnu après de nombreuses années...
