pour éteindre les nuits ft. Cheshire

La nuit noire ne lui rapporte rien ce soir. Il a gagné de l’argent, qu’il a tout aussitôt perdu. Pas de chance, que se dit le chat. Pas réellement d’humeur à continuer pour le moment, il préfère retourner là où ses pas les guident toujours malgré son instinct de fuyard. Un besoin d’être seul contrastant avec cette solitude dont il cherche à se débarrasser. Il ne réfléchit pas trop, Cheshire, ce n’est pas son genre de broyer du noir. Son esprit finit toujours par trouver une occupation. N’importe quoi qui pourrait lui faire oublier ses pensées actuelles, celles qui prennent un peu trop de place dans sa tête, celles qui s’attardent un peu trop sur une même personne dont il préfère ne pas dire le nom. Douce mélancolie non souhaitée, le voilà à quitter le bas fond pour se faufiler là où tout est plus beau, du moins, en surface. Si on lui demandait son avis, il dirait que les gens d’ici sont bien plus inquiétants que ceux de l’Underland. Peut-être manque-t-il d’objectivité, ou peut-être n’est-il pas à l’aise avec les gens trop heureux, trop parfaits – ça le rend si méfiant. Il ne peut nier ses origines après tout et ce, malgré ces fragments de souvenirs perdus.

Discret dans la nuit, le voleur n’est plus qu’une ombre qui se déplace parmi tant d’autres. Parfois, il a envie de foutre le feu un peu partout en voyant ces habitants si bien lotis, encouragé par les chuchotements dans sa tête. Il ne l’a jamais fait toutefois et ne compte pas le faire, préférant de loin empoissonner le thé. Ce quartier, il le déteste, il n’y a qu’un seul endroit qui l’attire et en peu de temps qu’il n’en faut, il se retrouve déjà face à portail qui ne parvient jamais à empêcher son intrusion. Que faire pour tromper l’ennui ? Le brun a bien une petite idée et en sourit d’avance, de ce rictus en coin si félin. Malgré les avertissements, le jeune homme n’en fait qu’à sa tête, prêt à se lancer dans une véritable chasse aux trésors. Un besoin de retrouver son âme qu’il ne peut taire et ce, malgré son amitié avec le chapelier fou.

Le sol se rapproche à mesure qu’il sent ses os craquer un par un dans une douleur silencieuse. Endossant sa forme animale, le chat sent ainsi ses sens bien plus aiguisés. Il lui est encore plus facile de se faufiler où bon lui semble pour lui, qui habituellement est déjà bien suffisamment souple et agile sous forme humaine. Il s’étire de tout son long, l’animal, s’habituant vite à ce nouveau corps. Ses pas sont discrets, il ne se précipite pas, appréciant ces environs si familiers vu d’un nouvel angle. Le chat aperçoit le manoir et décide de s’y rendre sans plus tarder, mais voilà que malgré toute sa discrétion, il se fait remarquer. Sad ? Il n’est étonné qu’à moitié, il ne pensait pas tomber sur l’insomniaque et en même temps, il se dit qu’il n’est pas rare de le voir réveillé à cette heure-là. Il pourrait lui jouer un petit tour ? Rien de méchant, bien sûr… D’un miaulement, l’animal l’intime de venir à sa recherche. Il l’attend, bien patiemment et l’observe de ses grands yeux lumineux. Tiens, Sad n’a pas l’air effrayé… Se pourrait-il qu’il ne l’ait réellement pas reconnu ? Le voit-il comme un simple chat noir ? Cette pensée amuse Cheshire qui adopte l’attitude d’une petite bête craintive. Il attend que son ami s’approche un peu plus, mais chaque fois qu’il est trop près, il finit par reculer à la dernière seconde. Finalement, il se met à feuler. Il n’est qu’un chat sauvage après tout. Griffes et crocs sorties, ses oreilles se rabattent contre sa tête alors qu’il étire ses pattes avant. L’animal cherche à se montrer hostile, bien qu’il ne compte pas l’attaquer, il se contente de l’observer. Cheshire cherche simplement à l’embêter, sans raison particulière. Nouveau moyen d’approche qu’il n’avait pas envisagé jusque-là. Sad parviendra-t-il à calmer l’animal, ou bien prendra-t-il la fuite ?

Coup du hasard, il ne laissera pas filer sa chance. Son âme peut bien attendre encore un peu, elle ne risque pas de s’envoler d’ici là. La concentration du félin est proche du néant, se détournant bien trop vite de ses objectifs en échange d’un peu de divertissement et d’attention. Il se plait sous cette forme, discret, on le remarque à peine. Il lui est également plus facile de fuir ainsi, mais aussi plus facile de se faufiler dans d’étroits passages – comme les barreaux d’un portail depuis longtemps fermé au vu de l’heure. Il se sent libre, il n’est plus qu’une ombre, une fumée noire qui file dans la direction du vent. Il perçoit les choses différemment et aucun son ou parfum ne lui échappe. Alors, Cheshire ne compte pas reprendre forme humaine aussi vite. C’est l’occasion pour lui de se dégourdir les pattes et de fourrer son museau dans des affaires qui ne le regardent pas. Rares sont ceux qui prennent le temps d’observer, de voir ce que les autres ne voient pas. Et malgré l’obscurité environnante à laquelle se mêle l’animal, il est vite repéré. Fin observateur qu’est le chapelier triste. Il ne s’en rend sûrement pas compte, et surtout ne s’en soucie pas, mais cette aptitude à se soucier de ce qui l’entoure est forte plaisante aux yeux du chat. Il cherche à l’attirer, à jouer avec lui. Pauvre petite bête égarée qu’il prétend être. Sad le laisse faire et se lance ainsi dans cette partie de cache-cache improvisé.

Il cherche à l’éloigner, mais pour quelle raison ? Lui-même l’ignore. Cela doit tout de même amuser un minimum le chapelier, un sourire se dessine sur ses lèvres. C’est si rare. Même les conneries habituelles de Cheshire n’arrivent à provoquer un tel résultat. Serait-ce donc cela la solution ? Devrait-il lui ramener un chat lors de leur prochaine rencontre ? Cela lui semble être une très bonne idée. Il la note dans un coin de sa tête et y songera plus tard avec grand sérieux. Du moins, si aucun incident n’a lieu d’ici là. Car la petite bête sauvage pourrait très bien effrayer le chapelier s’il continue ainsi. Ou non ? Cheshire ne sait pas vraiment. De ses grands yeux félins, il l’observe patiemment. Agité en apparence et pourtant si calme au fond de lui. Cette attitude dorénavant plus agressive provoque une certaine surprise auprès de son ami, cela l’amuse intérieurement. Pourtant, le jeune homme conserve un comportement doux et calme, ses gestes ne sont pas brusques et lorsqu’il se fait plus petit, l’animal se montre déjà bien moins craintif. Nouveau sourire qui lui est offert, s’il le pouvait, le chat noir le lui rendrait. Au lieu de ça, il se repositionne sur ses pattes, laissant les griffes disparaître. L’animal se laisse amadouer, acceptant à moitié les excuses qui lui sont présentées. Chat fier qu’il est, il en faut un peu plus pour se le mettre dans la poche.

Alors, il le fixe toujours, faisant quelques pas autour de lui pour mieux l’observer. Une main disparait soudainement dans une poche, attirant la méfiance de l’animal qui réagit immédiatement. Ses oreilles se redressent et les crocs lui sont montrés comme un nouvel avertissement. Pourtant, il ne s’agit pas d’un piège mais d’une petite sucrerie pour signer cet acte de paix. Cheshire en rirait sûrement s’il ne voulait pas prendre le risque de se faire reconnaître, tant il trouve cela mignon. La petite bête approche alors, doucement, un pas après l’autre, la méfiance flottant toujours tout autour d’eux. Il continue de grogner, plus pour inciter le jeune homme à ne pas bouger que pour réellement lui faire peur. Suffisamment proche, il examine cette curiosité colorée courtoisement offerte. Ce n’est pas vraiment le genre de chose que mangent les chats… Mais il n’est pas un chat ordinaire, alors bien sûr, il ne compte pas refuser. Un premier coup de langue qui lui attire une grimace. Puis, il le gobe entièrement, laissant un crépitement résonner dans la gueule de l’animal. Ses orbes lumineux se ferment soudainement, ses oreilles se rabattent contre son crâne et un faible miaulement plaintif s’échappe. Il continue de geindre, se laissant écouler sur le côté, ses petites pattes portées à son museau. Le voilà à prétendre un malaise alors même qu’il se délecte du sucre qui continue de pétiller. Quel con – pas loin d’être le pire des potes. Il se roule, toujours à terre, cherchant contact auprès du doux chapelier. Sa tête vient se poser sur le genou de Sad, rouvrant très légèrement les paupières pour l’observer discrètement. Sa comédie est si mauvaise… pourtant, connaissant le jeune homme, il a bien des chances de le faire paniquer. Énième miaulement qui s’échappe, quémandant désespérément son attention d’un petit coup de patte. Que ne ferait-il pas pour qu’on s’occupe de lui ?