Au fond des tombes, sous les voûtes secrètes du monde, et dans l'intimité de ses tripes labyrinthiques, résonne un cœur palpitant, bruyant.
Ronronnant, vibrant, il est des salles où les tuyaux serpentent et donnent vie, impies, où la graisse macule les murs comme sang d'une salle d'accouchement, aux cris de nouveau nés métallique, anarchie naissante et fils bâtards de cette nouvelle ère de modernité. L'acier résonne dans tout les crânes, et dans un lieu comme celui ou tu demeures tels un rat depuis ta fuite, il est organique, sa cacophonie assourdissante te permet parfois d'oublier que tu ES. Jusqu'à ton existence. Tu n'es qu'un rouage dans la machine infâme dévoreuse d'âmes. Tic et tic et tchak, tchack. Ca fume, ça sonne, ça résonne, dans ta tête rendue creuse par les fumées illusoires de tes cigarettes.
Tes doigts se plongent dans les cuves emplies de matrice noire, glissante, gluante. Ton visage en est couvert, impassible. Tu en sors un amas de métal, au chrome luisant sous tes doigts qui ôtent ce placentas surfait de la cuirasse, n'en laissant qu'une fine couche sur la face extérieure. Les pas couvert des vrombissements de bourdon permanent, tu retournes en ton lieu de gîte journalier, ta salle de travail, dans cet enfant batard aux hurlements de bête cauchemardesque. De ta clé à molette, tu assembles tout un monde qui viendra s'ajouter à la masse gargantuesque que constitue le train.
L'odeur sucrée des clopes mêlée aux gaz d'échappement et de brûlé envahit tes narines, s'accroche à ton blouson, réminiscences de nuits bien trop longues. Impossible de t'en défaire, mais ça fait longtemps que tu n'en as cure. Un soupir de satisfaction s'échappe de tes lèvres fines peintes d'huile sombre. Ton visage se pare d'un mélange de joie et d'appréhension. Le métal qui court sous tes doigts écorchés n'est pas ta création. Tu ne fais qu'assembler, mais tu te sens comme un père en installant la machine dans la chaudière. Enfin, ce que tu penses être un père, tes parents, t'as pas connu.
Il vaut p'tête mieux.
Elle est toujours là, cette voix qui résonne dans ton encéphale maltraitée. Tu lances une œillade assassine en direction de la porte qui n'est occupée que dans ton esprit.
_Ta gueule.
Tu retournes à ta tâche, tentant tant bien que mal d'ignorer les idiotie de tes fardeaux attitrés sous la forme de deux licornes multicolores. Tu secoues le visage, renifle en essuyant ton nez, l'ornant d'une nouvelle couche de patine noire et grasse, comme pour dissimuler la peau fine et sèche, macabrement pâle qui recouvre ta carcasse. Demi-tour, machine en main, tu te penches pour remplacer la pièce avant que le train-train quotidien ne reprenne son cours.
Hey Shaaaaaa...
Grognement étouffé, tes dents dérapent, c'est la langue qui prend. Aïe. Tu ne sais pas depuis quand il est là, ni où est passé son acolyte.. ni pourquoi tu réponds. Tu craques une allumette pour raviver ton joint, enjambant la licorne bleue, non sans manquer d'y mettre un coup de pied au passage, pour attraper le fond de ta bière.
Tu lèves le coude, absent, finissant par te vautrer dans le nuage de fumée bleutée persistant. Tu t'étires. Il est rare que tes démons soient aussi calmes. Peut-être que tu t'en ferais davantage s'ils n'étaient pas fictifs et encore, ce serait le problème de quelqu'un d'autre dans ce cas. Assis en tailleur, au centre de la salle métallique tu envoies un message pour indiquer à ton collègue qu'il pouvait mettre la machine en marche. Parmi les tintements d'horloge, les roulements de la bille des machines, les vibrations mécaniques, tu lèves le nez, observant les alentours, un léger sourire étirant tes lippes.