there ain’t no turning back || ft. Morty

there ain’t no turning back

You knew it right from the start
Without knowing the cost to your soul
You paid for it with your heart

C’est la deuxième fois.
Que tu te réveilles sans savoir où tu es.

La première, c’est quand tu as passé un marché au prix inconnu pour pouvoir enfin revêtir un déguisement à peau d’homme. Tu t'es retrouvé dans une ruelle sombre, cul nu sur les pavés glacés, les membres emmêlés sans trop savoir quoi en faire.

La seconde, c’est maintenant. Et y a comme un air de déjà-vu, recroquevillé que tu es sur un sol méconnu.

La seule différence, c’est qu’ici il ne fait pas froid. Et que t’as pas perdu les vêtements que t’avais sur le dos avant de t’endormir. Donc si tes jambes maigres tremblent quand t’essaies de te lever, c’est à cause d’autre chose - la peur, peut-être ? non, plutôt le choc.

Tu clignes des yeux, incertain, essaies de regarder autour de toi mais t’arrives pas à te fixer, t’as comme la nausée qui te prend au cœur. Soupir, grognement, grincement de dents, tu fais tout un tas de sons en agrippant les murs et les objets brinquebalants autour pour t’aider à te hisser droit sur la terre ferme. Essayer du moins, parce que c’est un échec cuisant et tu finis sur le cul dans un bruit sourd, le front suant, des morceaux de tôle entre tes doigts griffés.

Mais où est-ce que t’es, enfin ?

Tu ne te rappelles pas avoir passé un nouveau deal. A bien y réfléchir, les derniers souvenirs qui te viennent, c’est que tu t’es endormi à même le sol pour fuir Troll et ses tendances à te prendre pour une simple peluche alors que tu voudrais être tellement plus. Rien que d’y penser, t’en grognes, un son rauque et grave qui vient des tripes, qui ressemble bien plus à ce que pourrait produire un croco’ et non un gosse mal fini. Est-ce que Troll t’a jeté dehors pour te punir ? Non, ça ne lui ressemble pas. Alors, quoi ?

Ah, ça te donne mal au crâne de trop réfléchir, t'as comme un début de migraine qui pointe derrière tes paupières et t'aimes pas du tout ça. De toute façon, tu ne risques pas de trouver la solution, perdu comme tu es. Ce n'est pas comme si tu reconnaissais quoique ce soit ici. Alors tu te dis, éclair de génie soudain, que tu devrais trouver quelqu’un pour lui demander. C’est ce qui se fait, pas vrai ? T’as déjà vu des Grands Deux Pattes en arrêter d’autres pour leur demander leur chemin. Toi aussi, tu peux le faire.

Sauf que t’as les jambes qui tremblent encore, alors à défaut tu passes à quatre pattes, oubliant que c’est plus une position pour un animal ou un bambin qu'un homme.

T’as pas fait quatre mètres que tu captes un bruit, un mouvement. Tu sprintes presque sur tes genoux usés par le sol et tu lèves la main pour agripper un bout de l’étoffe noire que t’entrevois au détour de ce qui ressemble à une porte. T’as beau lever la tête, il est beaucoup trop grand pour que tu vois à quoi il ressemble dans l’ombre de son vêtement, mais c’est pas bien grave, ça, tout ce qui compte c’est que tu ne sois plus seul dans ce drôle d’endroit.

— T’es qui ? Dis, dis. T’es qui ? Et on est où, là ? J'étais par terre là-bas mais tout à l'heure j'étais par terre ailleurs, à la maison. C'est pas la maison ici. Dis. On est où ? Pourquoi je suis là ?

Tu fais quand même l’effort de plaquer le sourire que t’as volé à Troll, celui qu’il affiche quand il accueille les clients. C’est une imitation un peu bancale, mais c’est mieux que rien.

there ain’t no turning back

You knew it right from the start
Without knowing the cost to your soul
You paid for it with your heart

— Morty. Mor-ty.

Tu répètes le nom - une fois, deux fois.

Tu le fais rouler sur ta langue, croquer sous tes crocs, te l’appropries pour ne plus l’oublier.

— Moi c’est Gali !

Parce que même s’il ne te demande pas, t’as appris qu’il faut se présenter en échange ; un nom pour un nom, c’est ce qui se fait - il paraît.

Tu te demandes si tu dois en dire plus mais il te coupe dans ton élan.

Un train. Tu es dans un train.

Pourquoi ? Comment ? Tu ne sais pas, ne comprends pas. Et ça ne te plaît pas vraiment.

— Quel train ?

Tu fronces les sourcils alors que tu bascules tes fesses sur tes talons, te retrouves moitié à genoux, moitié assis devant le grand inconnu qui se fait guide improvisé.

Un peu perplexe, tu penches la tête sur le côté, mimique volée à bien trop de gens pour t’en rappeler, lèves une main pour toucher ton visage, ton menton puis tes lèvres. C'est comme ça qu'ils font quand ils réfléchissent, non ? Ils pincent un peu la bouche puis-Aïe. Ton index a ripé sur le bord d’une dent un peu trop pointe - pas grave, pas grave, concentre-toi, Gali.

— Je suis pas monté dans un train. Là. Pas là. Les mots ont un peu de mal à sortir, s’emmêlent à cause de tes incertitudes au goût d’inquiétude. Je voulais pas. Trompé ? Moi ? Pourquoi je suis là ?

Même s’il dit qu’il ne peut pas répondre à un pourquoi, tu ne peux pas l’empêcher, la question sort toute seule, t’échappe presque.

— Comment je rentre ?

Tu ne soupçonnes pas une seule seconde que le droit de choisir t'a été arraché, que ta liberté s'est envolée au moment même où tu as signé ce contrat.

Dans ta tête vide de croco, tu te dis juste que tu n'aimes pas cet endroit, que tu ne veux pas être dans un train, que t'as jamais demandé à être ici. Tu veux rentrer, retourner à la maison, avec Troll, ton Troll - même si lui ne veut pas de toi et n’a probablement rien remarqué à ton absence, comment pourrais-tu exister, loin de lui ?

there ain’t no turning back

You knew it right from the start
Without knowing the cost to your soul
You paid for it with your heart

Tu ne comprends pas tout.

Comment ça, le train ? Il n’y en a pas qu’un, tu le sais bien. La preuve, t’en as vu tout plein dans la vitrine du magasin de jouets, au Santa’s Village - ils étaient jolis d’ailleurs, avec leurs petits wagons rutilants, leurs rails par dizaines ou centaines, leurs cheminées chromées crachant de minuscules panaches de fumée.

Par contre, tu comprends bien le nom qui suit. Lucifer. Et tu te rappelles soudain, cette fois où tu es allé La voir, les mots qui tournaient dans ta tête.


Elle ne t’a rien demandé, ce jour.
Mais toi, tu l’as suppliée.


Oh oui, tu te rappelles, c’est aussi clair que si c’était hier.

C’est dans un brouillard incertain, comme dans du coton, que tu t’agrippes aux murs, luttes pour passer d’agenouillé à debout. Un pas, deux pas, tu fais ce petit moulinet des poignets pour te remettre bien droit tout en suivant l’ombre de ton guide.

T’as le front suant, les jambes tremblantes quand vous parvenez enfin à destination, non que tu saches où vous êtes réellement - c’est que t’es sacrément fatigué, encore plus tourneboulé, et que tu te rappelles pas avoir choisi cette forme là pour dormir hier soir, alors ton corps a du mal à suivre, c’est pas sa faute.

— Chat ? J'aime les chats.

Oh, tu te souviens le chat qui s’est égaré un peu trop près du magasin des suicides, il y a quelques jours. Il a fait un bon repas mais il serait sûrement mal venu de croquer celui-ci aussi, te dis-tu en détournant le regard. T’as quand même appris quelques règles de politesse et celle-là t’a été inculquée par le Chapelier - pas Sad, non non, mais son autre-soi, Mad - qui préfère que tu laisses son chat en paix, au prix de quelques jouets couinant.

D’ailleurs, où est passée ta poupée-Troll ? Tu l’avais contre toi avant de t’endormir, tu t’en rappelles bien, mais tu ne l’as pas vue en arrivant. Ou peut-être que tu n’as pas bien regardé. Toi qui t’étais assis sans trop y penser, tu envisages de te relever pour y retourner, quand la grande silhouette encapuchonnée se remet à te parler.

— De l’eau. Tu as de l’eau, dis ?

Pas de café pour toi, pas de thé non plus. Tu n’as jamais été fan du goût de ces boissons trop chaudes pour ton palais. Tu préfères de loin la fraîcheur de l’eau qui coule sur tes écailles, ravit tes papilles.

— T’es bête ! Un soupir presque exaspéré, tes yeux qui roulent d’un air agacé qui ne te sied pas au teint. Tu imites bien mal les gens ennuyés, Gali. A la maison ! Je veux rentrer à la maison. Comment je fais ? Tu m’aides ?

Tes yeux sont grand ouverts, un brin larmoyants, et l’espoir y brille plus fort que les guirlandes lumineuses de Santa’s Village. Mais si tu ne comptes pas rester dans les parages, c’est juste que tu ignores encore à quel point Elle t’a entubé.

Pauvre petit croco’ arraché à son nid, qui sait si tu pourras y retourner un jour.