[flashback] a good day to die || ft. Morty

a good day to die

Out of control like a runaway train
desperate to end all his pain

Parthenópē, oh Parthenópē, c’est ta faute, tout est ta faute.

Pourtant, tu donnerais n’importe quoi, n’importe quoi, pour pouvoir dire que c’est pas toi, pour voir te débarrasser de tes responsabilités, jeter tes erreurs aux embruns et les balayer loin, loin de tout, loin de toi surtout. A défaut, c'est toi que tu as balancé par-dessus bord. Parce que tout est ta faute, Parthenópē. Tout est ta faute et tu l’as bien cherché.

Tu regardes l’immensité des flots qui s’étalent à perte de vue autour de toi et tu te dis que c’est bien la première fois que ça te paraît menaçant. Oh, toi qui as toujours vécu bercée par le murmure de l’océan, choyée par la douceur des marées, c’est comme si tu découvrais enfin l’horreur habilement dissimulée, tant de dangers tapis dans l’ombre.

Regarde-toi.

Regarde-toi, écrasée sur les dents de la mer, écorchée par ces vagues qui t’ont étreint et maintenant plantent leurs griffes dans tes entrailles.

Regarde-toi.

Tu n'as plus rien, tu n'es plus rien. Même le souffle commence à te manquer, la vie à t'échapper. Marionnette de cette grotesque tragédie dont tu t'es faite héroïne, t’as le corps échoué sur le récif, les ailes comme les cheveux dans l’eau, les yeux perdus dans le vide, et t’écoutes les vagues qui vont et viennent, se heurtent à la falaise, s’accrochent à tes membres brisés, menacent de t’emporter avant de refluer.

C’est ta faute, te dis-tu, te répètes-tu. Tu aurais dû faire autrement, faire mieux. Le retenir, l’empêcher de te fuir. Lui montrer que vous êtes faits pour être ensemble, que promis juré tu ne laisseras rien lui arriver, pas même tes sœurs et leurs ventres affamés. Tu te repasses en boucle le film de votre rencontre, de votre premier baiser au goût de sang, de ton échec, de son départ. Plus que la douleur des os broyés, des chairs grandes ouvertes, c'est la douleur du cœur qui lance et qui brûle, là, à l'intérieur.

Oh, Parthenópē. Tu te lamentes. Tu pleures et tu geins, tu gémis même, drôle de son tragique qui s’échappe de tes lèvres purpurines, s’élève au-dessus des flots, brise la torpeur de midi.

Et alors que tu sens la vie qui te fuis, elle aussi, tu serais bien en peine de remarquer le nouvel arrivant à tes funérailles improvisées.

a good day to die

Out of control like a runaway train
desperate to end all his pain

T’avais un rêve, Parthenópē.

Et t’aimerais bien pouvoir te vautrer dans tes espoirs brisés, dans tes regrets tout juste nés. Mais il y a cette voix, là, qui sonne et résonne à ton oreille, t’empêche de te concentrer, de te lamenter.

Ne voit-il pas que tu es occupée ?
Ne va-t-il pas te laisser mourir en paix ?

Tu essaies vaille que vaille de l’ignorer, fermes les yeux fort fort fort, te dis que peut-être, quand tu les rouvriras, il ne sera plus là, envolé comme ton rêve en fumé. Bien sûr, ça ne fonctionne pas, et quand tu rouvres lentement les yeux, il est toujours bien présent, à te parler de sa voix caverneuse et piétiner ta tranquillité. Y a comme un soupir qui s’échappe de ta poitrine, souffle morcelé, douloureux rien qu’à l’écouter. Tu ne peux pas vraiment tourner la tête, ton cou ne le permet plus, mais tu peux au moins dévier le regard. Juste assez pour fixer le malotru droit dans les yeux et le renvoyer d’où il vient en lui rappelant la notion d’espace personnel et de-

La surprise te cloue le bec, parvient même à taire tes lamentations de sirène éplorée.

Parce que ce n’est pas un homme que tu regardes.
C’est un squelette tout de noir vêtu, des lueurs bleues flamboyant dans ses orbites.


Sûrement, oui. N’es-tu pas en train de t’envoler, après tout ?

Ta colère retombe comme un soufflé raté. Tu ne peux pas être vilaine avec la Mort, tu ne voudrais pas qu’il te refuse le plaisir de quitter ce monde - même s’il dit qu’il ne peut pas t’aider, tu n’es pas à l’abri et, ah ! qu’est-ce qu’il te propose maintenant ?

— Me… sortir de là ?

Il y a comme un goût de fer qui se mêle aux mots.

Mais c’est bien le cadet de tes soucis. Tu es plus préoccupée par son offre - te sortir ? d’où ? comment ? tu ne veux pas qu’il te sauve la vie, tu ne veux pas qu’il te sauve l’esprit, tu ne veux rien que mourir baignée dans ton désespoir. Tu te retiens de le lui dire comme ça - on ne vexe pas la Mort, enfin, tu imagines qu’on ne doit pas.

— Pour aller où ? demandes-tu à la place, question qui sort dans un râle étouffé plutôt que dans la voix séduisante d’autrefois. Je veux mourir ici.

Là où tu es née. Là où tu as grandi.
Là où tu as aimé. Là où il t'a rejetée.

a good day to die

Out of control like a runaway train
desperate to end all his pain

Tu aurais aimé mourir seule, te voilà prise en pitié par la Mort.

— Qui… se soucie du confort à l’orée de la mort ?

Tu réalises, alors que les mots tombent comme des pierres trop lourdes entre vous, que les éléments sombrent dans une torpeur funèbre que tu connais bien. A l’heure la plus haute, le soleil se meurt lentement dans le ciel, le calme s’est abattu sur les vagues et dans le silence surnaturel, tu entends au loin la voix limpide de tes sœurs qui célèbrent leur festin.

Ne se sont-elles pas encore rendues compte ?

Peut-être que non. Sûrement que non. Pas encore.

Tu te demandes bien ce qu’elles vont penser de toi, de ton corps échoué sur les rochers, quand elles vont comprendre. Vont-elles te pleurer ? Qu'adviendra-t-il de ton corps ? Sera-t-il jeté à la mer ? Finira-t-il comme tous les autres, pitance pour leurs ventres et leurs crocs affamés ?

Tout semble si normal sur l’Île des Sirènes.
Un jour comme un autre, un midi comme un autre.
Comme si rien n’était arrivé.

Dans la grande tragédie que constitue ce jour, l’arrivée de la Mort et son chit-chat sont complètement surréels mais c’est tout ce qui te reste, tout ce qui t’ancre encore à ce monde cruel. Alors, remuant faiblement le bout des doigts, tu lui fais signe de s’approcher, que tu puisses correctement l’écouter - il semble que l’une de tes oreilles ne serve plus sa fonction originale.

— Parthenópē. Mon nom. Parthenópē. Te voilà en train d’échanger des banalités avec la Mort, qui te demande de l’appeler Morty comme vous étiez de vieux amis. Pourquoi... Pourquoi vous êtes là ? Combien de temps me reste-t-il ? Si ta voix sort difficilement, arrachée à ta gorge irritée, les questions s’enchaînent, s’amoncellent même.

Oui, combien de temps ? C’est ça, la vraie question.

Tu ne t’es pas jetée sur les écueils pour t’entendre dire que la mort ne t’ouvre pas les bras.

— Je veux mourir.

Il ne reste rien pour toi ici, que des regrets et la douleur. Alors c’est presque suppliante que tu lui dis ça, comme s’il pouvait - voulait ? - achever le martyr qui ronge jusqu’à tes os en miettes.

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Out of control like a runaway train
desperate to end all his pain

Si de tout temps, les sirènes sont dépeintes en créatures outrageuses distribuant le désespoir, toi, Parthenópē, tu as toujours été bien plus habile pour le vivre, ce désespoir au goût de ravissement. Être malheureux par nature, tu t’ériges en martyr et ne souffriras pas que l’on t’ôte le plaisir de mourir dans toute ta douleur et tes lamentations. Même la Mort ne pourra t’éloigner de tes rêves d’autodestruction terrifiants dans leur naïveté inconsciente.

— Non. Pas de confort. Pas d’oubli. Tu veux mourir comme une étoile, glorieux spectacle d’une étincelle agonisante. Il faut se rappeler.

De la douleur, du rejet, de l’abandon.
De la solitude cruelle.
Du refus amer.

Se rappeler, oui. Exister et le crier à la face du monde. Jusqu’à la fin, la toute fin qui emportera tout sur son passage et ne laissera rien, mais tu serais bien incapable de te rendre compte de la futilité de tes actes et décisions, ô Parthenópē. Et tu te drapes dans une arrogance douteuse, la brume de ton inconscience voilant tes lèvres d’un sourire bien trop fier pour la situation.

— Mère disait que… La toux brise tes mots, agite tes membres brisés comme le ressac des vagues. Mère disait qu’il veut dire celle à la voix virginale.

Et n’avait-elle pas raison ? De tes sœurs, c’est toi la meilleure, tu le sais, l’a toujours su. Aucune d’elle n’est à moitié aussi douée que toi quand il s’agit de chanter, de cela, tu es persuadée. Tu as envie de le dire à ton funèbre spectateur, de vanter tes exploits et tes qualités, avant d'entendre la suite de son oraison, de ses questions. Au moins es-tu certaine qu'il ne sauvera pas l'ersatz de vie qu'il te reste.

— Pourquoi ?

La réponse est si simple et pourtant si compliquée à la fois. Pourquoi, oui.

— J’ai la plus belle voix, vous savez ? Les souvenirs tissent leur toile derrière tes yeux, et de leurs longs doigts viennent déposer une douce pluie sur tes joues. Oh, que ça fait mal. Mais il n’a quand même pas voulu de moi. La Mort - Morty - n’aurait peut-être pas dû demander. Voilà le pont brisé, la digue échouée, et les vagues de tes sentiments heurtés viennent se déverser en flots ininterrompus au bord de tes lèvres de plus en plus pâles. J’ai chanté pour lui, j’ai supplié mes sœurs de le laisser vivre avec nous, je l’ai sauvé. De la mer et des morts qu’elle porte en son sein. De son équipage de marins tout aussi piètres les uns que les autres, en quête de mutinerie et non d’aventure, tu es en persuadée. Mais il est parti. Il ne m’a même pas écoutée ?! Comment ose-t-il ? J’aurais dû le tuer. J’aurais dû le dévorer, comme tous les autres. J’aurais dû, j’aurais dû, je- Il y a ta voix qui se brise, la tempête de ta colère qui s’éteint et le calme qui revient, à peine entaché des larmes diluviennes qui t’aveuglent comme l’amour que tu lui portes encore. Mais je ne pouvais pas. Le tuer. Le laisser. Vivre sans lui. Non. Non non non.

A une époque, lointaine te semble-t-il, tu aimais la vie et ce qu’elle avait à apporter, ses joies comme ses peines, ses découvertes infinies aux mille et une saveurs, la tranquillité de sa cruelle nature. Maintenant, tu ne cherches que la mort et son réconfort, te vautres dans le trépas que tu as provoqué, pauvre petite créature trop perdue dans ses maux, par les mots, pour comprendre qu’un homme, jamais, ne mérite que l’on se brise ainsi pour lui.

— Avez-vous déjà aimé, Morty ?

La Mort peut-elle seulement éprouver ce genre de sentiment, tu l'ignores et ne t'es, à vrai dire, même pas posé la question, indélicate au possible que tu es.

a good day to die

Out of control like a runaway train
desperate to end all his pain

Tu ne pensais pas.

Que la Mort puisse être si gentille, si prévenante - oh, à sa façon un peu froide, certes, mais tout de même. Tu n’y aurais pas cru avant de le voir et c’est presque dommage que tu ne puisses le raconter à personne, penses-tu un instant. Ses propos sont comme un baume sur ce cœur glacé qui ne bat plus en rythme.

— Merci.

Pour les mots. Pour les maux.
Pour les compliments, aussi - même si ce n’est rien d’autre que parfaitement naturel, de reconnaître que ta voix est magnifique, la plus belle que ce monde ait jamais porté, de cela tu es persuadée.

Merci, oui, tu veux lui dire merci, une fois, deux fois, mille fois, suffisamment de fois pour qu’il entende, comprenne, à quel point sa seule présence apaise les tourments qui te déchirent.

Tu ne peux pas te pardonner, encore moins lui pardonner, mais peut-être, oui, peut-être que tu l’as marqué en effet - oh, ça ne suffit pas, tu veux plus, tu as toujours voulu plus, mais bizarrement, tu te sens confortée à l’idée qu’Ulysse ne t’oubliera jamais, que tu resteras pour toujours dans un coin de ses pensées, comme lui a occupé les tiennes pendant des années. Et quand tu y repenses, ce sont de beaux et doux souvenirs que tu ne voudrais effacer pour rien au monde. D'ailleurs, ça te rend presque triste que Morty n'y ait jamais goûté, le pauvre il ne sait pas ce qu'il manque, à quel point son existence doit finalement être fade sans cette passion dévorant jusqu'aux tripes.

— J’espère que vous aimerez un jour.

Il y a un sourire un peu tordu au coin de tes lèvres, comme une confidence murmurée dans le silence. Oui, tu espères qu’il aimera comme tu as aimé, comme tu aimes encore. Probablement que tu ne te vois pas sans cet amour, que tu ne comprends pas que la vie peut valoir la peine sans cela, petite ingénue trop naïve que tu es.

— Je-Vraiment. Il me manque. Tellement. Est-ce que j’ai fait une erreur ? Est-ce que je ne suis pas assez pour lui ? Pourquoi ? Je-

Une vague lourde, tranchante, vient à la rencontre de ton corps brisé, l’étreint comme on serrerait la main à un ami de longue date, depuis longtemps perdu de vue. Le choc est violent, un peu trop virulent, la sensation glaciale, ta toux rouge. Tu perds quelques plumes, ne sens plus ta jambe droite ni tes mains. Pourtant tu n’as pas mal, pas vraiment, trop égarée dans les souvenirs et l’inconscience, c’est comme si tu étais incapable d’interpréter le feu ravageant toutes tes terminaisons nerveuses.

— Je ne voulais pas qu’il parte. Je veux qu’il revienne. Où est-ce qu’il est ? Ulysse, Ulysse...

Tu dérives. Ton esprit, lentement, te quitte. Ta conscience s’étiole et s’égare vers les confins, emportée par la fin.

Ton corps écrasé a du mal à suivre, tu sens ton coeur qui ralentit, ton souffle qui s’arrête avant de reprendre, trop lourd pour que ce soit normal. Bientôt, tu ne seras plus. Bientôt, tu n’existeras plus et ton empreinte sur le monde s’arrêtera à tes os brisés sur le récif - finalement, c’est encore plus douloureux.

— Vous vous rappellerez de moi ? De mon histoire ? S'il vous plaît ? S'il vous plaît, Morty...

Il y a un drôle d’espoir dans ta voix, une nuance douce et chaude qui rend ta question tellement plus intime qu’une simple interrogation. Parce qu’à l’orée de ta mort, alors même que les rideaux s’apprêtent à se tirer sur ta dernière performance, que tu t’affaires à ton ultime révérence, tu veux que l’on se souvienne de ton existence. De ta drôle de naissance, petit oisillon venu au monde dans un nid trop grand, à ta cruelle fin, martyr échoué sur les rochers, en passant par tous ces rêves que tu avais, tout ce pouvoir que ta voix portait.

Peu le savent - personne en vérité - mais tu as toujours espéré qu’un jour, tu finirais comme tous ces héros dont tu chantes les exploits. Si ta vie s’achève avant que tu aies atteint ton but, peut-être que la Mort pourra tout de même te gratifier de la réussite.