Il faisait froid ce jour-là aux abords de la forêt. Peut-être qu’au lieu de chasser le gibier pour ton prochain repas, n’aurait-il pas mieux valu trouver du bois pour se réchauffer ? Le temps était capricieux. Du moins, c’était ce que tu pensais. La couverture qui t’attendait à l’auberge dans laquelle tu logeais en ce moment devrait suffir. Amplement.
Tu crus voir des flocons de neige, mais ce ne devait être que les prémisses de la pluie. Le soleil se faisait timide derrière de grands nuages gris, après tout.
Ta forme de panthère était idéale pour attraper les animaux de taille moyenne que tu jugeais comestible. Tu chassais souvent pour ta pomme et aujourd’hui ne faisait guère exception. En même temps, sous cette forme, tu ne pouvais ramener qu’un seul animal à la fois. Tapis dans l’ombre des arbres, tu te faisais patient et pas trop gourmand.
Un cerf ? Bien trop grand. Un faisan ? Ses plumes te ferait éternuer sans cesse. Un lièvre ? Miam, le bon lièvre.
Tes yeux s’animèrent lorsque tu vis ta cible pointait le bout de son museau, ce petit museau qui ne cessait de bouger. Tes pattes avant gratter doucement le sol tandis que ton arrière train se dandiner, prêt à bondir sur ta proie.
Un.
Deux.
Trois. Ou presque.
Tu t’élançais, griffes sorties et gueule grande ouverte, avant de remarquer une présence indésirable au dernier moment dans ta vision périphérique. Une silhouette dont tu n'avais pas pressentie la présence et qui te surprit. De peur de faire face à un chasseur, tu tournas la tête en direction de l’inconnu, ne pouvant attraper le lièvre qui venait de prendre la fuite entre tes pattes. Naturellement.
Tu pestais la fuite de ton dîner… Mais tu espérais sincèrement ne pas faire face à un chasseur. Tu soutenais le regard bleuté de l’inconnu, ne sachant pas trop quoi faire sur l’instant. Devais-tu reprendre forme humain ou détaler ?
Il avait l’air un peu… Paumé pour un chasseur… On dirait…. Non ? Et pas si habillé pour une journée aussi froide, d'ailleurs...
Sur ma peau je sens le tissu déranger mon organisme, mes sens éveillés à peine et le vent qui souffle dans son murmure calme, bordant mon corps engourdi, le sommant de sortir de son sommeil. Je le repousse d'une main, en vain. C'est le vent, il est intangible et se faufile bien plus encore quand mes yeux s'habituent à la lumière ambiante. C'est frais. Je vois mes doigts pâles qui n'ont subi aucune séquelle… à bien y réfléchir, j'aurai dû être mort. Est-ce que c'était pour ça ? Je suis mort de froid ? Je suis… quoi ? Qui ?
Mon cœur bat à tout rompre, il n'y a qu'un bâton pour m'accompagner dans cette nouvelle vie. Je n'ai aucun souvenir. Je voudrais crier à l'aide, mais il n'y a personne. Aucune âme qui vive aux alentours… et dressé comme un faon sur la glace, je cherche mon équilibre en observant le décor. Tout est blanc, de marbre, je me sens vide. Mes pieds sont nus, je ne sens rien. Elle n'a aucun impact, cette tempête qui gronde, je ne frissonne ni ne tremble à ses bourrasques.
Le pire est là, sous mon nez, ces statues sont trop réelles. Ils sont pris à l'intérieur, ces gens qui me regardent et je m'accroupis de terreur. Sous mes doigts, le givre se forme et je reste immobile, contrôlant les pulsions en dépit des pensées. Je suis peut-être responsable sans le savoir. Qu'est-ce que j'ai fait ? Qui est assez cruel pour faire ça ? Je serre les dents, étourdi par le monde, la brutale ascension de mon âme. Mon âme… je me souviens un peu. Est-ce que je l'ai toujours ?
Je passe des heures à protéger les innocents piégés dans une grotte, espérant que le temps fera fondre ce que je n'ai su défaire ni de mon soutien ni de ma propre glace. Rien ne me vient alors je pars, loin, mais j'assumerais… ou pas, je ne sais pas encore. Je n'en sais rien.
Le vent souffle davantage, cette fois, il m'appelle. Jack Frost… Est-ce que c'est moi ? Un poids se déleste. Oui, je crois.
Mon estomac gronde, je me sens si faible. Est-ce qu'il y a de quoi manger sous l'eau ? Où est-ce que c'est aussi morne que le reste de ce pays ? Je fais un trou avec ma canne improvisée, ce qui n'est pas très malin, je sais bien. Mais j'ai faim. J'attraperais bien quelque chose ? Avec un bout de bois, bien sûr…
J'avance et me perds, redécouvrant cet univers qui m'est étranger, guidé par la brise affaiblie par les paysages changeant à mesure que je quitte l'étendue gelée.
C'est une drôle de scène dans le silence qui se joue devant moi. Une panthère dont la proie venait sans doute de se faire la malle par ma faute. Tiens, tiens… je m'attire déjà des ennuis à peine sortis de… quoi d'ailleurs ? Je n'ai qu'un baluchon et mon regard azuré entraperçu dans le reflet du lac maintenant bien loin. Je suis épuisé, j'ai faim… un peu de viande grillée ? Je ne pourrais surement pas en venir à bout, il me croquera avant. Mais il a l'air… apeuré ? Alors je parle le premier.
"hm… Est-ce qu'on se connaît ? Ou tu veux simplement faire de moi ton nouveau gibier ?" s'il se met à courir dans ma direction, je pense que je n'aurais pas le temps de fuir. Ce serait une courte vie. Dis, tu ne veux pas plutôt qu'on chasse ensemble ? "Je veux juste… manger quelque chose, on devrait se comprendre" ton regard bien humain me surprend un peu je dois dire. Mais tu n'as rien de bizarre, toi, je crois qu'ici, la norme est bien plus étonnante. Mais au fond, qu'est-ce que j'en sais… non d'un flocon de neige, je parle à une panthère !
Ta méfiance baissa d’un cran, peut-être même deux ou trois lorsque tu entendis les mots du noiraud. Il n’avait définitivement pas l’étoffe d’un chasseur et tu trouvais une pointe de sincérité dans ses mots. Il avait l’air très fatigué. Pas étonnant qu’il soit affamé, perdu dans la forêt.
Tu restas un instant silencieux, immobile avant de finalement t’approcher de l’inconnu. Un pas après l’autre, ton pelage noir laissa place à un manteau usé qui te recouvrait de la tête au pied. Tes pattes se transformèrent en bottes que tu avais toi-même rembourrées. Tes joues rougirent directement au contact du froid.
Oui, l’hiver n’était pas ta tasse de thé.
- Vous n’avez vraiment pas l’air en grande forme… Attendez !
Le pauvre monsieur devait être transit de froid. Tu ne pouvais pas le laisser dans cet état le temps de retourner chasser. Tirant sur les manches de ton manteau, tu le retirais de tes épaules avant de le poser sur les siennes.
C’était bien mieux. Même si le froid n’attendait pas pour te mordre les bras. Heureusement que ta peau de bête te préservait de ces désagréments humains.
- Je reviens dans cinq minutes. Restez là.
Sur ces paroles, tu redevins panthère et disparus entre les grands troncs d’arbres. Tu revins dix minutes plus tard, finalement avec un faisant entre les babines. Tu éternuais. Encore. A chaque mètre. Quelle horreur ces plumes venant te chatouiller le museau.
Tu déposas ta proie au sol, parsemée de quelques tâches pourpres, puis t’assuras d’un simple coup d'œil si le monsieur était encore réveillé et réceptif en donnant un petit coup de patte gentillet contre son avant bras. Tu repris forme humaine, histoire de pouvoir continuer de communiquer. Tu ne risquais qu’un pauvre rhume, tout au pire, n’est-ce pas ?
Tu frictionnais tes bras avec une certaine énergie pour chasser le froid, ta tenue habituelle n’étant pas adaptée aux basses températures.
- Pensez-vous pouvoir marcher deux heures ?... Je peux essayer de vous porter, mais ça risque de prendre plus de temps…
Sous forme féline, le trajet du retour ne t’aurais pris qu’une vingtaine de minutes, tout au plus. Mais la situation ne te permettait pas de jouer les lâches, comme tu avais l’habitude de le faire. Tu ne pouvais pas le laisser, là, seul, dans le froid et mort de faim. Une fois arrivés à l’auberge, vous pourrez vous rassasier d’un plat chaud, notamment ce faisant. Tu te préparais psychologiquement à devoir dormir sur le plancher cette nuit.
Tu tendis une main dans sa direction. Vous allez être compagnons de route pendant un petit moment, après tout.
Elle est belle, son pelage est soyeux et ses ronronnements à s'y méprendre seraient réconfortants si j'en connaissais plus sur ses intentions. Je n'ai pas envie de finir dans son estomac si rapidement. L'aurore s'est levée pour moi, il n'y a même pas une journée. Je recule, lentement, une main serrée sur le soutien portant mon baluchon. Elle change de peau, se fait humaine et me dévoile un visage plus clair que la nuit enveloppant son corps sous forme animale. Je suis impressionné. J'aimerais pouvoir en être capable aussi, est-ce que c'est le cas ? Je m'y efforce, mais je ne fais que m'épuiser. De toute évidence je ne suis qu'un homme apte à survivre aux températures basses malgré mon souffle glacé et d'en produire même. Je ne pense pas que cela soit une bonne idée.
Je l'inspecte comme il m'observe et remarque que je suis le plus faible de nous deux a priori. Mais d'instinct, je ne crois pas qu'on puisse établir un rapport de force quand il s'agit de survie. Heureusement, il est civilisé et je n'ai aucune raison de m'en prendre à lui comme il n'en a plus de me craindre. J'acquiesce pour toute réponse en esquissant un sourire. Sur sa peau blafarde de la même manière que la mienne, le rose lui est monté. J'étouffe un rire mal avisé, lui est sensible au froid. Petite panthère rose, tu es bienveillante et pour ça je ne te jouerais pas de tour, je ne mordrais pas ta main tendue à la place de tes crocs.
Il m'offre son manteau et je me sens coupable, ouvrant les yeux en grand en tentant de le lui dire, mais il me somme d'attendre alors… sur mes gardes, je le fais quand même en gardant au… frais la pelisse que je ne suis même pas en mesure de réchauffer convenablement.
Le temps est long, inestimable ressource dont je ne sais combien je dispose et je m'ennuie… alors je bouge pour ramasser du bois et ne pas être entièrement à la merci du fauve. Si généreux soit-il, je dois également me débrouiller, je doute qu'il y ait âmes aussi charitables que lui dans les… otherlands. Nom que mon esprit me souffle sans me donner plus d'indices sur la morale de ses habitants, quel que soit l'horizon.
Maintenant, comment faire un feu ? Brindille, bois, frotter. Oui, même si ça n'est guère aisé d'y parvenir, je tente en m'agaçant dessus. Je dois mal m'y prendre, mais je n'abandonnerais pas. Ah ! C'est bon ! Un éternuement plus tard, mon nez levé vers lui, j'observe la proie à plumes et le rouge venant parsemer de son impureté la poudreuse immaculée. Je déglutis, mes mains sur les genoux avant de me redresser et d'acquiescer. Marcher deux heures, je pense que c'est possible, mais il serait préférable de s'établir et de récupérer au préalable.
"On devrait peut-être… se poser pour manger" et je ne sais rien si ce n'est que j'étais isolé, pourquoi ? Je ne peux m'empêcher d'avoir cette amertume, une méfiance au fond de moi qui gronde que l'assurance n'est qu'un poids. Sa main se tend et je referme la mienne sur son contact pour sceller en une poignée ce pacte de non-agression.
"Frost… enchanté Bagheera" c'est joli comme prénom, ça sonne… félin, un velours sauvage teinté par la chaleur ornant de miroir son pelage ébène.
"Je crois que je ne crains pas le froid, je voulais vous le dire tout à l'heure, mais…" tout un tas de raisons m'ont gardé interdit. Je lui rends son habit. "Merci beaucoup… pour toute cette aide, je viens à peine de… me réveiller, j'ai tout oublié"
Il est déconcertant sans doute d'apprendre qu'on à affaire à un amnésique, mais il est également déroutant de faire connaissance avec toute personne, je trouve. Si pour lui qui m'a offert son soutien je reste sur ma réserve, pour ceux qui n'auront pas la même aura rassurante, qu'en adviendra-t-il ? Par réflexe, ma main s'attarde sur ses mèches, ses cheveux sont aussi doux que j'imagine son pelage, pour une raison qui m'échappe, j'en suis fasciné. "Vous n'avez pas l'air du coin, à quel point vous connaissez ce monde ?"
Dans le froid de cet hiver sans fin, tu avais tendu une main sans vraiment croire qu’on viendrait te la serrer. Pas de rejet. Pas de méfiance palpable. Tu étais surpris par le choix du noiraud. Peut-être subsistait-il un peu de peur dans l’air, après tout, tu restais une panthère. La surprise laissa place à un léger sourire de soulagement. Vos péripéties communes s’annonçaient d’ores et déjà moins houleuses.
Tu serras cette main étrangement glacé. Y avait-il encore du sang chaud qui circulait dans ses veines ou n’était-il constitué que de glace vivante ? Dans tous les cas, Frost te rappelait le froid et la neige, un nom qui lui convenait à merveille. Mais un nom qui ne te disait rien. Ce n’était pas toi qui allait éclairait sa lanterne, concernant son amnésie.
D’ailleurs, tu ne pus t’empêcher de faire quelques films dans ta tête, t’imaginant plusieurs histoires qui expliquerait sa présence au milieu des bois… Tu te questionnais sur sa résistance au froid et ses aptitudes à allumer un feu de camp sommaire. D’ailleurs, pourquoi n’en avait-il pas produit avant ? Bien que rien ne t’étonnait dans les Otherlands, tu haussais quand même un sourcil, perplexe.
- Enchanté Frost. J’imagine que vos paroles sont sages, il ne serait pas idiot de prendre une pause avant le chemin qui nous attend. Merci pour le feu, il est bienvenu.
Et ce n’était pas ton estomac affamé qui protesterait contre un peu de volaille bien tendre.
Tu récupérais ta main et ton manteau. Ce dernier était étonnement froid, comme si le jeune homme ne l’avait pas porté jusqu’alors. Impressionnant. Tu t’en recouvris avec joie. Tu n’étais pas frileux, mais tu n’étais pas adapté pour vivre constamment dans le froid sous forme humaine.
- Il n’y a pas de soucis, je n’allais quand même pas vous laisser mourir de faim ici. Peut-être trouverez vous des informations utiles dans le village le plus pro-
Coupé dans ton élan, tu ne finis pas ta phrase. Tu sentis une main froide effleurer ta joue rosie, pour venir se saisir de quelques mèches de tes cheveux. Il y fit glisser quelques doigts. Une fois de plus, tu ne t’y attendais pas et tes oreilles de félin apparurent par surprise. Tu te figeais.
Euh… Oui ? Ce geste étonnement doux et imprévisible te laissait un court instant sans voix. Pourquoi faisait-il ça, tout d’un coup ? Le froid n’était certainement plus le seul responsable de tes pommettes rougies.
- Je… Euh.. Je ne suis pas natif de la région, il est vrai, mais… Que faîtes-vous exactement ?
Par réflexe, tu te reculas - plutôt par confusion que par rejet ou dégoût. Tu n’étais pas habitué à ce genre de geste.
- Je suis originaire du Royaume Noir et j’y ais vécu beaucoup trop longtemps pour pouvoir vous expliquer comment fonctionne le monde dans sa globalité. Je vadrouille que depuis peu… Je suis navré, mais mes connaissances risquent d’être limitées sur ce sujet.
Il était perdu et amnésique. Il ne semblait pas te mentir et il n’aurait aucune raison de le faire en l’état. Tu ne te sentais pas obligé de cacher ton identité. Pas pour le moment. Ce n’était certainement pas le pauvre Frost qui te renverrait dans les caves du Roi Noir. En théorie…
- De quoi vous souvenez-vous, si ce n’est pas indiscret ? L’endroit de votre réveil n’a pas eu des stimulis sur votre mémoire perdue ?
Même si l’envie d’oublier les malheureux souvenirs restait présente, oublier toute son histoire te minait un peu.
Les petites flammes à tes pieds avaient suffisamment dissipé la morsure du froid pour que tu t’éloignes du feu de quelques mètres. Tu récupérais ta proie et te posais un peu plus loin, le dos tourné à Frost, mais les oreilles attentives à la moindre discussion.
- Je vais m’occuper de cet oiseau. Ne regardez pas, si la vue vous insupporte.
Et tu te mis au travail, sectionnant les morceaux les plus intéressants à l’aide de tes griffes acérées. Ce n’était pas ce qu’il y avait de plus pratique, mais tu ne pouvais guère faire mieux. Tu cachais le spectacle avec ton dos, mais tes mains devinrent rapidement écarlates. Tu les lavas brièvement avec un peu de neige. Déplumer l’animal était certainement la partie la plus pénible…
Tu revins au coin du feu après avoir balancer les restes de la dépouilles plus loin. De quoi occuper les charognards qui aurait aimé s’approcher d’un peu plus près. Tu laissais cuire quelques morceaux pour Frost avant de commencer à manger un morceau cru - ton estomac hybride te le permettait, pourquoi s’en priver ?
Bien qu’occupé, tu avais écouté ton interlocuteur tout du long.
