the boy who cried wolf. | Little Red Cap [Disparu]

Toujours à traîner dehors jusqu’à pas d’heure, à errer là où il faut pas, à faire tâche dans le décor. Au milieu de ce cadre coloré que représente Memeland, il se tient là, Little, à ne savoir où aller. Telle un point sombre sur une toile faite de vives couleurs, il n’y est pas à sa place. A-t-il un jour réellement été à sa place quelque part ? On y est habitué, à le voir errer par ici, à traîner ses boots sans trop savoir où mettre les pieds. Ça ne surprend plus personne de voir cette grande silhouette, plutôt bien battit. Cette démarche nonchalante, pas pressée le moins du monde, comme s’il traînait sa propre carcasse sans conviction. Et dans ce bar, il n’a rien trouvé de mieux que de ramener la première fille venue, cherchant à provoquer les foudres de sa bien-aimée.

Les déjan’thés sont pas très bien vu ici et ça, il le sait pertinemment. Dante ferait mieux de se faire discret, de porter des vêtements discrets et une grande capuche pour dissimuler ses longs cheveux d’un blond rayonnant. Mais non, cette touffe de cheveux aux nombreuses mèches rebelles, il ne la cache pas. Pas plus qu’il n’est décidé à les couper, malgré ces longues mèches qui viennent couvrir une partie de son visage, dissimulant ainsi l’un de ses orbes bleutés. Ses yeux ne sont rien d’autre qu’un océan qui se laisse facilement troubler, tantôt aussi sombre qu’un ouragan, tantôt aussi turquoise qu’un paisible lagon. Malgré cet air arrogant qu’il arbore en permanence, son regard ne sait mentir. Alors, chaque fois qu’il pose son regard sur sa moitié, chaque fois qu’il prend le temps de l’observer avec attention, ses yeux ont toujours cette étrange lueur où se mélange tendresse et crainte. Crainte de tout faire foirer, de l’aimer un peu trop au point de causer sa propre perte. Chaque fois qu’elle est dans les parages, son regard est troublé, mais ça personne ne le remarque.

Tout ce qu’on remarque c’est ce sourire en coin, ce sourire provocant plein d’arrogance. Ce sourire débordant de confiance qui a su charmer cette inconnue peu futée. Un bras autour de ses épaules, son regard ne quitte pas celui de la louve alors qu’il continue à sourire. Ses doigts resserrent légèrement leur emprise pour insinuer à l’inconnue de se taire. Des bandages font le tour de ses mains et poignets, et si l’on remonte un peu plus haut, on peut voir des flammes faites d’encre ornant ses avant-bras. D’autres parties de son corps sont également tatouées, à commencer par son cou. Des arabesques noires viennent s’y étendre allant jusqu’à son torse et ses épaules, continuant leur ascension dans son dos et bien plus bas encore. Les tatouages allant de pair avec les piercings, ses oreilles sont également percées de part et d’autre, allant du lobe jusqu’au cartilage. Indispensable pour un punk dans son genre. Ces simples détails suffisent à rendre mal à l’aise certains.

Vu de loin, on pourrait même le prendre pour un délinquant. Personne s’imaginerait qu’il a un jour vécu dans un château, sous le même toit que la reine.

Alors que lui continue de chercher la louve du regard, il sent les yeux de l’inconnue se poser sur lui, le dévorant silencieusement du regard. Et pour cause, ce type ne laisse pas place à l’imagination. Il ne porte rien sous ce large sweat ouvert à capuche rouge, signe reconnaissable du petit chaperon rouge, laissant apercevoir un torse musclé comme il faut. De manière générale, il porte toujours des pantalons sombres, déchirés pour la plupart, à force de courir dans la forêt pour rattraper celle qui le suit autant qu’elle le fuit. Il possède également des lames qu’il vient accrocher à ses poignets, en cas d’attaque. Mais elles sont rangées, il n’en pas besoin ici, pas dans ce bar alors que tout ce qu’il veut c’est embêter sa louve.

Il ne s’y prend certainement pas comme il faut, car lorsqu’elle lui tourne le dos, c’est une expression de surprise qui vient se dessiner sur son visage. Lui, qui fait pourtant de son mieux pour ne pas montrer ses émotions, peut se lire comme un livre ouvert. En particuliers lorsque cela concerne sa moitié. Et voilà qu’il réagit lui aussi, s’élance à sa poursuite dans l’obscurité de la soirée. Un cliquetis retentit à chacun de ses pas, provenant de sa ceinture où se trouvent diverses lames et plaques militaires. Elle ne dit rien, alors il continue de la suivre tout en la provoquant. Il continue jusqu’à ce qu’elle réagisse. Jusqu’à ce qu’elle s’énerve. Qu’elle lui crie dessus avec force. Qu’il observe l’étendu de ses pouvoirs avec impuissance. Car impuissant, c’est bien ce qu’il est. Tout juste bon à provoquer le grand méchant loup avant de prendre la fuite. Perdant équilibre et se retrouvant à terre, Little sait pertinemment qu’elle va de nouveau disparaître, qu’il a merdé. Malgré tout il avance la main, ne voulant pas qu’elle parte. Mais il est trop tard.

Au milieu de la rue déserte, le son des bars en arrière-plan, le chaperon reste ainsi à terre. Il reflète bien des choses, Little, mais ce qui est le plus flagrant en lui c’est cette solitude qu’il n’arrive à effacer.

Etendu de tout son long sur le sol, il ne sait que faire. Partagé entre se lancer à sa poursuite, ou bien la laisser seule, en ayant déjà suffisamment fait comme ça. Little, c’est l’indécision, l’incapacité de faire un choix, de savoir ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. C’est comme s’il avait besoin que quelqu’un vienne constamment le conseiller, lui souffler des idées. Paumé, de nombreuses pensées se bousculent dans sa tête. S’il donne l’impression de n’en avoir jamais rien à faire, intérieurement c’est tout le contraire. Le chaperon pense trop. Vraiment trop. Et il est bien plus facile qu’on ne le pense de l’atteindre. Sensible, il s’est, au fil des années, construit une armure faite de connerie et d’arrogance.

Le jeune homme a toujours été du genre à conserver son calme, peu importe la situation. Un calme apparent, cachant une complexité que personne ne soupçonnerait. Alors, il reste là, à contempler le ciel étoilé en se demandant s’il n’a pas dépassé les bornes. Avoir une réaction de sa louve, c’est bien ce qu’il cherchait. Pourtant, maintenant qu’il l’a eu, il ne se sent pas plus heureux. Encore cette impression d’avoir merdé. Parfois, même lui se demande pourquoi il est comme ça.

Pourquoi est-il ce qu’il est ?

Son enfance mouvementée est certainement ce qui a commencé à forger son caractère. Autrefois, Little n’était pas comme ça. Lorsqu’il était bien plus jeune, il avait toujours été un enfant plutôt sage et docile, voulant à tout prix qu’on change d’avis à son sujet. Qu’on l’accepte tel qu’il est. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et même si ce calme fait toujours parti de lui, il ne cherche plus l’approbation et encore moins l’acceptation d’autrui. Quant à la docilité, elle est désormais inexistante, du moins presque. Telle une balance cherchant un point d’équilibre, Little alterne entre le petit con et le chaperon docile en compagnie de sa louve. Malgré son âge, il reste un gamin et de son adolescence, il n’aura gardé qu’un côté rebelle.

Avant sa rencontre avec la louve, le jeune homme a toujours été ce type solitaire, celui qui parle peu. Ou qui ne parle que pour s’attirer des ennuis. Il ne cherche pas à se lier avec quiconque, semblant se plaire dans sa solitude. Il n’a jamais aimé compter sur les autres, sachant pertinemment que quoiqu’il arrive, ce n’est que sur lui seul qu’il peut compter. Oh, s’il savait combien il avait eu tort. Lui qui a dû très vite devenir un garçon indépendant et débrouillard, le voilà revenu au point de départ. Le grand méchant loup représente une véritable ancre pour le chaperon et il ne peut s’en séparer. Il dépend d’elle et ce, qu’il l’admette ou non. Il vit à ses crochets, traînant toujours dans ses pattes. Et lorsqu’elle n’est pas là, il s’ennuie. Il cherche son attention et lorsqu’il réussit à l’obtenir, il en est satisfait.

Ses allures de mauvais garçon renforcent cette idée qu’on a de lui, on le prend pour quelqu’un de bagarreur. Et peut-être l’est-il un peu, toujours à ouvrir sa gueule quand il ne faut pas. À ne jamais mâcher ses mots, se moquant éperdument de blesser autrui. Et ça, c’est un vrai souci, il ne connait aucune limite. Il ne se rend pas compte que, parfois, il aurait vraiment mieux fait de se taire. Ça lui vaut des bagarres. Parfois, il se met même à provoquer des inconnus pour ensuite venir se cacher derrière le grand méchant loup et l’observer se battre avec admiration. Elle est plus forte que lui, il le sait. Ils le savent tous les deux. Mais Little est arrogant alors, il cache sa lâcheté derrière son attitude de délinquant. Tous les moyens sont bons pour parvenir à ses fins et pour un type capable de transmettre les émotions, il manque parfois de cœur. Qu’importe les autres, sa louve et lui passent avant tout le monde. Un jour peut-être réussiront-ils à faire payer les autres pour ce qu’ils ont vécu. Peut-être arriveront-ils à se faire accepter tel qu’ils sont. Un jour, peut-être…

Il inspire et expire lentement. Son souffle devenant une fumée blanche au milieu de cette nuit plutôt fraîche. Les secondes se transforment en minutes et lui n’a toujours pas bougé. On passe parfois à côté de lui, le prenant sûrement pour un type bourré ayant avalé le verre de trop. Mais il n’y est rien, Little est sobre, peut-être même un peu trop. Divers doutes l’envahissent bien vite. Il est rare qu’il réussisse à l’énerver à ce point. Il est encore moins courant qu’elle utilise ses capacités ainsi, contre lui. C’est ce qu’il cherche pourtant. Depuis qu’il a découvert qu’elle était le grand méchant loup. Il veut la voir dans sa véritable forme, il veut voir ce qu’elle est réellement, l’accepter telle qu’elle est. Mais elle refuse toujours, prétextant un trop grand danger. La bienveillance de sa moitié a réussi à semer quelques doutes dans son esprit. Et si, elle ne lui faisait pas suffisamment confiance ? Comment pourrait-il le lui reprocher, lui qui ne cesse de la chercher… Peut-être qu’un jour, elle en aura marre de lui et de son attitude ? Car Little n’est pas si facile à vivre que ça. Il n’est pas difficile, oui. Il ne fait pas non plus des scènes pour un rien et pour le fils d’une reine, il n’est en rien capricieux. Toutefois, il en faut du courage pour rester en sa compagnie. Le jeune homme a tendance à prendre bien trop facilement ses aises. Prononcer les mots fait comme chez toi se révèle être une véritable malédiction. Bavard lorsque quelque chose l’intéresse, le jeune homme solitaire qu’il était se transforme en véritable moulin à paroles. Grossier, il ne fait pas attention à ce qu’il dit, n’ayant rien pour filtrer ses mots. Il en devient vite insupportable. Surtout lorsqu’il voit bien qu’il y a quelque chose qui cloche, quelque chose qu’on essaie de lui cacher. Les secrets, très peu pour lui. De nature curieuse, il veut tout savoir, même si ça ne le concerne pas. Ce n’est pas pour faire du commérage, loin de là, mais simplement pour le plaisir d’avoir découvert un secret bien gardé. Les failles, il s’amuse à les chercher et lorsqu’il en trouve, il appuie dessus, devenant vite irritant.

C’est peut-être tous ces petits défauts qui l’éloigneront de la seule personne qu’il lui reste. Sa peur l’a poussé à partir du royaume y abandonnant son frère, et sa lâcheté le pousse à ne jamais y retourner. Alors, que se passera-t-il si un jour, c’est une violente dispute qui éclate entre le loup et le chaperon ? Aura-t-il le courage de tenter de se rattraper ? Ou continuera-t-il de toujours prendre la fuite, de toujours attendre que ce soit les autres qui font les efforts ? Il ne se bouge pas assez, Little. C’est comme s’il attendait que les choses viennent à lui. Même son boulot de recruteur, il ne le fait pas sérieusement. Il se contente du minimum car son âme n’est plus la sienne, mais il ne fait rien de plus. Il se contente de ce petit confort offert par sa louve et s’y plait. Le jeune homme perd de son potentiel. Lui, qui, pourtant pourrait faire de grandes choses. Il est intelligent mais ne fait rien. Au contraire, il préfère même faire l’idiot et parfois foncer tête baissée plutôt que de prendre le temps de réfléchir. Il favorise l’action aux réflexions.

Malgré tout, il sait aller au-delà de ses limites, sortir de sa zone de confort. Ce n’est sûrement pas un bon exemple mais… Lui, qui a si peur de la reine blanche, au point d’en être aujourd’hui mal à l’aise avec les femmes, arrive désormais à passer outre ce malaise. Autrefois, il était incapable de parler avec une femme, ayant peur que celle-ci se transforme en la méchante reine en un battement de cil. La peur le rongeait au point qu’il ne voyait que les défauts des femmes ; sa mère n’a été que froideur et White Queen n’a été que cruauté. Et pourtant, aujourd’hui, il est capable d’aller draguer des femmes, capable de se montrer un minimum tactile avec elles, d’en trouver une plus stupide se démarquant du lot pour venir la présenter à sa moitié. En fin de compte, c’est plutôt lui qui est stupide.

L’autre femme l’attend toujours dans le bar, n’ayant pas compris pourquoi lui et sa louve sont partis ainsi. Il doit être un sacré bon comédien si elle a vraiment pensé avoir une chance avec lui. La vérité c’est que personne n’a une chance avec lui, son cœur est déjà pris et malgré tous les défauts dont il dispose, l’infidélité n’en fait pas parti. Il est loyal, il restera aux côtés de sa louve.

Louve qui lui manque déjà et qui lui fait ressentir ce que personne d’autre n’arrive à lui faire ressentir ; la culpabilité. Il s’en veut oui, mais il ne changera pas. C’est un cercle sans fin, elle reviendra, ils se réconcilieront et de nouveau, il l’embêtera. Peut-être pas autant. Ou peut-être bien plus qu’aujourd’hui. Il n’en sait rien.

C’est dans ces moments là qu’il s’en veut et qu’il se dit qu’elle avait raison sa mère ; il vaut même pas le coup qu’on s’intéresse à lui, qu’on lui prête de l’attention. Il soupire, réussissant à s’agacer lui-même.

Il le mérite pas et pourtant, comme à chaque dispute, il en vient à espérer la même chose. Il espère qu’elle reviendra à ses côtés.

 

Allez, lève-toi, Little. Lève-toi et va la rejoindre.

Ses pensées se bousculent, tourbillonnant dans tous les sens, dans l’espoir de lui faire revenir à la raison. Little, il se sait chanceux. Elle tient à lui, tout comme lui, tient à elle. Mais jusqu’à quand ? La patience de la demoiselle demeurera-t-elle intacte après tout ce temps à la chercher ? Après toutes ces gamineries et blagues de mauvais goût ? Little le sait, pourtant, qu’on n’a pas droit à une seconde chance dans cette vie. Que le bonheur, c’est une chose éphémère, juste un moment de répit avant que la balance ne bascule d’un côté. La louve est sûrement bien la dernière personne à encore vouloir de lui et ça aussi, il le sait.

Les premières années de sa vie lui paraissent floues aujourd’hui. Il a bien conscience que, depuis son plus jeune âge, il a vécu au milieu de secrets dont il aurait préféré tout ignorer. Il se rappelle avoir vécu quelques temps auprès de sa Mère-Grand, elle qui ne le jugeait pas et qui ne l’enfermait pas entre quatre murs. Il avait beau être jeune, il ressentait déjà cette aura qui se dégageait de la femme ; la liberté. Et malheureusement, cela ne dura pas.


Il y a bien longtemps. « A partir de maintenant, tu vivras ici. » Une main dans le dos le pousse à avancer, un geste bienveillant accompagné d’un léger sourire discret. Dès son arrivée, le roi a été bon avec lui. L’enfant ne sait pas vraiment pourquoi, il ne comprend pas pourquoi il a dû emménager ici alors que lui se sentait très bien dans les bois auprès de sa grand-mère. Ils n’avaient besoin de rien. Dante n’est qu’un gamin, il n’a pas de goût de luxe, alors vivre dans un château ne l’attire pas. Et lorsqu’ils voient ces deux autres enfants le dévisager de cette façon, il n’est pas sûr d’avoir bien envie de rester ici. Malgré tout, il voit cela comme une bonne opportunité de connaître sa mère. Il espère pouvoir se rapprocher d’elle, rattraper le temps perdu. Mère-Grand dit toujours que la famille c’est important. Alors, malgré ses doutes, Dante il est plein d’espoir.

Oh, jamais il n’avait eu aussi tort.

Il ne lui a fallu que quelques jours pour le comprendre. Dante n’est pas le bienvenu ici. Celle qui est censée être sa mère ne fait que l’ignorer en permanence, dès qu’elle le voit, elle regarde droit devant elle tout en prenant soin de ne pas croiser son regard. La tête haute, le menton relevé avec prétention. Tous deux ne sont pas du même monde. Elle est l’élégance même, le pouvoir et l’autorité. Une véritable reine. Alors que lui n’est qu’un jeune garçon paumé, qui ne sait pas où aller, à la recherche d’attention et d’indépendance. Il ne sait pas ce qu’il veut. Il ne pensait pas que sa vie ici serait ainsi. Celui qui joue le rôle paternel est pourtant toujours aussi bienveillant avec lui, il ne fait pas de distinction avec ses autres fils. Pourquoi en ferait-il d’ailleurs ? En quoi Dante serait-il si différent de son frère et de sa sœur ? Il se l’est posé plusieurs fois cette question, avant qu’on ne lui jette la vérité en plein dans la figure. « Tu fais pas partie de cette famille. Le roi, c’est même pas ton père. » Si jeune et déjà hostile, le blondinet se doute bien que White Queen ne l’apprécie pas beaucoup, mais il ne s’attendait pas à une révélation aussi sèche. Il ne l’a d’abord pas cru, il s’est dit que c’était une mauvaise plaisanterie. C’est un truc d’enfant, que de faire croire que son frère a été adopté.

Mais il est futé le gamin alors, très vite, il a assemblé les différentes pièces du puzzle et maintenant, tout lui semble plus logique. Sa mère qui n’éprouve pas le moindre instinct maternel à son égard alors qu’elle est si aimante avec ses autres enfants. Ce père qui fait bien plus d’effort qu’il ne le devrait, qui fait de son mieux pour ne pas qu’il se sente exclu. Et cette sœur qui ne manque pas une occasion de s’en prendre à lui. Au début, ce n’était pas grand-chose, il retrouvait simplement ses affaires éparpillées dans les quatre coins du château et souvent en piètre état. Puis ça a commencé à être des remarques blessantes, des piques qui appuient là où ça mal. Elle se montrait proche de sa mère, de leur mère, pour lui montrer ô combien ils sont différents tous deux. « T’as pas ta place ici. » qu’elle lui murmure à voix basse alors qu’elle tient la main de la reine. Puis elle a commencé à faire une fixette sur ses cheveux qui poussent bien vite pour un jeune garçon. Elle s’amusait à tirer dessus, juste pour lui faire mal et l’entendre dire d’arrêter. Elle se savait protégée, Dante n’a jamais levé la main sur elle. Mère-Grand lui a toujours dit qu’il ne fallait jamais s’en prendre à une fille. Jamais il ne l’a désobéi. Préférant prendre sur soi et supporter ce véritable calvaire infligé par sa sœur, jusqu’à la fois de trop.

Un matin comme un autre, le jeune garçon se réveille seul dans sa chambre avant de découvrir avec horreur des mèches de cheveux parsemées tout autour de lui. Son oreiller est couvert de mèches blondes. Et en passant une main dans ses cheveux, il se rend vite compte que ce sont ses mèches blondes. Ce jour-là, il voit rouge. Il a envie de lui donner une bonne leçon, peut-être pas par la violence, mais de lui rendre la monnaie de sa pièce en jouant le même jeu qu’elle. Toutefois, ces mois passés ici lui ont vite appris une chose ; quoiqu’il arrive, il aura toujours tort face à sa sœur. Face à tout le monde. Elle s’arrangera toujours pour le faire passer pour le coupable, le mauvais de l’histoire. Cela ne l’aide pas à se calmer alors, plutôt que de rester ici à broyer du noir, Dante préfère fuir. C’est ainsi qu’il fait sa première fugue.

Il s’en va sans prévenir personne, pas même son petit frère qui, pourtant, est son seul véritable allié ici. Le blondinet ne prend pas même ses affaires, ne voulant alerter personne. Il se faufile, quittant le palais comme un voleur afin de rejoindre Mère-Grand. Elle est surprise de la voir, heureuse aussi. Tout comme lui qui se laisse aller, qui craque devant la plus vieille. Elle est bien la seule personne avec qui il s’autorise à être ainsi. Il ne lui cache aucune de ses émotions, aucune de ses peurs et lui fait même part de sa colère, de sa rage bouillonnante.

« Tu ne peux pas rester ici, Little. » Il le sait, mais il est quand même déçu. Dante pensait que, de toutes les personnes, sa grand-mère serait toujours là pour le protéger. Alors, il ne répond rien, préférant ne pas y penser. Elle le voit bien qu’il n’a pas envie d’y retourner, mais il n’a pas le choix. « Ils vont finir par partir à ta recherche et c’est ici qu’ils commenceront. » Il est vrai qu’il ne faut pas être bien malin pour se douter de sa cachette. Ce que la vieille femme ne dit pas cependant, c’est que les rues peuvent être dangereuses pour le jeune garçon. Il n’est pas bien apprécié dans le royaume, symbole même de traîtrise et tromperie. Si son frère et sa sœur représentent l’espoir dans un certain sens, lui représente la méfiance et le doute. Il est là pour rappeler à tous qu’on ne peut faire confiance à personne. Pas même aux gouvernants de ce royaume. Mais ça, on ne le dit pas à voix haute, on se le murmure discrètement, espérant que ces messes basses n’iront jamais jusqu’aux oreilles de la reine. « Je reviendrai, Mère-Grand. » Elle le sait et c’est ce qu’il a fait durant les mois et années qui ont suivi. Avant de partir, elle lui tend cette cape faite par ses soins, une cape pourpre attirant l’attention de par sa couleur mais lui permettant également de dissimuler son visage grâce cette grande capuche tombante. Ainsi, ils ne verront pas son visage, que se dit la vieille femme.

Bien sûr, lorsqu’il revient chez lui, Dante se fait crier dessus. Il s’y attendait. Ça devrait même le mettre en garde contre ses prochaines fugues car oui, il y pense déjà. Mais ça ne suffit pas à le dissuader. Il est déjà la déception de la famille, le mouton noir du royaume alors bon. « Peut-être qu’on devrait l’enfermer dans les cachots, pour éviter qu’il se perde de nouveau. » Evidemment, il faut bien qu’elle fasse une remarque, elle. Le blond soupire simplement, pensant à sa grand-mère, se disant qu’il la reverra sûrement dans pas longtemps. Ainsi, il sera loin de cette vipère. « Ecoute pas ce qu’elle dit. » Car au milieu de ce cauchemar, il y a aussi la douceur de ce petit frère, lui aussi, bien différent. Il a quelque chose de particulier, Dante ne sait pas vraiment quoi, il le sent tout simplement. Son frère Snow White, c’est ce gamin destiné à accomplir de grandes choses. Il sera symbole de changement, le blond en est sûr. Sera-t-il celui qui apportera un souffle de véritable paix sur ce royaume, ou sera-t-il celui qui le fera plonger davantage dans les ténèbres ? Dante n’en sait rien et si au début il était plutôt méfiant, il a vite appris à laisser tomber ses barrières en compagnie de Snow. La seule personne sur qui il peut compter, le seul à ne pas le fuir. Dante apprécie sa compagnie, voyant en lui un vrai petit frère. Il est bien la seule part d’optimisme dans cette vie au palais. Tous deux proches, au point de se soutenir, mais jamais au point que le chaperon ne lui fasse part de ses prochaines fugues. Il sait Snow White et White Queen proches, peut-être même un peu trop, on pourrait qualifier leur relation comme étant fusionnelle. Voilà pourquoi, malgré toute son affection à l’égard du plus jeune, le blond ne peut lui accorder entièrement sa confiance.

Un jour, White Queen est même déjà venu lui faire des reproches. Elle n’aime pas qu’il passe du temps avec son petit-frère, le sien à elle. Surprotectrice comme à son habitude lorsque cela concerne Snow, sans qu’il ne comprenne pourquoi. Le chaperon ne force pas son petit-frère à passer du temps avec lui, il le fait parce qu’il en a envie alors pourquoi se mettre dans un tel état ? Une véritable folle, qu’il se dit intérieurement. Il lui tourne le dos et s’apprête à partir, mais il voit la main de la future reine s’approcher bien trop brusquement et par réflexe, il se défend d’un geste vif. Sa grand-mère lui a toujours appris à se défendre. Allait-elle le frapper ? Ou lui tirer les cheveux, encore ? Il n’en sait rien, mais il ne peut s’empêcher de serrer plus fortement entre ses doigts ce poignet qui lui semble étrangement fragile. Elle va s’en plaindre, c’est sûr. Elle le fera même passer pour une brute. Qu’importe. Il la relâche brusquement et s’en va, espérant qu’elle se calmera au moins pendant quelques temps.

Les années passent et c’est toujours le même calvaire ; tantôt les crises de sa sœur, tantôt les fugues auprès de sa grand-mère. Dante s’y est habitué, se lassant de cette certaine routine. Le temps passé a fait de lui un beau jeune homme, un charme plutôt atypique et un physique contrastant avec la famille royale. Dante intrigue, il plait et les demoiselles s’intéressent à lui. Et c’est là qu’il a vite compris quelque chose ; les femmes le mettent mal à l’aise. Non pas parce qu’il est timide ou gêné, il est juste mal à l’aise. Chaque fois qu’il se retrouve proche d’une femme, il trouve cette situation inconfortable. Parfois, lorsqu’il pose le regard sur une femme, il voit même le visage de sa sœur et ce sourire cruel. Il en frissonne même. Il a tenté de se laisser une chance, plusieurs même, trouvant certaines jeunes femmes très charmantes et surtout, très douces en comparaison de celles du palais. Mais bien sûr, sa sœur vient toujours se mettre en travers de son chemin. « Il est violent, il n’hésite pas à lever la main sur une femme. » Voilà le genre de conneries qu’elle aime balancer. « Je me rappelle encore la fois où il s’en est pris à moi, sa propre sœur… » Quelle peste. Il la hait. Elle et ses comédies. Elle et ses sales manières. Elle et ses sauts d’humeur. Peut-être même qu’elle représente tout ce qu’il ne supporte pas chez une personne, femme comme homme. On pourrait même dire qu’elle représente un véritable traumatisme pour lui. Et si aujourd’hui, il est mal à l’aise en compagnie féminine, qu’en sera-t-il plus tard ? Aura-t-il définitivement peur d’elles ? Ou pire, se mettra-t-il à les détester ?

L’envie de partir est de plus en plus présente. À un point qu’il y songe tous les jours, la seule chose qui le retient, c’est le soutien de son frère. La peur de devenir quelqu’un de mauvais le fait douter. Et les tortures interminables de White Queen ont raison de lui. C’est finalement lorsqu’il retrouve sa cape rouge déchiquetée en plusieurs morceaux, qu’il prend alors sa décision et s’échappe du palais une dernière fois. Il y a vu là un message très clair ; ses petites fugues ne lui sont d’aucune utilité, il ferait mieux de partir pour de bon.

Dehors, alors que l’air frais procure en lui un léger frisson, il peut entendre cette voix résonner dans le vent. Bon débarras, qu’elle dit. C’est fou, maintenant il a même l’impression qu’elle est dans sa tête. Qu’elle s’est frayé un chemin jusque dans son esprit où elle y a semé terreur et folie. Dans un premier temps, il refuse d’aller rendre visite à Mère-Grand, se sentant trop honteux et n’ayant pas le courage de l’entendre lui faire la raison. Il est persuadé qu’elle lui dira de rentrer au palais, que la vie y est plus sûre. Là aussi, il avait tort.

Accueilli à Bellua, Dante décide de s’y installer, non pas comme le fils de la reine et de son amant, mais tout simplement comme un étranger quelconque, un voyageur venant de loin. Etant tout de même décidé à suivre la même voie que sa grand-mère, il se trouve un petit boulot, ou du moins il accompli quelques quêtes pour aider certains habitants. De la cueillette en passant par la chasse ; viande animale ou personne à ramener au bercail, ses missions sont variées et en fin de compte plutôt bien payée. Pas assez pour s’offrir un toit, mais c’est bien suffisant pour se nourrir et squatter relais et auberges. Il en profite également pour piquer cette veste rouge, lui faisant énormément penser à sa cape perdue. Ainsi, il devient le Petit Chaperon Rouge, ou Little Red Cap, s’aventurant sans crainte dans les bois pour y trouver sa proie.

Et c’est comme ça qu’elle lui est tombée dessus, Mère-Grand. Ça lui a valu une tape sur la tête et une morale longue de dix minutes. Elle se dit inquiète mais surtout furieuse, qu’il parte ainsi sans rien dire, qu’il ne passe pas même la voir, qu’il se prend pour un chasseur alors qu’il manque cruellement d’expérience et de compétences. Ainsi, elle décide de le prendre sous son aile. Elle lui fait suivre un véritable entraînement, comptant faire de lui un chasseur aussi redoutable qu’elle. Dante s’était bien douté à plusieurs reprises qu’elle n’était pas une mamie ordinaire, mais la voir en plein action a suffi à le rendre plus sage pendant un temps, faisant de lui un élève presque studieux. Le seul défaut de l’apprenti, ce côté trop tête brûlée. Il veut foncer, il ne peut pas rester là à simplement écouter ses conseils, il est temps de passer à la pratique. Mais elle refuse toujours, Mère-Grand, le trouvant trop impatient.

Il en a fallu du temps avant qu’elle ne lui offre ses premières lames, acceptant désormais qu’il l’accompagne sur le terrain.

C’est là qu’il se rend compte, qu’en fait, c’est maintenant que sa vie commence réellement, loin du palais. Ainsi, il connaîtra ses premières mésaventures, il accordera sa confiance parfois trop naïvement, il accueillera une nouvelle personne dans sa vie tout en perdant une autre tout aussi chère. Et peu importe où il pose les pieds, la poisse le poursuivra toujours…

Quelque temps plus tard. « Mais enfin, c’est à cette heure-ci que tu rentres ? Tu sais bien que c’est dangereux, Little ! » que s’exclame la vieille femme tout en lui assénant plusieurs petites tapes sur le dos, pour le réprimander. « Ah, arrête Mère-Grand ! Je suis assez grand maintenant ! » Il a passé l’âge de se faire crier dessus ! Maintenant, il a l’âge de savoir s’occuper de lui, lui-même et de traîner tard la nuit s’il le veut. Pauvre petite mamie qui doit gérer les crises de rébellion de son petit-fils. Une chance qu’elle ait toujours eu caractère cette femme, car peu importe les dires du plus jeune, elle obtient quoiqu’il arrive le dernier mot. « Tu dois te méfier du Grand Méchant Loup, il rôde dans les parages ! Je te l’ai déjà dit, Little. » Il soupire et roule des yeux. Dur d’y croire à cette histoire. Y a bien eu plusieurs meurtres qui ont été faits de la même manière et d’une sauvagerie telle qu’on a dit qu’il devait s’agir d’un animal – même si, beaucoup sont persuadés qu’il s’agit en fait d’une personne tout à fait ordinaire – mais de là à parler de tueur en série ? Little a du mal à le croire. « Encore cette histoire… » qu’il souffle, faisant voler quelques-unes de ses mèches blondes. « Il est là et il est très recherché. On a même fait des appels à témoin. Et puis… Crois-le ou non, je m’en fiche ! Moi je pars à sa recherche. » Ceci a le don de réveiller sa curiosité et immédiatement, son regard change, perdant toute trace d’ennui. « Sérieux ? Mais je veux venir aussi ! »

C’est de cette façon que, dès le lendemain, ils ont tous deux commencé à traquer ce mystérieux tueur. Enfin, le jeune homme, lui, se retrouve plutôt à jouer l’assistant, sa grand-mère ne voulant pas le laisser prendre le moindre risque. Il l’accompagne simplement, menant l’enquête sans jamais s’aventurer plus loin. Ainsi, dès que cela devient quelque peu dangereux, elle l’enferme à la maison et part seule sur les traces du tueur. Forcément, pour le blond il est hors de question qu’elle le laisse de côté comme ça. Doué pour s’échapper sans se faire remarquer, il réussit sans problème à se faufiler hors de la maison et s’élance lui aussi à la recherche du mystérieux criminel. Dans la précipitation, il la bouscule, elle et tout comme Mère-Grand, il la met en garde. « J’sais pas c’que tu fous à c’te heure-ci, mais tu devrais rentrer s’tu veux pas avoir à faire au Grand Méchant Loup. »

Oh, si seulement il savait à qui il s’adressait à ce moment-là…


Un soupir s’échappe de ses lèvres lorsque Little repense à leur rencontre. Il a voulu l’impressionner, lui montrer qu’il est un excellent chasseur et qu’en plus, il sait traquer les tueurs en série. Il a eu faux sur toute la ligne et si elle n’avait pas été là à ce moment précis, il ne serait sûrement lui aussi plus de ce monde. Ils s’en sont tous les deux sortis et maintenant, la louve fait partie de sa vie. Ce n’est pas tout rose mais qu’importe.

Il se souvient aussi de ce jour où il a perdu son âme, il n’a fait que paniquer, sentant un vide étrange en lui-même. Cette sensation était si désagréable. Il l’a très mal vécu. Et pourtant, elle était là, elle est restée à ses côtés. Elle l’a aidé à surmonter bien des épreuves.

Elle a toujours été là pour lui.

Alors, lui qu’est-ce qu’il fout là ?

Pourquoi ne la recherche-t-il pas ?

Cette dernière question continue de tourner dans sa tête, sans qu’il n’y trouve une réponse.

Little se lève, il ravale cette foutue fierté inutile et sans plus attendre, il part à sa recherche. Il fait maintenant nuit, il sait qu’il est à son désavantage, elle n’aura aucun mal à rester planquée dans la forêt. Et pourtant… Après quelques minutes de marche, il s’arrête. Il la voit, à se tenir là, face à lui, à quelques pas de lui. Elle comptait bien revenir alors ? Cela le touche bien plus que ça ne le devrait, lui qui a toujours voulu faire taire ce côté sensible de sa personnalité. À cet instant, il réalise qu’il devrait arrêter de faire le con. Mais il sait qu’il retiendra pas la leçon.

Il devrait s’excuser. Pourtant les seuls mots qu’il arrive à prononcer sont « On rentre. » Sur ses lèvres, sa ressemble plus à une question, Little est incertain. Il patiente, observe la réaction de sa louve et attend son accord pour faire le moindre mouvement. Car quoi qu’on puisse penser, c’est la louve qui mène la danse, il n’y a que son avis qui compte pour Little. Alors, lorsqu’ils se retrouvent finalement, c’est comme s’il ne s’était rien passé, comme si tout était normal. Peut-être bien que c’est le cas, c’est leur normalité à eux. Une part du jeune homme en est soulagée, une autre oublie déjà ce qui s’est passé. Qu’importe, après tout, leur vie a toujours été mouvementée et elle ne risque pas de se calmer.