Ta vie a été bousculée.
Encore.
Tu étais au mauvais endroit au mauvais moment.
Encore.
Mais par rapport à d’autre fois, tu as eu une rage en toi qui a explosé. Pour toutes les fois où tu t’es laissée porter sans te débattre par le flot des événements, cette fois, tu as essayé de nager à contre-courant pour maîtriser la suite. Pour voir où tu atterrirais.
Peut-être parce que tu n’es pas seule. Parce que si tu laissais tomber, Little n’aurait personne vers qui aller. Tu ne veux pas lui imposer ça, pas lui faire vivre la solitude que tu as vécue quand tu as été séparée de tous. Quoi que, tu le sais : il la connaît déjà cette solitude. Pas dans les mêmes circonstances que toi, bien sûr. Mais elle est là.
Autant être seul à deux.
Et puis, il y a Apple aussi. Tu lui as déjà fait le coup de disparaitre, tu ne peux pas le faire une deuxième fois. Le comique de répétition, très peu pour toi.
Alors, quand le quartier où Little et toi résidiez a changé de dirigeant, quand les règles du jeu ont changé sous tes pieds, tu t’es renseignée et tu t’es battue. Tu es une vétérante, Wolf, presque 40 ans de guerre à ton actif et tu y as survécu. Alors, un simple retour à la case départ ? Ça a été ta chance : te voilà désormais dans un pays qui valorise son armée. Tu as alors joué de tout. De ton entraînement qui fait qu’à mains nues, tu sais mettre des gens à terre, de ton habitude de manier différentes armes. Tu as appris ce qui te faisait défaut, tu as renforcé ce qui était faible. Et puis, tu es le grand méchant loup.
Tu n’as pas hésité à utiliser ce nom. Tu as réussi à faire croire à tous que tu n’avais pas peur de l’invoquer.
Pourtant, quand tu t'évanouissais pour lui laisser la place, à chaque fois, tu avais l’impression de mourir un peu, ne sachant jamais si tu te réveillerais, la prochaine fois.
Mais tu es revenue et aujourd’hui, Tu es gradée dans cette armée de nouveau née. La concurrence n’a pas été très rude.
Et oh, tu l’as bouffée, la concurrence.
Du coup, t’as le droit à des trucs en plus, des missions pas vraiment prévue sur le papier, mais manque d'effectif oblige, tu t'y es soumise. Genre, protéger le trésorier ou quelque chose comme ça, établir avec lui où commence et où finit ton nouveau pays. T’arrives à faire croire qu’ils t’ont mit une muselière. Tu ne sais pas si c’est vrai, si c’est faux. Tu ne sais pas comment agir avec lui. Est-ce qu’il est là pour te surveiller, jauger ta fidélité ? Tu marches sur des œufs, lui lançant des œillades tandis que tes chaussures foulent les racines de cette forêt profonde. Tu ne sais pas s’il est dans son élément. N’est-il pas un peu trop… précieux pour le travail de terrain ?
Tu soulèves une branche pour l’aider à passer. T’as l’impression d’être un chevalier avec sa princesse, mais tu sais pas s’il s’en vexera. Ça te fait bizarre. Mais on est à la libération des genres, non ? Casser les clichés de tout ça.
Il y a une grosse racine que tu escalades d’un bond, tu lui tends la main pour l’aider à grimper, si jamais il en a besoin.
Ouaiiiiis, ça te fait vraiment bizarre, tu sais pas trop où te placer, tu te sens un peu mal à l’aise, même si tu essayes de ne pas le montrer. Garde du corps, déjà, c’est pas ton job. Et là, garde forestier ? Outch.
“Est-ce que… ça va aller, vous pouvez avancer ? Ou préférez-vous un chemin… plus facile ?”
Ta voix ronronne, tu parles doucement, le vent murmure autour de toi. T’as pas été très bavarde jusqu’à maintenant, mais la forêt devient de plus en plus dense, tu penses que ton… supérieur sans doute, peut avoir son mot à dire.
Tu es polie, bien sûr. Tu as salué, tu essayes de te montrer sous un bon jour. Mais tu n’es pas non plus à engager la conversation et le silence devient pesant.
Quoi que ? Tu tournes la tête, un air soudain sérieux inscrit sur le visage, et tu lèves la main pour intimer le silence. Tu fais un signe à ton patron pour signaler une présence, remuant deux doigts pour mimer la marche (est-ce qu’il connait d’autre signe pour communiquer en silence ? Tu aurais du lui demander avant). Tu descends comme un chat de ton perchoir racineux, avance en te mouvant avec souplesse. Tu profites de la profusion d’abris végétaux pour te tapir et enfin, quand arrive à portée la jeune fille, tu fonds dessus, la mettant ventre à terre en lui faisant une clef de bras pour l’immobiliser.
Les poignets te sembles fragiles et délicats, les cheveux soyeux et la peau bien trop fine pour appartenir à quelqu’un de menaçant.
ça te fait cligner des yeux de surprise.
Mais s’il y a bien un truc que tu as appris et dont tu es la preuve vivante, c’est qu’il ne faut pas se fier aux apparences. Tu raffermies ta prise. Tu évites juste de tirer pour ne pas faire mal.
“Et bien et bien. Bonjour, petite miss.” Tu souris à la demoiselle, même si, face contre terre et alors que tu tiens un genoux dans son dos, tu doutes qu’elle puisse le voir. “Je te prie de m’excuser pour mes manières, mais puis-je savoir à qui j’ai à faire ?”
Tu n’as pas pris la peine de regarder si ton supérieur t'a bien suivie. Mais tu es occupée à déterminer un potentiel danger et 40 ans de guerre t’ont appris à ne pas perdre des yeux tes ennemis. Si la chauve souris (ou quoi que ça puisse être) s’approche, très bien. Tu as encore un poing de libre.