[Finie] Le Docteur - Un grain de folie dans le désert de la connaissance... [départ]

588 ap. A

Le Docteur, Il Dottore comme l’appelaient ses anciens collègues, un segment parmi tant d’autres, déchu de tout à cause d’un échange à la fois cruel et passionnant. Il était une étoile éteinte qui n’attendait qu’à s’embraser une fois de plus, fulgurante et prête à s’écraser sur ce nouveau monde pour en comprendre les rouages. Mais pour l’heure, il était là, las de tout, contemplant l’horizon nocturne en se laissant bercer par une houle trop peu familière tout en étant semblable. Le petit Aranara à ses côtés s’approcha, avant de se blottir dans ses bras. Il le prit par la patte arrière gauche et le porta à son visage, contemplant avec dédain son sourire béat et ses yeux ronds. Il le jeta un peu plus loin et soupira, râlant de sa voix rauque dans un langage propre à sa nature de création impie, semblable à une horreur incompréhensible.

Combien de temps cela faisait-il qu’il avait quitté son monde, Teyvat ? Il ne le savait pas, s’étonnant même d’avoir des souvenirs aussi clairs. Avait-il vraiment été effacé de la réalité comme le voulait l’échange ou était-il la cible d’un sortilège plus puissant encore ? Teyvat… une terre divisée en plusieurs régions, chacune dirigée par une divinité nommée Archon, eux-mêmes liés à l’un des sept éléments. Il était originaire de Sumeru, la nation de l’Archon Dendro, liée à la Nature, l’élément de la sagesse, de la connaissance, puisée et nourrissant Irminsul, l’Arbre-Monde. Il avait été un éminent chercheur à l’académie de Sumeru, mais avait été radié après bien trop de recherches interdites. Irminsul était malade, le Docteur étudiait simplement les effets de sa corruption, le Marana. Tout était lié au domaine du Rêve, il le savait, alors il avait développé la plus grande invention de sa carrière après ses clones, il avait modifié un dispositif divin nommé l’Akasha pour puiser dans les rêves de chaque habitant de Sumeru, volant leurs pensées, leurs connaissances, leurs secrets les plus enfouis : tout, absolument tout. Ceci permettant de récupérer le moindre morceau de connaissance divine cachée dans le Rêve. Il avait été jusqu’à kidnapper divers enfants atteints par la corruption d’Irminsul, dont la maladie générée avait été nommée Eleazar. Cette maladie, bien que très douloureuse et provoquant l’apparition d’écailles de pierre sur le patient, était passionnante ! Oui, il avait certes perdu plusieurs spécimens et tué quelques parents mécontents, mais les résultats étaient plus importants que tout. Dommage que l’Académie ne voyait pas cela du même œil.

Quand il fut banni, il eut le temps de faire le point. Après tout, ses convictions avaient pris racine lors de sa rencontre avec les Aranara, les êtres de la forêt n’apparaissant qu’avec les enfants dans le monde des Rêves. Ce sont eux qui lui ont appris l’existence d’Irminsul, mais aussi et surtout que “la Forêt n’oublie jamais”. Quand un Aranara meurt, il retourne à la terre et ses expériences, ses rêves, ses connaissances, tout revient à Irminsul, qui condense le savoir du monde pour créer d’autres êtres. C’est ainsi qu’il fait fleurir les rêves et nourrit les espoirs des hommes et des femmes. Malheureusement, sa corruption a laissé place aux cauchemars suite à la guerre des dieux cinq cents ans plus tôt. Le Docteur, après plusieurs années de réflexion, a fini par embrasser cette vision : Et si tous les humains ne devaient au final ne faire qu’un ? Et si le salut contre les dieux tyranniques était dans l’accumulation de la connaissance ? Il est tombé si profondément dans ces convictions détraquées qu’il en a perdu toute son empathie, ne voyant ses semblables que comme des amas de cellules et d’organes animés par des réactions électriques dans une machine fastidieuse nommée cerveau. Conscient de ses propres limites, il passa sa vie à mettre au point son magnum opus… les Segments.

Un segment est une sorte de clone de lui-même créé à partir d’une grande quantité de sa force vitale et d’énormément de matériaux. Il en créa tant et si longtemps que désormais il n’existe que des segments pour perpétuer son œuvre. Chaque segment s'étant vu attribuer une tâche, ils accumulaient de la connaissance sans jamais s’arrêter, créant de nouveaux segments au besoin. Chacun développant, au final, ses compétences, ses passions et ses faiblesses. Fort de ce projet fou, il fut recruté par l’organisation criminelle Fatui, de la région de Snezhnaya dans le grand nord de la Tsaritsa, l’Archon Cryo, une déesse cherchant à renverser l’ordre divin. Ceci lui permettant de financer ses recherches, il accepta de les aider en réalisant diverses missions diplomatiques visant à utiliser sa force surhumaine et ses créations pour asseoir le pouvoir de la Tsaritsa partout dans le monde.
Malheureusement, alors qu’il s’approcha enfin de son but, se réunissant avec les Aranara pour faire des recherches sur le Rêve, il sentit comme un avertissement interne : l’un des Segments passait un marché avec la Divinité de la Sagesse… Le prix à payer ? La suppression des autres segments. Il se sentait disparaître, mais alors qu’il fermait les yeux, souriant en comprenant fort bien le choix pragmatiquement bon de son collègue, un des petits êtres de la forêt lui sauta dans les bras.

Désormais, le voici, sur une plage, là, las de tout ceci comme nous le voyions plus tôt. Aramudra, car c’est son nom, vint lui rendre son masque, qu’il mit pour dissimuler son visage une fois de plus. Les cicatrices d’un monde perdu ne laissaient finalement entrevoir que cette nouvelle terre pleine de promesses. Aramudra semblait inquiet, alors il prit la parole, questionnant le Docteur, debout face à la mer.

“Nara Docteur voulait des informations sur Irminsul ? Irminsul n’est plus là, Aramudra pas sûr si Irminsul pas là ou Nara Docteur emmener Aramudra loin. Pas d’Archon, pas de Rêve comme Teyvat. Aramudra pas sûr si… pas sûr si…”

Il se baissa, posant un genou au sol, avant de prendre le petit par le bras, lui arrachant un petit “Ouille !”, avant de le poser sur son épaule, au chaud sur la fourrure. Sa voix, grave et posée, pourrait être reposante pour quiconque souhaite occulter les dires.

“Irminsul n’est plus, cher Aramudra, nous voici dans un nouveau monde. Il va me falloir tout recommencer, mais vois le bon côté des choses : Ici, tout est à redécouvrir et nous n’avons pas oublié. Après tout, la Forêt se souvient, non ?”

“Oui, Nara Docteur a raison ! Aramudra courageux, va suivre Nara Docteur, trouver nouveau Irminsul.” Le petit tapota la tête du Docteur, l'air inquiet. "Pourquoi Nara Docteur perdu dans forêt ? Quoi faire ?"

Le Docteur n'y avait jamais véritablement pensé auparavant... C'est vrai ça, lui qui se considérait comme l'une des abeilles de la ruche de la connaissance, il n'avait même jamais songé à en devenir la Reine. Non, la symbiose parfaite lui avait presque fait perdre le goût à la vie. Qui était-il, dans le fond ? Au final, n'avait-il pas développé de son côté diverses envies et passions ? Peut-être bien. Comment expliquer cela au petit Aranara ?

"Je suis qui je suis... Mais si tu veux des détails, disons que j'ai passé ma vie à poursuivre un rêve. Celui de voir l'Humanité transcender sa nature pour défier les dieux. Mais au final, je n'ai été que le témoin écœuré des problématiques les plus fondamentales de notre société. Jalousie, envie, espoir, tous ces maux dont je ne connais pas d'autre remède que la mort. J'ai bien vu certaines personnes devenir plus fortes quand elles étaient acculées dans le désespoir absolu, entourées d'êtres qui leur étaient chers. Mais... Ai-je réellement compris la mécanique derrière cela ? Je ne crois pas..."

L'homme cherchait à se remémorer les évènements. Il avait travailler un long moment avec cette jeune femme, Heimin, une artiste martiale de Natlan, la nation du feu. Heimin était incroyable, un corps parfait abritant un esprit acéré. Il l'avait vue devenir plus forte, repoussant les limites du raisonnable à chaque obstacle. Son obsession pour comprendre comment elle arrivait à pareil exploit lui était étranger, si bien qu'il avait toujours eu un doute sur ses propres analyses. Ils avaient passé du temps ensemble, il la soignait, la conseillait sur ses techniques de combat, parfois même il tentait de comprendre ses angoisses. Malheureusement, il n'avait jamais compris ce que tout ceci impliquait, ni pour lui, ni pour elle. Maintenant qu'il était ici, maintenant qu'il se reposait l'esprit pour la première fois...

"Vous allez bien ?"

"Oui. Je... Je pense que ce monde est tout simplement trop différent du nôtre, je ne fonctionne plus très bien. Mon cœur artificiel s'emballe, respiration légèrement accélérée, j'ai déjà vu certains patients avoir ces symptômes, ce n'est rien."

Rien... ressentait-il de l'intérêt pour elle ? Il s'agaçait à y réfléchir. Après tout, elle était morte par sa faute. À trop pousser l'expérience, il avait fini par la transformer en une véritable machine de guerre. Il l'avait transformée. Il l'avait éteinte. Il... Il se redressa, troublé par ses propres émotions. Un segment ne peut pas ressentir d'émotions ! Il attrapa Aramudra et le serra dans sa main, troublé par tant de colère, de désespoir et de tristesse. Le petit criait de douleur, mais contre toute attente il vint tenter de se blottir contre l'homme qui tomba à genoux, les yeux mouillés de larmes.

"Je crois... que je n'ai jamais été aussi seul. Je n'ai jamais joué avec les autres enfants, ils étaient trop bêtes. Je n'ai jamais aimé, seule la connaissance m'intéressait. Mais, au final, n'ai-je pas occulté une connaissance tout aussi importante ? Les émotions, ce désir de vivre, notre créateur n'en avait pas, alors pourquoi est-ce que je ressens ça ?"

"Nara Docteur pas robot, être gentil Nara chercher savoir pour monde meilleur ! Aramudra va aider, oui ! Nara et Aranara, main dans la main, trouver les réponses, oui !"

C'est ainsi que le Docteur eut son premier ami, un cobaye qui - dans le désespoir d'un nouveau monde à découvrir - devenait son plus précieux allié. Il était tiraillé entre ces émotions nouvelles et sa nature de segment, mais il allait bien trouver un moyen de rendre cela vivable et profitable, de toute façon.


592 ap. A

Un certain temps est passé depuis cette arrivée brutale. Le Docteur a pu échanger quelques informations, en soutirer d’autres par la force, mais son manque de matériel médical le frustrait de plus en plus. Sans les autres segments ou l’énergie élémentaire des Archons, il se sentait de moins en moins capable de laisser libre court à son génie, sans parler de sa force qui l’avait semble-t-il quitté. Quelques rumeurs, très certainement infondées d’ailleurs, à propos d’un médecin itinérant aux pratiques douteuses voire cruelles, commencèrent à se semer un peu partout, si bien qu’il rencontra une sorte d’Archon telle que Morax, mais en plus vicieuse, répondant au nom de Lucifer. Quand elle lui proposa une place dans son château ambulant où la technologie était de pointe et où il aurait un laboratoire pour ses expériences et recherches, il accepta la contrepartie. Après tout, il n’était plus à une surprise près : Lui qui pensait ne pas avoir d’âme en tant que segment, la voilà qui venait de lui prendre la sienne. Cela le fascinait, alors il signa le contrat sans hésiter. Sa nouvelle vie en Otherlands ne faisait que commencer.

Il a ainsi pu obtenir des informations très intéressantes, comme la véritable nature de Teyvat : une oeuvre fictionnelle. Ainsi, les préceptes divins, le Voyageur, tout était du faux, ce devait être cela dont Scaramouche avait entendu parler, ça que le segment traître échangea à l’Archon Dendro… Soit, après tout, peut-être là encore était-il dans une fiction ? Après tout, pourquoi s’en préoccuper ? Il lui suffisait de faire avec et de faire ce qu’il savait faire de mieux. Il allait poursuivre ses recherches, même s’il faudrait pour cela y laisser son âme… et le corps de ses semblables.

Grâce à l’énergie contenue à bord du Château Ambulant et à son glorieux échange avec Lucifer, il put mettre au point dans son laboratoire un système permettant de cristalliser l’information, comme en Teyvat. Malheureusement, ceci n’était pas aussi performant et il ne pouvait pas en créer de trop, ni contenir trop d’information dans un même cristal. Soit, c’était déjà ça. Parcourant le monde à la recherche de matériaux - des bidules et des corps, en somme - le Docteur a monté quelques laboratoires de fortune ça et là, sans jamais vraiment pouvoir les garder bien longtemps. À Memeland, il a même pu mettre la main sur divers prototypes d’armes à feu, qu’il a pu analyser et améliorer selon ses besoins. Impossible de recréer ses drones, pour le moment, mais il avait au moins pu placer des dispositifs de défense dans le laboratoire pour dissuader les patients les plus récalcitrants. De plus, la faune et la flore de ce nouveau monde, tout bonnement excentrique, lui permirent de démarrer diverses recherches sur des décoctions bien précises. Propriétés narcoleptiques ou bien simplement excitants, il cherchait activement à diversifier sa gamme de médicaments maisons.

Après tout, le consentement des patients quant à l’échange d’informations n’était pas toujours chose aisée à récupérer…